On a peu de chance de devenir les « Princes de l’eau »

 

* Pouvons-nous partager l'eau avec des pays qui en ont besoin, devenir de richissimes « princes de l'eau », comme on dit « princes du pétrole », et appliquer des règles de précaution environnementale pour assurer notre survie ?

Nous savons maintenant hors de tout doute que c'est l'irrigation et le détournement de fleuves pour arroser les terres arides et la construction de barrages qui créent les pénuries d'eau. Aussi, des personnes manquent d'eau dans des pays qui en ont beaucoup mais dont la pollution, la corruption et le sous-développement en empêchent la distribution démocratique. La disponibilité de l'eau pour les citoyens est intimement liée à l'ensemble des attitudes politiques d'un pays.

Pourquoi prêter aux riches ?

L'ONU nous apprend qu'une trentaine de pays manquent d'eau dans le monde. Ce sont des pays où l'eau est exploitée à plus de 50 % de ses réserves. Parmi ceux-ci, les onze suivants utilisent leurs réserves presque à 100 % 0 Arabie Saoudite, Bahreïn, Égypte, Émirats arabes unis, Gaza, Israël, Jordanie, Koweït, Libye, Malte et Qatar. Aucun de ces pays ne demande au Canada de lui vendre ou donner son eau. Bien sûr, les États-Unis d'Amérique, eux en demandent.

Devrions-nous ouvrir les vannes de la compassion et permettre que l'eau exportée serve à l'arrosage de terrains de golf surgis du désert entourant Las Vegas, à soutenir l'expansion de la ville de Phoenix construite en plein désert et qui consomme des quantités phénoménales d'eau, ou à encourager les industriels de l'agroalimentaire installés dans les déserts de l'Arizona qui s'affairent à vider leur plus grande nappe phréatique, l'Ogalalla, par de la culture intensive ? Et tout cela, en sachant que les États-Unis font partie, avec le Brésil, la Colombie, l'Ex-Zaïre, l'Inde, etc., des neufs pays les mieux nantis quant à l'eau sur leur territoire...

Pourquoi prêter aux pauvres ?

La trentaine de pays identifiés par l’ONU manquent d'eau à cause de précipitations peu abondantes, de pratiques hygiéniques déficitaires qui engendrent la pollution et réduisent la disponibilité de l'eau de qualité. Soixante-dix pour cent de leur consommation passe à l'agriculture, 22 % à l'industrie et 8% à l'alimentation des collectivités.

Si c'est l'agriculture qui consomme le plus, pourquoi ne pas implanter des politiques de conservation telles que les techniques éprouvées dites du « goutte à goutte », maintenant accessibles aux paysanneries pauvres de ces pays, ce qui ferait économiser 35 % de l'eau actuellement utilisée ? Cette économie libérerait de l'eau pour les citadins de ces mêmes pays.

Souvent ce n'est pas le manque d'eau, mais la façon de l'utiliser et l'insuffisance d'équipements collectifs pour la distribuer qui causent problème. De plus, devrions-nous partager avec des pays qui laissent les industries multinationales drainer impunément les nappes phréatiques ou qui refusent de taxer leurs riches afin de doter leur pays des infrastructures nécessaires au partage de l'eau avec l'ensemble de leur population ? Quant aux raisons humanitaires, nous devons maintenir nos liens avec les organismes non gouvernementaux pour aider à construire des puits et financer des petits réseaux d'aqueduc, évitant ainsi la corruption systématisée prévalant dans la plupart de ces pays.

Pour faire de l’argent, il faudrait au moins vendre ce qu’on donne gratuitement

Mahmoudd Abou-Zeïd, ministre égyptien, en réponse à l'offre de promoteurs canadiens, soulignait que les coûts de transport de l'eau par bateau seraient prohibitifs comparés aux coûts de désalinisation de l'eau de mer, soit deux à trois fois plus cher. Notre ministère de l'Industrie et du Commerce croit que le seul avantage pour le Québec résiderait en des retombées économiques associées à la construction ou à la réfection de bateaux.

En Espagne, où il n'est pas question de traverser un océan mais simplement de transporter par canalisation de l'eau du fleuve Ebre jusqu'en Andalousie, les études démontrent que cette solution coûterait 60% de plus que celle de la désalinisation de l'eau de mer.

