Le désarroi de la gauche et les bouffonneries de la droite

 


En attendant Porto Alegre



Les 25 et 26 août, comme chaque été depuis dix ans, se tenait la rencontre annuelle d’Alternatives, le réseau d’action et de communication pour le développement international. Cette année, après l’euphorie de la Marche mondiale des femmes et l’immense déception produite par l’échec de ses revendications à Québec; après les confrontations de Gothenburg, de Québec et de Gênes; et avant le Sommet social de Porto Alegre en janvier 2002, un thème s’imposait 0 Résistance au néolibéralisme et construction des alternatives dans le monde.

En ateliers et en plénières, quelque 260 personnes se sont interrogées sur les suites du Sommet des peuples; elles ont comparé les luttes et les ravages de la mondialisation néolibérale dans les Amérique, en Afrique, en Asie et dans le monde arabe, et ont identifié des nouvelles stratégies à adopter face à l’hydre néolibérale, tout cela en préparation au grand Forum social de Porto Alegre en janvier 2002.

La politique des partis

Un thème est revenu au cours de la fin de semaine 0 les rapports entre les mouvements sociaux et la politique de parti. On ne doit pas s’étonner du discrédit de la politique partisane à Ottawa et à Québec. Au gouvernement fédéral, un parti libéral profite depuis un bon moment du désarroi de la gauche et des bouffonneries de la droite. Si à gauche les choses bougent et que des vétérans comme Judy Rebick et Sven Robinson mettent sur pied Une nouvelle initiative politique/New Policy Initiative, il y a peu de chance que cette coalition fasse une percée au Québec, tandis qu’à l’Assemblée nationale, deux partis voués au libéralisme et au libre-échange dominent la scène politique.

L’État émasculé

Des deux côtés de l’Outaouais, on assiste à un État complice de son émasculation. Sur la scène internationale, pour reprendre l’expression de la journaliste Madeleine Bunting dans le Manchester Guardian (21-27 juin 2001), l’État n’est qu’un arbitre entre les corporations et les ONG qui se disputent 25 % de la richesse de la planète.

Au Canada, d’une part mesquineries et chrétienneries contribuent au discrédit des élus alors que d’autre part le pouvoir économique s’affirme prioritaire avec, à titre d’exemple, l’Article XI de la ZLEA pour le prouver. Rappelons que cet article permet aux corporations qui se croient lésées d’intenter des poursuites contre un gouvernement. Partout on assiste à l’érosion du secteur public. On pense aux services de santé ou, pour ne prendre qu’un exemple d’actualité, le glissement de l’instruction gratuite pour tous vers l’imposition de frais multiples dans les écoles dites publiques. Si l’État perd ses pouvoirs, pourquoi s’en préoccuper ?

La marionnette a encore des pouvoirs

Or, pendant qu’on s’accorde pour mépriser un état composé de marionnettes manipulées par les géants économiques, on oublie peut-être que cet État jouit de grands pouvoirs 0 il taxe et dispose des fonds publics, il légifère et il contrôle les forces de l’ordre. À Québec, comme déjà à Vancouver, on a goûté jusqu’à la nausée son pouvoir de répression. Mais ce n’est pas dans ces arènes que se retrouvent les forces les plus dynamiques du changement social. Au Québec, c’est au niveau communautaire que « ça » se passe. Les besoins sont immédiats, les luttes impliquent directement citoyennes et citoyens et les effets sont souvent plus tangibles.

La gauche à l’aube du XXIe siècle

Sur l’articulation des mouvement sociaux et de la politique partisane, il faut lire le dernier livre de Marta Harnecker, membre du conseil d’administration d’Alternatives 0 La Gauche à l’aube du XXIe siècle. Cette sociologue d’origine chilienne, aujourd’hui installée à Cuba, nous rappelle que c’est la droite qui se passe de parti politique. Se basant sur l’expérience de l’Amérique latine, elle maintient que devant l’immense pouvoir idéologique et politique de la classe dirigeante et des partis qui la représentent, la gauche ne peut se passer de pouvoir politique.

L’urgence de la condition mondiale – c’est-à-dire la dégradation de l’environnement, l’instabilité économique (le Japon entre autres), la perte de droits civils (privatisation et marchandisation de l’éducation) – agit comme catalyseur pour une vaste coalition anti-néolibérale. L’élan de coalition fait penser aux fronts communs antifascistes des années 1935-1939 avec comme différence que ces mouvements de fronts populaires étaient initiés par les partis politiques, alors qu’aujourd’hui l’impulsion surgit de la base et se fonde sur de multiples noyaux issus de la société civile. Les organisations unies dans leur lutte contre la mondialisation des marchés et toutes ses conséquences ne sauraient rester longtemps orphelines d’un mouvement politique démocratique.