Ces ignorants qui nous gouvernent

 


Du premier ministre au gérant de ville



Walkerton, Ontario. Épidémie d'E.coli dans l'eau potable. Sept décès. Deux mille trois cents personnes intoxiquées. 155 millions $ pour réparer les pots cassés. La valeur foncière des propriétés a chuté de 1,1 million,$. Tout ça à cause d'un premier ministre privatiseur, apôtre du libre marché, auteur de la révolution du « bon sens », s'excusant maintenant devant les citoyens et citoyennes, d'un ministre de l'environnement incompétent et inconscient de l'effet des compressions budgétaires sur l'environnement, d'un gérant de la Ville, un imbécile qui pleure. Et maintenant, une population fragilisée et sceptique à jamais face aux discours des politiciens. Quel gâchis !

Le premier ministre de l'Ontario se qualifie lui-même d'ignorant, et pour preuve il déclarait le 29 juin 2001, devant la commission d'enquête publique sur l'épidémie d'E.coli à Walkerton 0 « Je peux vous assurer qu'à aucun moment on n'a porté à mon attention, ni à celle du cabinet, que l'application des coupures de budget du ministère de l'Environnement augmenterait les risques pour la santé et la sécurité des citoyens, où que ce soit dans la province ».

Il est quand même troublant de constater que le premier ministre cultivait son ignorance, puisque l'ancien directeur de la Santé publique de l'Ontario, le Dr Richard Schabas, a témoigné devant la commission qu'il avait été expulsé d'une rencontre du cabinet des ministres, en 1997, alors qu'il s'apprêtait à partager ses préoccupations quant aux effets des coupures sur la santé des Ontariens.

Il semble donc que la fourberie s'ajoute à l'ignorance, puisque Norm Sterling, ministre de l'Environnement, a reconnu que le dossier de la qualité de l'eau potable n'était pas dans ses priorités et qu'il n'avait jamais lu les objectifs de l'Ontario en matière d'eau potable - les normes en vertu desquelles les réseaux d'aqueduc fonctionnent. Il a aussi admis ne pas avoir demandé d'étude sur les effets de la privatisation des services de tests de la qualité de l'eau potable. Nommé à ce poste en 1996, M. Sterling succédait à Brenda Elliott, laquelle a témoigné et admis qu'elle ne s'était jamais opposée aux compressions du gouvernement.

Pourtant, selon les témoignages entendus à la commission, de nombreux documents, dont certains ont été transmis au cabinet ontarien, indiquaient clairement les dangers potentiels d'éliminer 750 emplois et de réduire de moitié le budget du ministère de l'Environnement au cours des trois années suivant l'élection des conservateurs, en 1995. Donc, ignorance, fourberie, incompétence, et comme toujours en filigrane, cette religion qui conduit les politiciens à détruire la fonction publique, créant alors un vacuum qui permet aux promoteurs prônant des valeurs du « Far West » de desservir les citoyens. Somme toute, un quatuor situationnel assez facile à retrouver ailleurs qu'en Ontario.

C’est pas suffisant de passer un règlement

Québec est-il à l’abri de l’erreur ontarienne

Malheureusement, au moment des évènements de Walkerton en mai 2000, la situation était la même au Québec. En coupant les budgets et en modifiant la mission du ministère de l'Environnement, le transformant en un organisme de soutien aux développeurs de tous acabits, le gouvernement québécois ignorait sciemment les risques qu'il faisait courir à la population.

Le tocsin sonné à Walkerton, les hauts cris d'Eau Secours !, du Syndicat des ingénieurs du gouvernement, de plusieurs scientifiques et intervenants en santé publique, ont finalement poussé le gouvernement à promettre une révision de la réglementation sur la qualité de l'eau du Québec. Plus d'une année s'est écoulée avant la nomination d'un nouveau ministre de l'Environnement, et encore plus de temps avant que les coupures de budget cessent et que le ministre siège enfin au comité des priorités du gouvernement.

