La Colombie est une cible parfaite

 


Dans la guerre « mondiale » au terrorisme



Avec deux guérillas et, tout récemment, le principal groupe paramilitaire (les Brigades d'autodéfense colombiennes) figurant sur la liste américaine des organisations terroristes, la Colombie est maintenant une cible parfaite pour la « guerre mondiale » au terrorisme que le gouvernement Bush entend mener pour les temps à venir. D'autant plus que le pétrole (deuxième industrie au monde, entre l'armement et la drogue!) est l'enjeu principal de l'engagement américain dans cette région du monde.

La Colombie produit aujourd'hui autant de pétrole que le faisait le Koweit à la veille de la Guerre du golfe. Les États-Unis, quant à eux, importent davantage d'or noir du triangle Colombie-Vénézuéla-Équateur que de tous les pays combinés du golfe persique. Même si ses réserves connues (2,6 milliards de barils) placent la Colombie loin derrière les principales puissances pétrolières, seulement 20 % de son territoire.

« Beaucoup de critiques de la politique étrangère américaine craignent un second Vietnam », écrivent Thad Dunning et Leslie Wirpsa, auteurs d'une étude du Centre de ressources pour les Amériques1, « mais avec le prix mondial du pétrole qui ne baisse pas, une augmentation prévue de 25 % de la consommation pétrolière américaine pour les deux prochaines décades et une fiabilité toujours moins grande du Moyen-Orient, on devrait plutôt parler d'une autre guerre du golfe. »

Les plus grosses compagnies pétrolières étrangères opérant en Colombie sont la britannique BP Amoco et l'américaine Occidental Petroleum. Exxon, Shell, Elf Aquitaine ont aussi contribué à une augmentation de 80 % de la production pétrolière colombienne depuis 1991.

Touche pas à mon pétrole !

En 1996, BP Amoco et Occidental se joignaient à Enron (une compagnie énergétique de Houston, Texas) et à d'autres pour former le Partenariat d'affaires États-Unis-Colombie. Aidé par les donations de l'industrie pétrolière aux politiciens, ce groupe de pression s'est battu pour accroître l'aide militaire américaine à la Colombie.

Laurence P. Meriage, vice-président aux affaires publiques d'Occidental Petroleum, presse maintenant la Chambre des représentants américaine d'étendre le Plan Colombie au nord du pays pour « accroître la sécurité autour des nouvelles activités pétrolières ».

Comment ne sera-t-il pas entendu par un cabinet formé du vice-président Dick Cheney (ex-p.-d.g. de Halliburton, leader mondial en matière de services pétroliers), du secrétaire au Commerce Don Evans (ex-président de la pétrolière Tom Brown) et de la conseillère en matière de sécurité nationale Condoleezza Rice (ex-membre du conseil d'administration d'une autre pétrolière, Chevron) ?

Guérilleros contre pipelines

« Plusieurs études », notent Dunning et Wirpsa, « suggèrent que l'extraction des ressources naturelles des pays du Tiers-Monde, loin de leur apporter la stabilité politique et économique, leur amène plutôt la loi de la jungle. De l'Indonésie au Nigéria à la Colombie, l'exploitation minière et pétrolière fait proliférer milices d'extrême-droite, crime organisé et insurrections de gauche. »

Depuis 1986, les guérillas colombiennes des FARC et de l'ELN ont bombardé les pipelines plus de 1000 fois tout en kidnappant des centaines de cadres et employés des compagnies pétrolières. Les guérillas taxent également les contracteurs locaux travaillant pour ces compagnies. Selon le gouvernement colombien, le pétrole rapporte ainsi 140 millions de dollars annuellement aux guérillas, soit autant que le trafic de drogues.

C'est tellement payant que, en contradiction avec les causes qu'elles défendent, les FARC consentent parfois à des forages auxquels s'opposent les populations indigènes locales et vont jusqu'à assassiner des leaders autochtones.

Des lunettes paramilitaires

Les paramilitaires sentent aussi l'odeur du pétrole et reçoivent parfois directement des millions de dollars pour «protéger» les intérêts des compagnies. Un officiel de haut rang de BP a admis qu'un contractant britannique en services de sécurité travaillant pour la multinationale avait fourni des lunettes de vision nocturne à une brigade de l'armée accusée de collaborer avec les paramilitaires.

Le même contractant employait l'ancien commandant d'armée Hernan Guzman Rodriguez. Gradué en 1969 de l'École des Amériques, ce dernier était lié avec un groupe paramilitaire responsable de 149 assassinats entre 1987 et 1990.

Les escadrons de la mort protègent aussi les profits des compagnies en « nettoyant » leur environnement de toute « nuisance » populaire (syndicale, paysanne, féministe, écologiste, etc). Le leader syndical Alvaro Remolina, par exemple, a perdu cinq membres de sa famille en autant d'années, tous assassinés par les paramilitaires.

Pétroviolence et pétropauvreté

Le pétrole est aussi un enjeu important pour les forces armées qui, depuis 1992, prélèvent un «impôt de guerre » d'un dollar par baril auprès des compagnies pétrolières étrangères. L'armée vend aussi des services de sécurité pour lesquels Occidental, par exemple, lui verse directement 10% de ses bénéfices en Colombie.

