Une histoire d'amour avec le Québec

 


Entrevue avec la chanteuse Soraya Benitez



Dès les premiers instants, j'ai su que j'avais devant moi une femme forte, engagée, authentique. Le contact est facile, la parole inspirée. D'origine vénézuélienne, la chanteuse Soraya Benitez vit une grande histoire d'amour avec le Québec, intimement liée à sa passion de la musique et de la langue française.

Née à Caracas au Vénezuela, Soraya est l'aînée d'une famille de quatre enfants dont elle est l'unique fille. On a l'impression que, dans cette famille de musiciens amateurs, le talent et la générosité se passent de mère en fille, de la grand-mère, qu'elle évoque avec tendresse, à sa mère dont elle a la voix et qui est au cœur de son inspiration.

Une autodidacte de la musique

Deux enfants sont devenus professionnels, Pablo, le frère cadet venu le premier au Québec, et Soraya qui l'a suivi en 1997. «J'ai grandi avec des tangos, des boléros et bien sûr avec la musique vénézuélienne. Depuis toujours mes oncles mettaient de la musique classique pour nous faire dormir. J'aime l'opéra, j'aime la musique populaire, la musique latino-américaine, l'expression humaine de la musique. »

La guitare est son instrument, mais elle a commencé avec le quatro, instrument à quatre cordes qui marque le rythme. « Je suis une autodidacte de la musique. Pour apprendre la guitare, j'étais toujours devant la télé et j'arrivais à voir les accords que les musiciens faisaient, alors je me disais cet accord-là peut aller pour telle ou telle chanson. C'est comme ça que j'ai commencé à faire mon propre travail d'apprentissage, à ma manière. » C'est vers l'âge de dix-treize ans qu'elle commence à chanter à l'église et découvre, en même temps que les autres, qu'elle a une voix. Une chaude et splendide voix de contralto. Il y a déjà chez elle un esprit d'indépendance qui ne la quittera plus.

Vedette au Venezuela

Elle fait rapidement carrière comme chanteuse, productrice et directrice de spectacles culturels. Elle joue, en 1983, le rôle principal de l'opéra rock « Josef and the Amazing… » de T. Rice et A.L. Weber. C'est une vedette. À la fin des années 90, elle décide cependant de tenter sa chance au Québec, consciente de ne pouvoir aller plus loin au Venezuela. « Je suis partie même si j'étais au plus haut qu'on peut atteindre dans ce pays. Ce n'est pas une société où tu peux t'épanouir, où tu peux être. »

Elle avait cru dans la possibilité de changer les choses en travaillant comme directrice de la culture au niveau municipal. Mais, dans les faits, ça bloque partout, parce qu'il n'y a pas de politiques culturelles permettant aux artistes de vivre. Et de plus en plus, constate-t-elle, c'est la musique pop anglophone qui domine alors que des artistes qui proposent des choses intelligentes ne sont pas écoutés. « Je ne sais pas où va le pays. Il a été très affecté par la corruption et ça blesse de voir l'être humain diminué, de voir des gens qu'on aime perdre leur travail. »

Chaque jour, il y a un peu plus de pauvreté. C'est la première fois, dit-elle, que les Vénézuéliens vont chercher la nourriture dans les poubelles. Pourtant, le prix du pétrole est tellement haut, mais tout passe pour le paiement de la dette. Quant aux femmes, il leur est très difficile de vivre dans une culture macho. Petit à petit, elles ont acquis une place et du pouvoir dans la société et leur milieu de travail mais, précise-t-elle, de façon individuelle et non politique, parce que si elles s'organisent, les hommes vont les écraser.

Le travail intérieur est plus important que les vocalises

Les différentes facettes de l'identité de Soraya, indissociablement vénézuélienne et québécoise, se fondent harmonieusement dans une vision généreuse du monde. On l'aura deviné, l'amour est la source de son inspiration. Elle est révoltée contre les gens qui sont toujours en train de se remplir les poches, qui ne pensent qu'à voler les autres. Ils ne se rendent pas compte, dit-elle, qu'ils sont en train de se voler eux-mêmes la possibilité d'être.