Rien n’a été fait, mais le ministre Boisclair propose de faire encore plus

« Le Règlement sur la qualité de l'eau potable, en vigueur depuis le 28 juin 2001, fixe des normes de qualité et des contrôles de qualité qui permettent de vérifier si l'eau distribuée ne constitue pas un risque pour la santé des consommateurs », explique le ministre Boisclair. «Les municipalités et autres personnes couverts par le règlement ont jusqu'à juin 2002 pour se conformer à la nouvelle situation », ajoute-t-il. Nous devons comprendre que deux ans après les évènements de Walkerton, presque rien de concret n'aura été fait sinon certains travaux qui sont en cours de montage financier ou de réalisation.

Le ministre a placé la barre haute et les groupes environnementaux ne peuvent que s'en réjouir, mais sans perdre de vue que les analyses sont confiées aux laboratoires privés (répétition de l'erreur ontarienne) et qu'il semble manquer d'argent pour le soutien aux villes, lesquelles doivent faire face à des dépenses d'immobilisation non prévues. Pour le comité technique d'Eau Secours! qui a analysé le règlement sur l'eau potable, beaucoup de questions demeurent en suspens et ce ne sera qu'à l'usage, c'est-à-dire vers la fin 2003, que nous pourrons constater qu'il y moins de gastro-entérites au Québec.

La politique de l’eau

Une affaire de granolas et de mangeurs de sushi

Eau Secours! attend toujours avec impatience cette politique de l'eau, qui aiderait à mieux comprendre l'impact du nouveau règlement de l'eau potable sur l'ensemble de la gestion des eaux.

Par exemple, se servira-t-on des mêmes normes pour la qualité des eaux souterraines embouteillées ? À propos de cette politique de l'eau attendue depuis 1999, Martine Ouellet, présidente d'Eau Secours! insiste pour « que cette politique soit en place avant juin 2002, il s'agit d'assurer la santé de la population », dit-elle.

En effet, il est temps, car l'habitude récurrente des ministres de l'Environnement d'introduire les pièces législatives au goutte à goutte, prive les groupes environnementaux et les citoyens d'une vue d'ensemble sur la gestion de l'eau qui, grâce aux travaux de la commission Beauchamp, se profilait à l'horizon. (La politique couvrirait l'eau potable, les eaux usées, les eaux souterraines, la propriété de l'eau, l'exportation de l'eau , le contrôle des pollutions agroalimentaires, chimiques, etc.)

Le gouvernement ignore toujours la recommandation fondamentale de la commission Beauchamp

Récemment, la commissaire Gisèle Gallichan rappelait la recommandation fondamentale de la commission Beauchamp 0 attaquer les problèmes à leur source et assurer une prise en charge immédiate des eaux à l'échelle des bassins versants du Québec. Cette question était si urgente que la commission a recommandé à Québec d'instituer des comités de gestion « provisoires » dans tous les bassins versants du Québec, sans attendre leur institutionnalisation par lois et règlements. Cette recommandation demeure, à ce jour, ignorée par le gouvernement.

Bien sûr, pour certains ministres de ce gouvernement, l'environnement n'est qu'affaire « de granolas et de mangeurs de sushi ». Il serait temps que le premier ministre mette au pas ces ignorants, et qu'il retienne cette vieille leçon qui dit « vaut mieux prévenir que guérir ». Comme le dit Martine Ouellet, « la vision économique a occupé trop de terrain au sein du ministère de l'Environnement. Il est temps que ce ministère reprenne son rôle de protection de l'environnement, du suivi scientifique hydrique et du contrôle de la réglementation. »

Verra-t-on un jour ce ministère se mettre au service des citoyens et citoyennes aux prises avec des problèmes environnementaux qui menacent leur santé et leur sécurité ? Peut-être! Au moment où vous lisez ces lignes, un Walkerton au Québec est-il possible ? OUI.

Note au lecteur 0 Afin de faciliter la lecture, chacune des références précises n'apparaissent pas dans le texte. Elles proviennent de la presse canadienne et québécoise, de la commission d'enquête sur l'épidémie d'E.coli à Walkerton en Ontario, la Gazette officielle du Qc 28 juin 2000, no 26, du site du ministère de l'environnement du Québec et du site de référence d'Eau Secours! - La Coalition québécoise pour une gestion responsable de l'eau à 0 www.eausecours.org