Qui gouverne nos villes ?

 


Favoritisme, détournement de fonds, patronage...



Dans le nouveau paysage politique qu'a légué l'ex-ministre des Affaires municipales et de la Métropole, Louise Harel, il ne se passe pas une semaine sans qu'un nouveau scandale éclabousse les partis municipaux de la région de Montréal. Pas même deux mois passés au pouvoir que diverses histoires de contrats, de favoritisme, de détournement de biens publics surgissent ici et là. Devant tant de malversations, l'honnête citoyen-payeur-de-taxes a bien raison de s'interroger sur la conduite des affaires de la cité. Mais au fait, qui gouverne ?

En général, les équipes qui se présentent devant l'électorat au municipal partagent un certain nombre de points communs. C'était d'ailleurs tout particulièrement le cas pour les six partis de tendance fédéraliste qui se sont présentés à Montréal (Équipe Tremblay et Équipe Bourque), à Laval (Équipe Vaillancourt et Équipe Garceau), à Longueuil (Équipe Oliver) et à Québec (Équipe Boucher) lors des élections municipales du 4 novembre 2001.

Ces points communs, déjà nets chez les candidats, sont d'ailleurs plus marqués chez les élus, davantage aux postes supérieurs (rassemblant le maire, les membres des comités exécutifs et les présidents d'arrondissement), et même plus encore au sein des comités exécutifs, l'instance suprême du pouvoir au municipal.

Le profil occupationnel

Les équipes sont majoritairement masculines. Il s'agit pour les trois quarts d'entre elles de francophones, quoique environ 60 % à Montréal, et tout juste un peu plus de 50 % au sein du comité exécutif montréalais. De manière générale, ils sont moyennement scolarisés et occupent des emplois moyennement rémunérés, souvent sans sécurité d'emploi. Il faut dire que les postes de conseiller municipal sont peu rémunérateurs et peu attrayants.

Sur le plan occupationnel, plus de 83 % des candidats des six partis de tendance fédéraliste appartiennent à un premier bloc d'occupations (le pourcentage équivalent, pour les trois équipes de tendance souverainiste, n'est que de 62 %). Les candidats proviennent des petits milieux d'affaires, de l'administration privée ou publique, du personnel politique issu des partis municipaux, provinciaux ou fédéraux, en plus de quelques membres des professions libérales (avocatEs et notaires, architectes, infirmiers).

Le poids de ce premier bloc occupationnel augmente chez les élus et aux postes supérieurs, grâce notamment à l'augmentation marquée du poids du personnel politique. Il atteint les 100 % ou presque dans les comités exécutifs de Montréal, Longueuil et Laval.

Beaucoup de fédéralistes

Partout, les affiliations partisanes des candidats avantagent les partis de tendance fédéraliste. Chez Équipe Tremblay, 21 de ses 101 candidats étaient affiliés aux partis fédéralistes. Il s'agissait surtout de libéraux provinciaux, quoique identifiés à leur aile radicale (on ne comptait que deux candidats affiliés aux souverainistes). Cette proportion atteint les 50 % au sein du comité exécutif du maire Tremblay, dont trois ex-députés libéraux et l'ex-chef de l'Equality Party.

Avec 27 candidats sur 103 affiliés aux partis fédéralistes, Équipe Bourque n'est pas en reste (seulement trois candidats affiliés aux souverainistes). Il s'agit là aussi de fédéralistes radicaux, mais leur affiliation les ramène du côté des partis fédéraux. Quant à Jacques Olivier, maire de Longueuil et ex-ministre libéral fédéral, et à Équipe Vaillancourt, à Laval, les deux administrations sont reconnues pour disposer de solides entrées dans les cercles fédéralistes.

Comment on se fait connaître pour se faire élire

Les caractéristiques de ce personnel politique sont tout simplement remarquables. Les partis réunissent quantité de candidats peu scolarisés, vulnérables sur le plan économique et sans expérience politique municipale 0 cette situation favorise l'ascendant du chef sur ses troupes.

L'accès au pouvoir fait d'autre part une place de choix au personnel politique, aux ambitieux et aux intrigants, dont certains sont impliqués de longue date au municipal tout en gardant le cap sur une éventuelle carrière au sein des partis fédéralistes.

Les premiers comme les seconds comprennent fort bien l'importance du réseautage pour l'accès aux postes les plus importants. Pourtant très occupés dans leurs trois ou quatre entreprises, ces agents immobiliers, attachés politiques, administrateurs ou courtiers d'assurances fréquentent en grand nombre les Chevaliers de Colomb et autres Clubs Optimistes, sont des entraîneurs de baseball, de hockey ou de soccer les fins de semaine, s'investissent comme marguillier de paroisse, dans la communauté ethnique, dans les comités de parents ou chez les scouts. On les retrouve dans des associations de marchands ou de gens d'affaires ultra-locales qu'ils ont souvent eux-mêmes créées.

Ils apparaissent dans les guignolées, se dévouent pour les maladies du cœur, font des discours, remettent des prix et serrent les mains sur les estrades d'honneur lors des fêtes de quartier. Ils parviennent même à se faufiler au sein de conseils d'administration d'une foule d'organismes culturels et artistiques. Leur véritable mérite est d'être figure bien connue. Forts de cette reconnaissance et prêts à endosser n'importe quel parti, ils briguent les suffrages et se font élire.

Leur élection n'est qu'une étape dans leur carrière politique. Une fois au pouvoir, ils continuent à étendre leur réseau en représentant la ville dans les conseils d'administration des organismes publics de développement économique et de transport, ceux voués aux arts et à la culture, aux loisirs et à l'environnement, dans les CLSC et les hôpitaux, des offices municipaux d'habitation, les conseils scolaires. Les plus habiles acquièrent une réputation qui en fait des recrues de choix pour les partis des paliers supérieurs.

Un remède 0 le scrutin proportionnel

Le mode de scrutin majoritaire ne favorise pas la démocratie. Il concentre le pouvoir entre les mains d'un chef omnipotent et tend à éliminer l'opposition. Dans le cas montréalais, les deux partis sont fédéralistes et présentent à peu de choses près le même profil ultraconservateur. Ce même profil caractérise aussi les équipes au pouvoir à Longueuil et Laval. Dans ces trois cités, les souverainistes, majoritaires chez les francophones, sont refoulés en marge du pouvoir. Sans implication des milieux syndicaux et populaires et sans possibilité d'accès réel à la représentation, même s’il ne s'agit que de l'opposition, le diagnostic est clair 0 la démocratie municipale est malade. Elle ne parvient pas à représenter les courants importants de la société.

L'implantation d'un mode de scrutin proportionnel permettrait de corriger ces lacunes. Il procurerait aux milieux progressistes et aux souverainistes la possibilité d'être présents au sein des conseils municipaux. Il leur permettrait de scruter les moindres gestes des administrations, d'alerter l'opinion publique et même, pourquoi pas, d'accéder au pouvoir. Il n'est que temps que soit modernisé le mode de scrutin majoritaire, élément essentiel de la dépendance politique du Québec.