Deux prisonniers politiques basques menacés d'extradition

 


Victimes d’une loi anti-terroriste espagnole



En 1997, deux militants politiques basques s'enfuient de l'Espagne pour se réfugier au Québec. Là-bas, le peuple basque est victime d'oppression. Là-bas, ils ont été victimes de torture pour leurs idées et ont dû avouer des crimes qu'ils n'ont pas commis. Ici, ils espèrent retrouver la liberté. Voilà que l'Espagne demande au Canada leur extradition. Leur sort est désormais entre les mains de la justice canadienne. C'est l'histoire d'Eduardo et Gorka. Depuis maintenant huit ans qu'ils vivent dans l'incertitude. Gorka nous raconte leur histoire…

Eduardo Plagaro Perez de Arriluzea et Gorka Perea Salazar sont deux jeunes hommes basque âgés de 29 et 27 ans. Nés dans un milieu militant, Eduardo et Gorka ont grandi dans l'esprit de la lutte pour l'indépendance basque. Le père de Gorka était lui-même militant dans un syndicat indépendantiste. Dès l'âge de 16 ans, Eduardo et Gorka s'impliquent au sein d'organismes communautaires. Gorka militait entre autres pour la défense de la langue basque et Eduardo pour un groupe écologiste.

L'histoire d'un nationalisme éclaté et opprimé

Le pays basque est écartelé et intégré au territoire espagnol et français. Encore aujourd'hui, « ils ne sont pas représentés par la constitution espagnole, qu'ils ont refusée à la majorité », nous explique Gorka. La répression envers le peuple basque fut particulièrement féroce sous le régime franquiste. Parler la langue basque devient alors illégal, même en privé ! Dans le passé, Franco a combattu toute forme de culture basque, aujourd'hui son règne laisse un goût amer.

Gorka ajoute que « les franquistes existent encore aujourd'hui au sein des institutions espagnoles. La Guardia Civile et les juges du tribunal spécial anti-terroriste proviennent de la dictature franquiste. Le système judiciaire espagnol est le même qu'il y a trente ans. L'Audience nationale à Madrid existait avant sous le nom de Tribunal de l'ordre public. »

La torture 0 l'Espagne au banc des accusés

C'est privés de nourriture, de sommeil, inconscients, soumis aux menaces et aux coups que les prisonniers basques avouent des crimes qu'ils n'ont pas commis 0 «La police torture comme dans le temps de Franco. » La situation politique en pays basque est particulièrement difficile pour les militants indépendantistes. Gorka nous explique « qu'une loi anti-terroriste permet de détenir pendant cinq jours sans contact avec l'extérieur et sans avocat toute personne soupçonnée de sympathiser avec les causes de l'ETA » [Pays Basque et Liberté].

L'ETA existe depuis 40 ans et le gouvernement espagnol promet d'en finir avec cette organisation clandestine et armée. « Le problème, selon Gorka, c'est que le gouvernement arrête tous ceux qui partagent la cause indépendantiste à l'aide de la loi anti-terroriste. »

C'est dans ce contexte que Eduardo et Gorka ont été arrêtés. C'était le 26 avril 1993, Gorka et Eduardo n'avaient que 19 et 21 ans. « Cette même opération policière fit 27 prisonniers provenant de divers mouvements. Nous sommes demeurés trois ou quatre jours en prison sans contact avec l'extérieur et soumis à la torture. C'est là que débute notre histoire. »

La torture 0 un fait connu, mais non reconnu

Amnistie internationale et le Comité européen pour la Prévention de la Torture connaissent les mauvais traitements des pénitenciers espagnols et la torture qu'on y pratique. Cependant, la torture est peut-être connue par des organismes internationaux, mais les réfugiés basques ne sont pas reconnus par les pays de la communauté internationale.

Gorka nous confie que c'est une question bien politique 0 « Les pays amis de l'Espagne ne peuvent pas accorder des statuts de réfugié dans leur pays, ce serait du même coup dénoncer les pratiques de l'Espagne. »

Une extradition politique ?

Depuis 1993, Gorka et Eduardo doivent subir le poids d'un crime qu'ils n'ont pas commis0 un délit d'incendie. Depuis ce temps, ils vivent dans l'incertitude. En 1997, le tribunal spécial anti-terroriste les condamne à six et sept ans de prison ferme. Ils prennent la décision de se réfugier au Canada. En août 1997, ils arrivent à Montréal. « Nous sommes au Canada pour avoir la justice que nous n'avons pas eue en Espagne. »

Eduardo et Gorka vivaient normalement au Québec en attendant que la Commission de l'immigration leur accorde leur statut de réfugié. En avril 2001, l'Espagne demande l'extradition, prétextant faussement qu'ils sympathisent avec l'ETA.

Le 1er juin, Jean Chrétien rencontre le premier ministre espagnol. Gorka nous raconte que des accords économiques sont conclus 0 « ouverture de raffinerie, la firme Bombardier obtient un contrat pour vendre des trains à l'Espagne».

Ironiquement, le 6 juin à six heures, l'escouade tactique de la GRC tout équipée de mitraillettes, arrête simultanément Gorka à Montréal et Eduardo à St-Michel-des-Saints. Gorka nous confie 0 «Les policiers étaient assez violents, ils m'ont menacé verbalement, cela ressemblait aux circonstances de l'Espagne. » Depuis ce temps, tous deux sont détenus à la prison de Rivière-des-Prairies.

Le Procès

Au moment de mettre sur presse, nous apprenions par le Comité d'appui que le juge Jean-Guy Boilard de la cour supérieure (procureur contre les felquistes dans les années 1970) a catégoriquement refusé d'entendre le plaidoyer d'Eduardo et de Gorka. Véronique Gauthier du Comité d'appui nous précise que « le juge n'a pratiquement pas écouté ce que les avocats avaient à dire et démontrait un air d'indifférence et de sarcasme. Au nom des droits humains, c'est un manque de respect de ne pas vouloir écouter leur version des faits ! » Gorka et Eduardo feront maintenant appel à la Cour suprême. Ajoutons en terminant que le Canada a ratifié la Convention contre la torture, ce qui l'oblige à ne pas extrader les individus condamnés sous la torture. Gorka nous disait une semaine avant ce verdict 0 « On essaie d'être positif et avoir la chance de pouvoir rester au Québec. »

Gorka

« En aucun moment nous n'avons regretté notre militantisme dans notre pays, même dans les moments les plus difficiles. Nous n'étions pas capables d'assumer un délit que n'avions pas commis. Nous luttons pour un futur meilleur, des conditions de vie meilleures. »

Le Comité d'appui aux prisonniers politiques basques révèle que 0

• En 1993, Xabier Kalpasoro est projeté par la fenêtre du poste de police.

• La même année, Gurutze Yanci Igerati est morte dans le quartier général de la police de Madrid.

• Juan Calvo est aussi mort dans un poste de police en 1993.

• Ces morts ne sont pas des cas isolés.

Gorka affirme que 0

• Depuis six mois, il y a eu 90 dénonciations de cas de torture en Espagne.

• Il y a environ 8000 réfugiés basques partout dans le monde.

• En 2000, en Espagne, l'avocat d'Eduardo et de Gorka a été détenu préventivement pendant six mois.

• En 1998, la parution du quotidien basque Egin est interdite, les journalistes sont emprisonnés.

• En 1999, 20 députés du parlement autonome basque sont emprisonnés.