C'est la même vision du monde qu'elle applique dans la préparation de ses spectacles. Pour bien chanter, elle se prépare en elle-même, dans ses sentiments. Pour elle, le travail intérieur est plus important que les vocalises. «Je ne suis pas une femme qui se pose beaucoup de questions, je suis une femme qui se remplit d'émotions qui vont faire sortir les choses. Il faut s'arrêter, bien sûr, mais pour créer ».

Son rêve 0 mettre en musique des poèmes québécois

Le 31 janvier, elle commence une tournée qui la mènera jusqu'en Gaspésie où elle a déjà séjourné et qu'elle adore. Le 21 février, elle donnera au Café Campus un spectacle solo, Mujer (Femme), du titre de son disque, dont les bénéfices seront remis au Cran des femmes qui, depuis 1995, lutte contre la violence faite aux femmes. La chanteuse, entourée de ses musiciens et de ses choristes, y interprétera principalement des compositions tirées de son disque ainsi que quelques pièces inédites. Un disque envoûtant, où elle a mis le meilleur d'elle-même 0 sa passion et son espoir.

Côté projets, elle veut continuer à composer ses propres chansons et rêve de mettre en musique des poèmes québécois. «Je me sens chez moi ici ! Je voudrais être le miroir dans lequel les gens peuvent se retrouver. Ce n'est pas seulement parce que la ville est belle et que le Québec est un beau pays, mais c'est surtout à cause des gens. » Nous souhaitons bonne route à cette chanteuse libre et puissante, en qui nous nous reconnaissons aussi, elle qui a su d'emblée nous conquérir avec sa voix si chaude, sa passion profonde et la luminosité joyeuse de son regard.

Jeudi, le 21.02.02 à 20h au Café Campus, 57 Prince-Arthur Est. Billets en vente $20. Réservations 0 (514) 844-1010 ou au Réseau Admission (514) 790-1245 ou 1-800-361-4595.

Le coup de foudre québécois

C'est sous le signe de la musique et de la solidarité que s'inscrit d'entrée de jeu l'existence de Soraya au Québec. Quinze jour après son arrivée, elle, qui était l'une des directrices de la culture au Vénézuéla, descend dans le métro pour chanter. « Rester à la maison avec l'envie de chanter et de dire des choses, je pense que ça demandait beaucoup plus de courage ! », me répond-t-elle quand je luis dis qu'il fallait du culot pour se lancer dans cette aventure.

Cette expérience enrichissante ne dure pas longtemps, quinze jours plus tard, Francis Legault, de C'est bien meilleur le matin, la découvre et lui fait une entrevue. Tout se précipite, elle réalise une tournée des maisons de la culture, participe à plusieurs spectacles collectifs, passe à la télé et à la radio. Elle a le vent dans les voiles. Mais, ce qui a été déterminant pour elle, c'est sa rencontre avec Richard Desjardins, avec qui elle est passée deux fois en première partie à Québec et à Sherbrooke.

« Écouter la radio et la télé, c’est ma façon d’apprendre ! À l’oreille »

Le milieu artistique québécois a ouvert ses portes à Soraya et lui a aussi concrètement manifesté sa solidarité lors de ses démarches pour obtenir le droit de résidence au Québec. Des gens de la radio, comme Monique Giroux, Martine Jessop, Chantal Jolis, une quarantaine d'artistes dont Richard Desjardins, Sylvie Legault, Pol Pelletier, l'ont aidé dans sa démarche pour l'immigration en écrivant une lettre pour dire qu'elle devait rester au Québec.

C'est toujours aussi enthousiaste après cinq ans qu'elle se rappelle avoir eu l'impression d'être adoptée dès son arrivée ici. Lorsque je m'étonne qu'elle parle si bien le français, elle me raconte qu'elle a eu de bons professeurEs dont une qui a bien compris qu'elle avait sa propre méthode d'apprentissage, comme en musique 0 « Je n'aime pas faire de devoirs, j'aime beaucoup plus écouter la télé et la radio, c'est ma façon d'apprendre. À l'oreille ! »