De ce côté de l'Atlantique, le premier ministre de Terre-Neuve, Roger Grimes, déclare que « l'évaluation de rentabilité réalisée par l'université Memorial de St. John's laisse voir qu'il n'y a pas grand argent à faire avec la mise en marché de cette ressource, pourtant si précieuse... Contrairement à ce qu'on a pu penser, ce projet d'exportation d'eau en vrac ne présente un potentiel de revenus intéressant ni pour le gouvernement de la province ni pour un éventuel embouteilleur. » Même aux États-Unis, où l'on retrouve environ la moitié des 11 000 usines de désalinisation du monde, la solution du transport de l'eau en vrac n'est plus reconnue comme étant concurrentielle. Pour que les Québécois s'enrichissent des activités reliées à l'exportation de l'eau, il faudrait que l'eau cesse d'être fournie gratuitement aux exportateurs. Ce qui signifie une taxe à l'exportation qui ferait augmenter le coût de l'eau vendue en vrac. Dans cette perspective, quel pays serait assez inconscient pour acheter l'eau à ce prix ?

Curieuse richesse qui ne cesse de nous appauvrir

Notre enrichissement passerait-il par l'exportation de l'eau embouteillée ? Tiens ! Il faudrait le demander à Naya, entreprise québécoise, mise en faillite technique entre autres par les pratiques commerciales états-uniennes de Coca-Cola. De toute façon, plusieurs multinationales développent maintenant le marché de l'eau d'aqueduc mise en bouteille et enrichie de minéraux, ce qui évite l'importation de l'eau du Canada, économisant ainsi des coûts de transport énormes.

Nous pourrions tenter de percer le marché de l'eau embouteillée dite «haut de gamme ». Dans ce cas, nous ciblons seulement les riches de ce monde. C'est un pensez-y bien lorsqu'on sait qu'une bouteille d'un litre d'eau coûte en moyenne à l'acheteur le même prix que 500 litres d'eau qui coulent du robinet; alors comment imaginer que la classe moyenne, dans les pays où elle existe, puisse s'offrir bien longtemps cette mode luxueuse. Évidemment, nous pouvons vendre de l'eau embouteillée aux pays que nous visitons, pour éviter la « turista »…

Au mieux pourrait-on accueillir et subventionner des multinationales étrangères qui créeraient ici quelques emplois, comme on l'a fait pour la compagnie italienne Parmalat, installée à Saint-Mathieu d'Harricanna en Abitibi, et qui ne paie aucune redevance au gouvernement québécois pour extraire de l'eau de notre territoire. Avant de nous enrichir, voyons à ne pas nous appauvrir et pour ce faire, évitons la prise de contrôle de l'eau québécoise par des sociétés étrangères.

Reste la solution de vider le Saint-Laurent pour répondre à la demande états-unienne

À première vue, il semble que seule l'exportation de l'eau par canalisation à partir des Grands Lacs vers les États-Unis jouisse d'un seuil de rentabilité potentiel. Il y aurait certainement création d'emplois temporaires en Ontario et au Michigan pour la construction des canalisations. Cependant la demande états-unienne dépasse annuellement le débit du fleuve Saint-Laurent; pouvons-nous nous priver de cette masse d'eau ? Non, explique la Commission Mixte Internationale (Canada/États-Unis), c'est trop dangereux, car il n'y a jamais de « surplus » d'eau dans le réseau des Grands Lacs.

Imaginez, les grands débits sortant des Grands Lacs procurent un apport en eau douce nécessaire à des lieux de pêche aussi éloignés que le golfe du Maine. Avec les changements climatiques en cours, le niveau des eaux baisse et cela doit nous inciter à faire preuve de prudence dans la gestion de l'eau, afin de préserver cette ressource pour les générations futures.

Exporter de l'eau et mettre en péril la santé écosystémique de nos bassins hydrologiques, pour encourager ceux qui défient systématiquement les lois du développement durable ? Je réponds NON.

* Cofondateur d’Eau Secours! – La coalition québécoise pour une gestion responsable de l'Eau