Biscuits Oreo et Pop Tarts

 


La manne humanitaire



Un entrefilet paru récemment dans un hebdo d'Outremont nous apprenait que Moisson Montréal venait de recevoir 12 000 barres de Bizzcuit Oreo M. Christie, « un don qui s'inscrit dans la lutte contre la faim que livre Kraft ». Car on a faim à Montréal, comme si on avait oublié qu'un des droits fondamentaux est de pouvoir manger à sa faim. La proclamation des droits économiques, sociaux et culturels, qui inclue les droits à une alimentation convenable, a en effet été signée par le Canada et tous les États membres des Nations-Unies... sauf les États-Unis.

On a aussi faim entre l'Hindu Koush et le col de Kyber. Là tombent du ciel des petits paquets jaunes contenant entre autres des Pop Tarts. Or, d'après les manufacturiers, des Pop Tarts se mangent après avoir été réchauffées dans un grille-pain, petit appareil ménager qui fonctionne à l'électricité. Pas d'électricité, pas de grille-pain. Restent des Pop Tarts froides pour les Afghans sans doute médusés par ce genre d'aliments.

Que peut-on ajouter sur le cynisme et l'insensibilité des donateurs de ce type d'aide humanitaire ? Comme le disait l'écrivaine indienne Arundhati Roy, c'est un peu comme si, après une catastrophe, on faisait tomber des galettes de « nans » sur New York.

Un enfant, ça meurt énormément

Devant le scandale de la faim – dans la seule journée du 11 septembre, 35 615 enfants sont morts de faim, selon les statistiques des Nations-Unies – il est plus facile de se donner bonne conscience que de s'attaquer aux racines des famines et des inégalités sociales. Et ça ne coupe pas l'appétit.

Ainsi, le 30 novembre, dans plusieurs pays des centaines d'hôtes et hôtesses ont reçu des invités, qui ont payé de 15 $ à 1500$ selon leur milieu social, pour recueillir des fonds pour éliminer les mines terrestres, ces engins meurtriers qui continuent leurs ravages dans une multitude de pays longtemps après la fin des hostilités. Cet événement, « La Soirée des 1000 banquets » (car on espérait en tenir 1000 avant les événements que l'on sait) est parrainé par le Fonds canadien contre les mines terrestres en association avec l'Association des Nations-Unies des États-Unis.

Devant le sentiment d'impuissance ressenti par la population face au désastre afghan, on peut ici faire quelque chose. L'effort est sans doute louable 0 on espère recueillir quelques millions de dollars. Un enfant gardera peut-être ses deux jambes grâce au programme de déminage. Alors, pourquoi venir gâter le plaisir de ces bons repas où, en toute bonne conscience, pour citer la brochure publicitaire, « des gens lèveront leur verre pour célébrer l'important pas en avant franchi vers la réalisation d'un grand but 0 un monde dans lequel des enfants peuvent se promener là où bon leur semble sans avoir peur ».

À chacun sa bombe et son biscuit

Au même moment où ces âmes de bonne volonté collectent des fonds pour réparer ce que leur gouvernement a encouragé, les États-Unis larguent des bombes à fragmentation dans un Afghanistan déjà dépendant de l'aide humanitaire pour nourrir une partie de sa population. Chacune de ces bombes CBU-87 contient 202 «bombelettes » BLU-87 dont 7 % n'atteindront pas leur cible et n'exploseront pas sur le coup. Les effets à long terme de ces petites bombes ne se différencient pas de ceux des mines telles que l'Afghanistan les connaît depuis plusieurs années.

Bombes et nourriture, où est le lien ? Tous deux tombent du ciel dans des contenants jaunes. Mais, bon prince, on a prévenu les populations 0 les États-Unis ont fait diffuser des messages en pachtoune et en farsi pour demander aux gens de faire bien attention de ne pas confondre les deux types de paquets jaunes qui pleuvent dans le paysage. Toutes les personnes qui ont la radio sont bien averties. Mais malgré ces mises en garde, il se peut que certains de ces cylindres jaunes aient explosé pendant les banquets conviviaux internationaux du 30 novembre. Au moins, à Montréal les biscuits Oreo sont distribués dans un emballage qui indique bien le nom de la compagnie et la liste des ingrédients.

Il n'est pas farfelu de penser que la faim, la privation et les injustices peuvent provoquer des réactions de révolte qui se traduiraient par un appui au terrorisme. Il est temps qu'on fasse de la prévention avec autre chose que des sucreries.