Les Américains pratiquent maintenant le terrorisme électoral

 


Nicaragua



Le 4 novembre dernier, le Front sandiniste de libération nationale (FSLN) de Daniel Ortega perdait une troisième élection présidentielle consécutive. Encore une fois, les multiples interventions américaines ont pesé de tout leur poids dans la campagne électorale nicaraguayenne. En fait, depuis le vrai terrorisme américain qui est venu à bout des Sandinistes en 1990, les présidents de droite qui se succèdent au Nicaragua ne doivent leur élection qu'à la peur d'un retour à la guerre.

Le candidat du Parti constitutionnel libéral (PCL), Enrique Bolanos, a finalement obtenu 56,3 % du suffrage contre 42,3 % pour Daniel Ortega du FSLN pour qui ces résultats ressemblaient étrangement à ceux de 1990 (élection de Violetta Chamorro) et de 1996 (élection de Arnoldo Aleman Lacayo).

Bolanos, le chouchou des Américains pour cette année, est un homme d'affaires conservateur, ancien président de l'Union des manufacturiers du Nicaragua. Il présidait le Haut-conseil pour l'entreprise privée sous l'administration sandiniste des années 80 et avait fait de cet organisme une des principales forces d'opposition et de déstabilisation de la révolution.

Dans le cadre de sa réforme agraire, le FSLN avait confisqué 1200 hectares de terres à Bolanos et les avait distribués entre les anciens employés de celui-ci.

Cette année, Daniel Ortega et son parti n'ont pu empêcher l'ingérence américaine dans la campagne électorale même si, afin d'augmenter sa part de votes, le FSLN avait noué plusieurs alliances contre nature avec des éléments conservateurs et multiplié les déclarations favorables au milieu des affaires et aux États-Unis.

Scène pathétique

Parmi les éléments conservateurs qui se sont greffés au FSLN, certaines personnalités telles Miriam Arguello et le candidat à la vice-présidence Agustin Jarquin avaient même été emprisonnées sous le régime Ortega (1979-1990).

D'autres étaient des transfuges du Parti conservateur dont le chef, Noel Vidaurre, avait été contraint par Washington, en juillet, de se retirer de la course à la présidence afin d'empêcher la division du vote anti-Ortega.

L'un de ces transfuges était Antonio Lacayo, homme d'affaires bien connu dans le pays, dont la belle-mère est l'ex-présidente Violetta Chamorro (1990-1996) qui s'était faite l'instrument des politiques économiques néolibérales du FMI qu'avaient fortement combattues les Sandinistes de l'époque. Pour rassurer les États-Unis, Daniel Ortega avait promis de faire de Lacayo son ministre des Affaires étrangères si son parti remportait les élections.

Dans une scène pathétique, le 31 octobre, lors du ralliement sandiniste marquant la clôture de la campagne électorale, de nombreux supporters brandissaient les drapeaux américains qui leur avaient été distribués !

Miner les ports

Et pourtant, durant toute la campagne, les États-Unis ne s'étaient pas gênés pour intervenir de toutes sortes de manières alors que les sondages mettaient nez à nez Libéraux et Sandinistes, voire donnaient l'avance au parti de Daniel Ortega.

Le 12 octobre, le Washington Post rapportait, avec un synchronisme parfait puisqu'on était à moins d'un mois des élections, que l'administration Bush s'apprêtait à nommer Duane Clarridge au poste d'adjoint principal au général Wayne Downing, directeur du Bureau du contre-terrorisme de l'Agence nationale de sécurité (NSA) américaine.

Au milieu des années 80, ce Clarridge était le chef du « contre-terrorisme » de la CIA et baignait jusqu'au cou dans les opérations de celle-ci contre le gouvernement sandiniste. Il a toujours revendiqué l'idée d'avoir miné les ports du Nicaragua en 1984, ce qui avait amené la Cour internationale à condamner les États-Unis après une poursuite intentée par le Nicaragua.

