Un autre monde est de plus en plus possible

 


Le deuxième Forum social mondial



Désormais, un spectre va hanter Davos, le FMI, la BM, l'OMC et les transnationales, le spectre de Porto Alegre. Les grands financiers du monde et leurs politiciens inféodés savent que 52 000 personnes de 131 pays ont clamé vouloir un autre monde et que ce monde est possible.

Les bannières sont repliées, les chants se sont tus, les affiches enlevées, les tentes du camp des jeunes emballées et les déléguésEs retournés dans leurs pays respectifs.

Mais il semble que cette fois, on ait avancé d'un cran et que les échanges ne sont pas demeurés au niveau de la parole et des bonnes intentions. Ce deuxième Forum social mondial s'est voulu non seulement un espace de rencontres et d'échanges, mais un élan de mobilisation populaire pour freiner et contrer le néolibéralisme tentaculaire qui envahit la planète depuis deux décennies.

Certains mots revenaient comme des leitmotive dans les conférences, dans les séminaires et dans les discussions conviviales qui se poursuivaient tard chaque soir 0 démocratie et solidarité, bien sûr, et aussi convergence, alternatives, pluralisme et stratégies.

La démocratie à la Pôrto Alegre

Ce n'est pas un hasard si ce grand rassemblement a eu lieu à Pôrto Alegre. Les habitants de la ville et l'État du Rio Grande de Sul ont élu le Parti des Travailleurs, –une vaste coalition allant de l'Église de Libération aux trotskystes, – qui a instauré un système de démocratie participative qui fait la fierté des citoyens. Leur budget participatif, décidé à la suite de consultations populaires qui impliquent les habitants des favelas comme les syndicalistes et les travailleuses autonomes, est une inspiration.

Mille logements sociaux par année (plus que Montréal pour une population bien inférieure) n'ont pas résolu tous les problèmes et pour chaque famille qui quitte un taudis pour un logement social, en arrive une autre attirée par la relative prospérité de la région. Des squats étaient là pour nous rappeler que malgré tous ses efforts, l'État ne fournit pas à combler les demandes. Et pourtant, la démocratie à l'œuvre à Pôrto Alegre venait confirmer le slogan du Forum, qu'un autre monde est possible.

Le Nord s’est mis à l’écoute du Sud

Pendant cinq jours, on a vécu loin du misérabilisme qui représente trop souvent les pays du Sud en proie à une indigence apparemment insoluble. Ici, le Nord apprenait du Sud des stratégies, des approches, des théories et des recherches habituellement étouffées sous la domination euro-américaine. Apprentissage et échanges amorcés dans des centaines d'ateliers qui se poursuivaient en petits groupes partout sur le campus et qui s'exprimaient concrètement dans une succession de manifestations 0 appui aux PalestinienNEs, aux ArgentinEs, à la Confédération des syndicats unifiés victimes d'un raid et d'un saccage de ses locaux, contre la ZLEA, contre les fondamentalismes.

De toutes ces sessions, j'en retiendrai deux en particulier 0 celle sur les migrations et le trafic des êtres humains et celle sur le thème « Reconsidérer la richesse » animée par des spécialistes en économie solidaire.

Dépassant les constatations aussi navrantes que révoltantes sur le nombre de personnes vendues et trafiquées, 80 % des femmes; les profits tirés de ce trafic – la troisième source illégale de richesse après le trafic des armes et celui de la drogue, – les panélistes s'attaquent aux causes que sont la pauvreté, exacerbée par le système de production et les politiques économiques néolibérales, alliés à l'âpreté au gain des trafiqueurs et des passeurs. Libre circulation des personnes, surveillance des frontières pour tous – pas seulement pour les basanés – et surtout meilleure qualité de vie sont des pré-requis à la fin des migrations forcées.

Tu boca es fundamental / Il faut parler et dénoncer

À la grande session sur l'économie solidaire, il fallait entendre Jean-Louis Laville affirmer que la question de la richesse est indissociable de la reconnaissance de la place des femmes, et inviter la quête de justice sociale, dans une économie non-capitaliste et non-patriarcale, à dépasser les considérations de redistribution pour s'engager dans des formes de socialisation non marchandes.

De toutes les bannières et affiches, une restera marquée dans mon esprit 0 « Tu boca es fondamental ». La bouche, c'est-à-dire la parole, est fondamentale. Il faut parler et dénoncer. Les femmes du Mercosur mènent une vaste campagne contre tous les fondamentalismes 0 religieux comme politiques et économiques. Elles étaient partout, distribuant des tracts et des masques ou, le soir de l'ouverture, lançant une montgolfière affichant l'appel contre le fondamentalisme. Si les femmes constituaient 43 % des déléguées – elles ont moins accès aux subventions pour voyager – elles étaient encore plus sous-représentées dans les panels, particulièrement dans ceux organisés par des groupes européens. Leur absence a été tellement dénoncée qu'on peut s'attendre à mieux l'année prochaine.

Qu'il s'agisse de fondamentalisme, de migrations, d'exploitation sexuelle ou de la marginalisation des peuples autochtones, on n'a jamais perdu de vue les causes ultimes, le capitalisme plus particulièrement dans sa forme néolibérale et ses politiques délégitimées quand elles sont mesurées à l'aune du bien-être des peuples.

Le slogan du FSM a été repris en portugais, en espagnol, en français et en anglais, par des participants de partout. Je retiens Viviane Barbot qui affirmait qu' «Un autre monde est possible et les femmes n'en seront pas exclues »; et l'économiste Kari Polanyi Levitt qui disait 0 « Un autre monde doit être possible car celui-ci est irrationnel ».