L’enjeu du biopouvoir, c’est le contrôle du monde

 

Le dimanche 25 novembre, le président de la société Advanced Cell Technology affirmait avoir réussi à produire les premiers embryons humains clonés connus dans le monde, en transférant le noyau d'une cellule dans des ovules préalablement énucléés de femmes, technique déjà utilisée avec succès pour le clonage de la brebis Dolly. ACT affirme avoir également réussi à induire le développement embryonnaire d'un ovule humain sans aucune fécondation ni clonage (parthénogénèse), en soumettant l'ovule à un choc chimique qui a produit quelques cellules avant de mourir.

Quand on parle de production de cellules souches, on a tendance à oublier que cette marchandisation du vivant ne peut se faire sans ovules et que ces ovules essentiels à la production d'embryons proviennent de femmes réelles.

L'usinage des femmes

La compagnie a payé des femmes jusqu'à 4 000 $US pour le don de leurs ovules et dit « avoir appliqué à des ovules de femmes volontaires les techniques de clonage jusqu'à présent réservées aux animaux ». Elles font déjà partie de la chaîne de montage de la biotechnologie. Leur corps, complètement instrumentalisé, devient ainsi le champ de cette culture hautement lucrative.

Les chercheurs disent avoir activé 22 ovules humains par parthénogénèse et réalisé un transfert de noyaux dans 17 ovules. Pour pouvoir cultiver des cellules souches, il faut que les embryons fournissent au moins 100 cellules, ce qui se produit entre le cinquième et le septième jour. Dans l'expérience d'ACT, les embryons n'ont pas survécu au troisième jour et n'ont atteint que six cellules.

Il n'est pas difficile d'imaginer le nombre élevé de femmes et d'ovules qui seront nécessaires dans ce processus douloureux, dangereux, très coûteux et aléatoire dont, en bout de ligne, seuls les plus riches pourront profiter, contrairement à ce qu'on veut faire croire au public pour obtenir son assentiment.

Les apprentis sorciers n’ont pas besoin de se cloner pour se multiplier

En ce qui a trait au principe de précaution, rien ne peut nous assurer que des ovules ne seront pas détournés pour des fins autres que thérapeutiques avec tous les risques de réactions en chaîne imprévisibles et irréversibles qui pourraient en découler. C'est faire preuve d'une inconcevable naïveté de croire qu'une fois acquise la possibilité de clonage reproductif par la création de cellules souches, le milieu scientifique résistera à la tentation d'une telle performance.

Tant qu'une loi contre le clonage n'est pas adoptée par tous les pays, touchant à la fois la recherche privée et publique, les apprentis sorciers trouveront refuge pour leurs expériences dans des pays laxistes comme le Canada.

Le gouvernement fédéral semble beaucoup plus intéressé à passer à la vapeur son projet de loi répressif C-36 que de combler ce vide juridique inadmissible. Le clonage est une bombe à retardement beaucoup plus nocive à long terme que tout ce que l'humanité a connu à ce jour, car quiconque s'emparera du biopouvoir contrôlera le monde.

Jacques Testart et Christian Godin, Au bazar du vivant, Paris, Seuil, 2001.

Louise Vandelac et Karl Parent, Clonage ou l'art de se faire doubler, 2000, vidéo disponible à l'ONF et dans les grandes librairies.

Il ne faut pas confondre clonage et immortalité

Dans une émission récente d'Enjeux (SRC, 19 mai 2001), le commentaire et la majorité des intervenants font l'apologie du clonage, réduisant presque à l'insignifiance les mises en garde de Louise Vandelac, de Maureen McTeer et du Dr François Auger, spécialiste des biomatériaux. Les médias leurrent le public en lui promettant d'échapper à la mort, sans que personne ne sache les conséquences à long terme de ces interventions et les risques de réactions en chaîne irréversibles qu'elles pourraient entraîner.

« C'est de plus en plus le clonage des cellules souches des embryons, présumément capables de remplacer n'importe quel organe, qui, au nom d'une paradoxale santé, sert à faire accepter cet hallucinant projet de se cloner un embryon pour s'en nourrir dans l'espoir de se guérir, dit Louise Vandelac, en dévorant en quelque sorte son double. On manipule carrément l'opinion en nous montrant de jeunes malades sympathiques dont les jours sont comptés, des célébrités comme Christopher Reeves ou Michael J. Fox, pour qui la recherche sur les cellules souches constituerait l'unique espoir de guérison alors qu'on sait déjà produire des biomatériaux avec des cellules adultes sans passer par l'embryon. »

Un droit international de l’engendrement

La protection des équilibres vitaux des écosystèmes biophysiques et sociaux, selon Louise Vandelac, exige une interdisciplinarité réelle, la démocratisation des savoirs et des décisions et la mise en place de politiques et instances publiques. Elle insiste sur la nécessité de repenser un droit échappant aux conceptions essentiellement techniciennes, gestionnaires et normatives qui marquent notamment son évolution nord-américaine. Et elle souligne, à propos des rapports d'engendrement, ce qui a toujours été la ligne de force de tous les travaux, soit les grands enjeux socio-économiques et symboliques qui se jouent et se nouent dans et par les rapports de sexe. Elle conclut en disant que les mutations du vivant devraient nous inciter à un éventuel droit international de l'engendrement opposant la norme publique et le respect des êtres à la privatisation à tout crin du vivant, un droit sachant en faire respecter le lien et la limite.

Extrait de « Louise Vandelac, portrait d'un parcours exemplaire », par Élaine Audet publié dans L'Apostrophe, no. 2, automne 2001.