Seul un État laïc peut garantir la liberté des femmes

 

Allocution de Pierre Bourgault, récipiendaire du prix Condorcet 2001, remis par le Mouvement laïque québécois

Mes chers amis,

Je vous dis d'emblée que je suis fort heureux de recevoir le prix Condorcet.

Je suis aussi heureux de recevoir le prix Condorcet parce que même si je n'ai pas fait de la laïcité le principal moteur de mon action, il n'en reste pas moins que je me suis toujours préoccupé de ce combat et que j'y ai participé quand j'ai cru qu'il le fallait.

Il y a une autre raison pour laquelle je suis heureux de recevoir ce prix, c'est parce que c'est la première fois de ma vie que je reçois un prix pour autre chose que la qualité de ma langue.

Il faudrait peut-être expliquer un peu aux Québécois, et davantage qu'on ne l'a fait jusqu'à maintenant, qui est Condorcet; parce que, pour la très grande majorité des Québécois, c'est un inconnu.

Parce qu'il défend le projet d'une école laïque, gratuite mais non obligatoire. Pour lui, l'instruction publique est le seul gage d'une démocratie éclairée et il considère que chaque citoyen doit être en mesure d'exercer en connaissance de cause sa souveraineté.

Il s'est battu pour les droits de l'homme, mais aussi ardemment pour les droits des femmes et des noirs. Au XVIIIe siècle, ce n'était pas très populaire.

Il a écrit sur l'admission des femmes au droit de cité.

« Rien ne peut empêcher qu'elle [l'instruction] ne soit la même pour les femmes et pour les hommes. En effet, toute instruction, se bornant à exposer les vérités, à en développer les preuves, on ne voit pas comment la différence des sexes en exigerait une dans le choix de ses vérités ou dans la manière de les trouver ».

Aujourd'hui où en sommes-nous ?

Nous en sommes à constater d'abord que, pour une démocratie qui soit vivante et vivable, la nécessité de la séparation de l'Église et de l'État est primordiale.

Il y a cinquante ans nous vivions au Québec un intégrisme intégral et le catholicisme était religion d'État. Que de temps perdu, pendant lequel nous aurions pu apprendre autre chose que la croyance en un dieu, ennemi de tous les autres dieux, forcément.

J'ai passé une grande partie de ma vie dans la vie des saints et des martyrs, et les martyrs aimaient mourir pour leur foi et pour leur dieu. Les saints martyrs canadiens sont allés au ciel, direct ! Ils n'y ont, sans doute, pas trouvé les soixante-dix vierges qu'on promet aux musulmans, allez savoir pourquoi !

Tout cela pour essayer de comprendre que les grandes religions monothéistes sont à la source de bien des maux. C'est pour une raison très simple, c'est qu'elles enseignent qu'il n'y a qu'un seul dieu. S'il n'y en a qu'un, les autres n'existent pas ou alors il faut les combattre et les anéantir. Et c'est ce qui se passe depuis des centaines d'années.

Ce qu'il faut reconnaître encore dans les religions monothéistes et qui me semble peut-être la chose la plus grave, c'est le sort qu'elles font aux femmes depuis toujours et qu'elles continuent de faire aujourd'hui.

S'il est une chose qu'on peut reprocher aux religions, c'est bien celle-là 0 la négation, par tous les moyens, de la moitié de l'humanité.

Et encore aujourd'hui quand on fait la bataille pour un État laïque, pour une école laïque, il faut toujours garder à l'esprit que seul cet État, seule cette école peut garantir contre les religions la liberté des femmes.

Et c'est pourquoi Condorcet est si important, parce qu'il a été sinon le premier du moins un des premiers à relier laïcité et liberté des femmes.

Il me semble que, dans les années à venir, un des objectifs auquel nous devrions tendre, c'est celui de la réflexion sur une morale laïque, et du refondement chez nous d'un morale laïque, morale laïque qui existe en Europe, mais qui existe bien peu ici.

Le bien commun repose essentiellement sur la liberté des esprits et des consciences.

Il n'y a pas de libertés individuelles sans libertés collectives.

Finalement, si nous voulons arrimer et conserver cette société laïque que nous souhaitons, il faut jour après jour et sans relâche défendre sur tous les fronts l'école laïque.

Tous les religieux ont bien compris qu'ils n'iraient nulle part s'ils ne s'emparaient de l'esprit des enfants ouvertement.

L'école est l'instrument absolu des intégristes de toutes sortes, c'est pourquoi le combat pour l'école laïque vient au départ de tous les autres combats qui en sont l'aboutissement.

Voilà ce que j'avais à vous dire.

Je continuerai bien sûr à me battre dans ce sens-là, pour combien de temps encore, je n'en sais rien, il faut espérer que tous ceux qui ont moins de cent ans prennent la relève.

Note 1

Le Mouvement laïque québécois a comme principaux objectifs la promotion et la défense de la liberté de conscience et la séparation de l'Église et de l'État. Adresse internet 0 www.mlq.qc.ca

Note 2

Philosophe, mathématicien et homme politique français, Jean-Antoine-Nicolas Caritat, marquis de Condorcet, est né à Ribemont dans l'Aisne le 17 septembre 1743.

De 1765 à 1774, s'étend la période purement scientifique de sa vie. C'est au cours de cette période qu'il est élu, le 25 février 1769, à l'Académie royale des sciences. En 1776, il est élu secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences , et en 1782 à l'Académie française. Dans les années qui vont suivre, le mathématicien et académicien va se consacrer de plus en plus à une activité militante0 défense des droits de l'homme en général, des droits des femmes et des Noirs en particulier. Il soutient la cause des jeunes États-Unis d'Amérique et propose des projets de réformes politiques, administratives et économiques destinées à transformer la société française.