Une loi anti-terroriste ou anti-contestation ?

 

Le 13 février dernier, la Fédération des femmes du Québec (FFQ) organisait une assemblée publique pour discuter des impacts sur nos droits civils et sur l'immigration des lois anti-terroristes promulguées à la vapeur avant Noël. André Paradis de la Ligue des droits et libertés, la syndicaliste féministe Madeleine Parent, des représentantes de la FFQ et de différentes communautés ethniques ont dénoncé les effets pervers de ces pouvoirs illimités que les gouvernements se sont octroyés depuis le 11 septembre.

Il n'est pas inutile de rappeler que la loi C-36 permet aux forces de l'ordre d'interroger, de surveiller par l'écoute électronique, d'ouvrir le courrier postal ou électronique, de détenir et ficher des personnes sur lesquelles pèsent de simples soupçons d' « activités terroristes ». La loi permet la détention préventive sur la base des noms, des symboles, de l'habillement. Ainsi pourraient être arrêtés ceux qui portent la barbe ou celles qui revêtent le hijab. Et gare aux noms arabes considérés comme de véritables bombes en puissance !

La stabilité économique passe-t-elle avant la liberté politique ?

La définition proposée des activités terroristes dans le projet de loi est à ce point vague, imprécise et d'une portée tellement large, souligne la Ligue des droits et libertés, qu'elle permet d'englober des formes de contestation ou de dissidence n'ayant aucun rapport avec le terrorisme, comme des grèves illégales, des actions de désobéissance civile ou encore des manifestations publiques.

Comment ne pas penser, comme l'une des oratrices, à la Loi des mesures de guerre de 1970 ? Selon le document d'analyse réalisé en novembre dernier par huit avocats et criminologues, « il est inquiétant de constater que la lutte au terrorisme ne semble pas être l'unique objet du projet de loi puisque la nécessité de protéger la stabilité économique canadienne y est affirmée à plusieurs reprises ». Donc, toute contestation du fédéralisme ou de la mondialisation des inégalités et de l'exclusion pourrait être considérée comme une forme de terrorisme parce qu'elle remettrait en question la stabilité canadienne ou la dictature des transnationales sur nos vies.

En Iran, la délation était monnaie courante

Une représentante de l'Association des femmes iraniennes de Montréal (AFIM), Elaheh Machouf, a fait part à l'assemblée de son inquiétude face à des lois répressives qui ne sont pas sans évoquer celles qui ont été promulguées en Iran au lendemain de la proclamation de la République islamique faisant de toute dissidence une atteinte à la sécurité de la république passible d'emprisonnement ou de mort.

Comme sous le nazisme, la délation de la part de voisins est monnaie courante en Iran. Petit à petit, les contestataires pratiquent l'autocensure, sont acculéEs à l'enfermement et à l'inaction. Une famille iranienne de Montréal a récemment fait l'expérience de cette forme de répression lors d'une cérémonie de deuil dans sa résidence, qui a incité les voisins à téléphoner à la police pour dénoncer un rassemblement qui leur semblait suspect étant donné la nationalité de ces personnes. Désormais, conclut Elaheh Machouf, on est en butte à la peur d'être dénoncéE si on se réunit, si on soutient financièrement des associations légales, si on a la peau bronzée ou un nom à consonance étrangère.

McCarthy, Duplessis, et... Jean Chrétien

Avec la ferme conviction qu'il faut réagir de toute urgence, Madeleine Parent s'est demandé où étaient les militantEs quand la loi a été adoptée et comment on a pu la laisser passer sans protester. Comment oublier le maccarthysme, du nom du sénateur républicain Joseph McCarthy, qui a sévi à la fin des années quarante comme président de la Commission sur les activités anti-américaines, forçant des personnalités politiques, des artistes et des intellectuelLEs à témoigner et à reconnaître leur culpabilité, sur de simples présomptions de sympathies communistes.

Lors d'une véritable chasse aux sorcières, il s'est appuyé sur la peur et la délation pour terroriser ou ruiner ses victimes en menaçant d'accusations de complicité toute personne qui leur donnerait du travail. Nombre de progressistes ont dû s'exiler ou ont été ainsi acculéEs au suicide.

Mme Parent rappelle qu'ici au Québec, Duplessis a sauvagement réprimé les syndicats qui revendiquaient de meilleures conditions lors des grandes vagues de grèves qui avaient également lieu à la même époque au Canada et aux États-Unis. Mais, souligne-t-elle, le monde du travail n'a pas été le seul à réagir, il y a eu Le Refus global qui a fait entendre la protestation des artistes contre l'intolérance, l'injustice et le fait qu'on voulait faire du Québec une société fermée, repliée sur elle-même, dirigée par quelques tyrans, avec souvent la complicité de l'Église, où les gens n'avaient aucune chance de vivre comme ils l'entendaient.

Madeleine Parent nous invite à refuser ce genre d'imposition sur nos droits et se dit convaincue qu'à la fin on va gagner. L'assemblée s'est entendue pour faire circuler une pétition de protestation contre l'arbitraire de la loi et pour porter devant les tribunaux toute atteinte à nos droits et libertés. Face à cette offensive planétaire de répression sans précédent, une extrême vigilance est de rigueur ainsi que l'organisation de la résistance en profitant de nos expériences passées.