Mais ce sont surtout les civils qui font les frais de la « pétroviolence ». On compte plus de deux millions de personnes déplacées à travers le pays et des milliers d'assassinats chaque année.

Les revenus du pétrole rapportent malgré tout 3,7 milliards $ annuellement à l'État colombien, mais la population n'en voit pas souvent la couleur. La province d'Arauca touche des millions de dollars en redevances pétrolières annuelles mais est ceinturée de bidonvilles. Celle du Magdalena Medio, riche aussi en pétrole, compte 70 % de pauvres et un taux de chômage de 40 % (deux fois le taux national officiel).

Le Vénézuela rue dans les brancards

Le conflit colombien implique de plus en plus le pays voisin, le Vénézuéla, troisième fournisseur de pétrole des États-Unis et pays le plus riche en or noir à l’extérieur du Moyen-Orient.

Son président Hugo Chavez, celui-là même qui a convaincu l'OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole) de diminuer sa production pour faire grimper le prix du baril à 30 dollars (un sommet en 10 ans), se déclare neutre face à la guerre civile colombienne.

Mais il a interdit l'espace aérien de son pays aux vols « antidrogues » américains, avec le résultat que les guérilleros colombiens vont de plus en plus « refaire leurs forces » au Vénézuéla. De l'équipement militaire vénézuélien se retrouve aux mains de combattants des FARC.

Tout cela et bien d'autres choses (refus de privatiser l'entreprise pétrolière nationale, fourniture à prix réduit de pétrole à Cuba, visite en Irak, etc.) irritent Washington.

Le 5 septembre dernier, le ministre vénézuélien des Affaires étrangères annonçait officiellement le non-renouvellement de l'accord de coopération militaire bilatéral vieux de 50 ans entre son pays et les États-Unis.

La guerre s'étend également à l'Équateur depuis que les opérations de contre-insurrection et d'éradication des cultures de coca liées au Plan Colombie amènent militaires, paramilitaires et populations civiles déplacées à la frontière équatorienne, région jusque là occupée seulement par les FARC.

« Notre objectif, ce ne sont pas les Colombiens mais le pétrole »

L'Équateur, tout comme le Pérou et le Brésil, répond aux débordements de la violence colombienne sur leur territoire en militarisant de plus en plus la région.

L'an dernier, l'administration Bush approuvait « l'Initiative pour la région andine », une suite au Plan Colombie incluant tous les pays voisins de celle-ci à l'exception du Vénézuéla.

Bush a aussi nommé John Maisto conseiller en matière de sécurité nationale pour les affaires interaméricaines, faisant de lui son principal conseiller pour la région andine. Or, Maisto était ambassadeur américain au Nicaragua durant la guerre contre le gouvernement sandiniste et chargé d'affaires au Panama en 1989, année de l'invasion américaine contre le général Manuel Noriega.

« On ne mentionne jamais les mots “ coca ” ou “ narcotrafiquants ” dans nos entraînements », confie l'ex-sergent des forces spéciales de renseignement américaines Stan Goff, retiré depuis 1996. « Notre objectif là-bas, ce ne sont pas les Colombiens, mais les Américains qui investissent en Colombie. C'est le pétrole. Regardez où sont aujourd'hui les forces américaines 0 en Iraq, autour de la mer Caspienne, en Colombie. Là où on espère trouver des réserves de pétrole. »

Comment peut-on négocier avec les guerilleros dans le contexte de l’antiterroriste

Le 10 septembre, ironiquement, la veille des attentats contre le World Trade Center, les États-Unis ajoutaient enfin le nom des Brigades d'autodéfense colombiennes (AUC en espagnol) à leur palmarès d'organisations terroristes. Il était à peu près temps puisque les paramilitaires colombiens sont de loin reconnus comme la source principale des milliers d'assassinats sélectifs de civils et des millions de personnes déplacées dans ce pays.

Les deux principales guérillas de gauche (ELN, Armée de libération nationale; FARC, Forces armées révolutionnaires de Colombie) figuraient déjà sur la liste américaine depuis 1997.

Mais la décision américaine n'est aucunement un assouplissement de l'engagement US en Colombie.

Bien au contraire, elle place ce pays et toute la région andine pétrolière (voir l’article ci-contre) plus que jamais au bord d'une intervention militaire « anti-terroriste » justifiée par des motivations humanistes 0 arrêter des massacres de civils qu'on avait pourtant jusque là encouragés.

Réagissant aux événements du 11 septembre, Luis Eduardo Garzon, candidat à la présidence colombienne du Front socialiste et politique (centre-gauche), s'est dit très préoccupé par l'appel du président Bush à une « guerre internationale au terrorisme ».

« Je pense que le gouvernement colombien », ajoute-t-il, « engagé qu'il est dans des pourparlers de paix avec les FARC et l'ELN, ne peut appliquer cette logique de guerre et que cela pourrait mener à une intervention. »

(1) http0//www.americas.org (le rapport s'intitule 0 Oil rigged 0 there's something slippery about the US drug war in Colombia)