Entrevue avec Bairbre de Brùn, ministre de l'Irlande du Nord

 

C'est debout dans un coin d'un petit pub surchauffé de la rue Saint-Denis à Montréal, littéralement empilés les uns sur les autres, que j'ai rencontré la ministre de la Santé de l'Irlande du Nord, Mme Bairbre de Brùn.

La place débordait d'Irlandais de cœur, du Québec et d'ailleurs, venus entendre tout autant la députée militante du Sinn Féin.que l'ancienne professeure d'irlandais (gaëlique) à l'université Concordia.

L'horaire était tout aussi bousculé (et bousculant) que lors de notre premier entretien, il y quelques années, lorsque je l'avais rejointe par téléphone, entre deux réunions du Sinn Féin, dans le tumulte du Belfast d'alors.

Pas trop de présentation, cette fois-ci non plus. Tout de go dans le vif du sujet. Quoi penser de tout ça, Mme la ministre ? De la santé de la paix, de ses perspectives en Irlande du Nord ? Les réponses sifflent littéralement de la bouche de cette femme d'action toute menue et énergique, négociatrice des Accords de paix du Vendredi saint (1998).

Plus complexe que la guerre

« Les négociations de l'accord ont lancé l'Irlande sur le chemin d'une nouvelle société, nous dit-elle. L'accord permet de poser les premières pierres d'un réel projet d'Irlande unie fondée sur l'égalité et le pouvoir au peuple. Le plus difficile n'aura donc pas été l'accord en soi, mais bien de l'appliquer, de le réaliser, de lui rendre ses plus beaux fruits. »

« En un sens, poursuit la ministre, c'est une démarche militante plus difficile, moins simple à comprendre que la guerre. Nous apprenons toutes et tous ensemble. Nous initions de bout en bout de nouvelles institutions politiques au nord d'une part et entre le nord et le sud (Dublin) de l'autre. Notre nouvelle assemblée parlementaire au nord fonctionne avec un comité exécutif formé de douze membres issus d'organisations opposées. C'est loin d'être une coalition !! Mais on doit travailler ensemble, comité exécutif et assemblée. On doit en arriver à produire des services d'État pour les deux communautés du nord, à mettre fin aux dédoublements néfastes et coûteux en santé, en éducation, en intervention sociale… »

« Il en va de même entre les populations du nord et du sud, poursuit-elle. Ainsi, par exemple, aux ministères de la Santé et de l'Éducation de l'Irlande du Nord, nous collaborons étroitement avec nos vis-à-vis du sud. »

De la répression à la démocratie

Et la répression ? La militante négociatrice place le décor, dans toutes ses teintes. « On évolue, en termes de droits humains, vers une société basée sur l'égalité plutôt que sur la discrimination, précise-t-elle. Warren Almand (ancien solliciteur général du Canada, présent dans le pub) et la nouvelle Commission sur les droits humains et l'égalité ont fait un très bon travail. Il en reste beaucoup à accomplir. Il y a encore plusieurs attaques contre les domiciles de nationalistes. »

Et la police ? « On est en processus de création d'une nouvelle police, souligne-t-elle. Auparavant, on avait une force policière, une force pour surveiller les opposants à l'État. Ce temps-là est révolu ! On veut dorénavant un service policier, pas une force, un service, un vrai ! Et un système judiciaire pour tout le monde. Ce sont deux conditions essentielles pour passer de la répression à la société démocratique. »

L'exemple de la nouvelle Afrique du Sud

La ministre cite allègrement à cet égard l'expérience de transition de l'Afrique du Sud de Nelson Mandela, avec lequel, précise-t-elle, le Sinn Féin a toujours entretenu des rapports chaleureux. «Cette transition, reprend mon interlocutrice, est incontournable pour faire avancer l'Irlande vers l'unification au cours de la prochaine décennie. Il faut atténuer les objets de tension, apprendre à travailler ensemble, entre Irlandais catholiques et protestants, sans peur des débats. On doit maintenant pouvoir s'expliquer, retravailler le droit d'exister ensemble. »

« Il y aura UNE Irlande, affirme-t-elle, ce n'est pas un rêve illusoire mais bien une réalité historique qui arrive à nos portes. Il faut donc poser les premiers jalons de cette Irlande réunie où les Irlandais protestants compteront pour 20 % de la population. Ce qui n'est pas rien, alors que ces derniers dans le Royaume britannique, par contre, ne représentent comme Irlandais que 3 % de la population. »

Rappelons que les Irlandais protestants dans le sud occupent 10 % de la population et 52 % dans le nord. Le sud irlandais compte plus de 3 millions d'habitants et le nord 1,2 million.

« On voudrait, relance Bairbre de Brùn, être un exemple de paix active pour la population internationale. Nous ne sommes pas seuls sur la terre dans cette situation ! On n'a pas le choix, on doit travailler ensemble. Les choses vont finir par être mieux qu'avant ! On cherche une véritable réconciliation nationale. »

Référendum au pluriel

Ce qui sous-tend donc un référendum ? « Ou plutôt, comme chez vous, DES référendums ! » précise en souriant l'ancienne professeure de Concordia. « Dernièrement, David Trimble (premier ministre protestant de l'Irlande du Nord) pensait nous piéger au Sinn Féin en lançant l'idée d'un référendum au nord. Nous nous sommes d'emblée prononcés en faveur d'une telle consultation. Et ce, même si les catholiques ne représentent que 48% de la population au nord. Parce que nous croyons foncièrement à la pédagogie populaire d'une telle démarche large et démocratique. Parce que le Sinn Féin, depuis toujours, c'est le cœur de la nation irlandaise, le moteur du changement social et politique. Parce que s'il y a quelque chose que les détenus politiques irlandais ont pu nous apprendre, n'est-ce pas, justement, la patience et la ténacité!... »

Ce avec quoi je pouvais difficilement être en désaccord !!