Casquette de baseball

Quelque jours plus tard, l'ambassadeur américain au Nicaragua, Oliver Garza, qu'on voyait souvent coiffé d'une casquette de baseball ornée du logo du PCL, inaugurait, en compagnie du candidat Bolanos, une tournée (fort médiatisée par la suite) de distribution d'aide alimentaire d'urgence aux victimes de la sécheresse qui a frappé une partie du pays l'été dernier.

Dans son discours, Garza affirmait qu'advenant une victoire du FSLN, les États-Unis reconnaîtraient certes le nouveau gouvernement, mais que, pour qu'il y ait de bonnes relations entre les deux pays, les États-Unis attendaient encore des réponses des Sandinistes concernant « certaines exigences ».

Garza se référait notamment aux propriétés confisquées par le FSLN après la révolution de 1979 et dont les Américains exigent la restitution à leurs anciens possesseurs.

Un peu plus tard, Jeb Bush, frère du président américain et gouverneur de la Floride, signait un article dans le Miami Herald dans lequel il qualifiait Daniel Ortega d' « ennemi de tout ce que les États-Unis représentent ».

Des Bush partout

Le Parti constitutionnel libéral reproduisit l'article dans l'une de ses publicités de campagne parue dans le quotidien La Prensa. En manchette, l'annonce proclamait 0 « Le frère du président des États-Unis appuie Enrique Bolanos ! ».

Mais les Américains ont surtout utilisé les attentats du 11 septembre pour faire peur à la population du Nicaragua.

Celle-ci appuyait alors majoritairement Daniel Ortega même après que la Commission inter-américaine des droits de l'homme de l'Organisation des États américains eut, en pleine campagne électorale, rebranché l'actualité sur l'affaire Zoilamerica Narvaez (du nom de la fille adoptive de Ortega qui poursuit ce dernier pour abus sexuels) en rendant en sa faveur une décision qui se faisait attendre depuis 1998 !

Après le 11 septembre, des officiels du Département d'État américain se sont mis à clamer haut et fort que Ortega entretenait des liens avec des sympathisants du terrorisme tels Mouammar Khadafi et Saddam Hussein.

Effet Ben Laden

Le 5 octobre, l'assistant au secrétaire d'État américain pour l'hémisphère ouest, John Keane, laissait entendre qu'un gouvernement du FSLN appuierait le terrorisme international.

« L'élection possible d'un gouvernement sandiniste est déconcertante pour le gouvernement américain, disait-il. On ne peut oublier que (dans les années du régime sandiniste) le Nicaragua était devenu un refuge pour les extrémistes politiques violents du Moyen-Orient, d'Europe et d'Amérique latine. »

« L'effet Ben Laden a été catastrophique, déclarait après les élections Sergio Ramirez (ex-vice-président sandiniste dans les années 80). Les électeurs ont eu peur d'un nouveau conflit avec les États-Unis, déjà parrains d'une guerre dévastatrice menée par les rebelles de droite de la Contra pendant toute la décennie des années 80. »

Mais, contrairement à la course à la présidence, la distribution des sièges à l'Assemblée nationale a été chaudement disputée presque partout dans le pays.

Le beau monde ensemble

Le 6 novembre, pendant qu'on y comptait les votes, le principal représentant du FSLN à la surveillance du scrutin, Juan Jose Ubeda, se voyait interdire l'entrée du Centre national d'informatique par le président du Conseil suprême des élections, Roberto Rivas.

Ubeda soutient que, cette journée-là, Rivas était en compagnie des surveillants de scrutin du Parti libéral de Bolanos et que tout ce beau monde était occupé à trafiquer les résultats du vote.

« Il faut féliciter Washington parce que ses tactiques d'intimidation ont fonctionné », déclarait au New York Times (6 nov.) Miguel D'Escoto, ancien ministre des Affaires étrangères du gouvernement sandiniste.

« Les Américains pratiquent maintenant systématiquement le terrorisme électoral aux dépens d'un peuple dont les blessures sont encore ouvertes. Nous n'avons pas perdu 5000 personnes comme à New York; nous en avons perdu 50000 dans une guerre créée de toute pièce, organisée, armée et financée par les États-Unis. »