371 arrestations pour 45 minutes de démocratie

 

La manifestation du 15 mars dernier à Montréal contre la brutalité policière illustre de façon non équivoque toute l'ampleur de la dérive répressive qui, sournoisement, s'installe au sein de notre société. Organisée conjointement par le Collectif opposé à la brutalité policière (COBP) et le Mouvement Action Justice dans le cadre de la Journée internationale contre la brutalité policière, elle s'est soldée par l'arrestation de 371 des 400 à 450 personnes qui y participaient, et ce, au terme d'une marche qui n'aura duré que 45 minutes ! À titre de comparaison, la manifestation qui se tenait le même jour à Barcelone lors du Sommet des chefs d'État et de gouvernement de l'Union européenne n'a donné lieu qu'à l'arrestation d'une quinzaines de personnes sur les quelque 40 000 personnes présentes...

Si l'intolérance et l'abus de pouvoir des policiers à l'égard des manifestants a cette fois atteint des proportions sans précédent, les arrestations de masse sont loin d'être inusitées. Cette pratique, qui consiste à court-circuiter systématiquement les manifestations en procédant, sous divers chefs d'accusation (attroupement illégal, méfait public, « avoir troublé la paix », etc.) à des arrestations arbitraires, tend même à se généraliser. Si des citoyens de tous âges en ont été victime, elle cible tout particulièrement les jeunes et les collectifs de citoyens qui, certes, ne disposent pas des moyens organisationnels qui sont ceux des grandes centrales syndicales, par exemple, mais dont les revendications sont tout aussi légitimes.

Condamnant à chaque occasion à l'expérience éprouvante de la détention et du jugement plusieurs dizaines (cette fois des centaines !) de citoyens engagés et pacifiques, alors qu'ils n'ont commis aucun autre «méfait » que celui d'avoir manifesté sur la place publique en faveur d'une cause qui leur est chère, ces véritables « captures » policières ne visent qu'à intimider les manifestants afin de les décourager de descendre dans la rue. Elles témoignent d'une profonde ignorance, voire d'un mépris crasse de la part des policiers du droit à la manifestation en démocratie, et elles s'inscrivent plus largement dans l'inquiétant mouvement de criminalisation de la contestation dont la loi

C-36 sur la « lutte au terrorisme » est la manifestation la plus menaçante.

Alors que de tels abus devraient être dénoncés, ils sont invariablement banalisés par les médias et l'opinion publique. L'absence de mise en perspective des événements, l'absence de sens critique ainsi que la complaisance dans une facilité qui amène les journalistes à se faire aveuglément les relais de la version des policiers, ne caractérisent que trop souvent la couverture des manifestations. Plus troublant encore, le sensationnalisme ambiant, en donnant systématiquement préséance aux dégâts matériels et à l'intervention des policiers, détourne l'attention des revendications citoyennes, en plus de contribuer à la démonisation croissante des jeunes manifestants. Il est même difficile de ne pas parler de véritable désinformation, quand on pense que l'on a qualifié partout de « saccage » la manifestation du 15 mars, qui pourtant n'a donné lieu qu'à six vitres brisées et deux auto-patrouilles endommagées ! Tout se passe comme si l'on avait raisonné à l'envers, comme si l'on était parti du nombre d'arrestations – soit le plus grand nombre en une nuit à Montréal depuis la première journée d'application de la Loi des mesures de guerre en 1970 ! – pour conclure au saccage, présumant la perfection de nos lois, l'infaillibilité de nos policiers et la brutalité de nos jeunes...

Ce traitement manichéen de l'information est inadmissible. Il entretient l'ignorance et l'absence de réflexion quant aux grands enjeux qui sous-tendent l'un des piliers d'une vie politique saine. Il est urgent de susciter un débat de fond sur la place de la contestation en société et sur notre seuil de tolérance à son égard. Ce mandat échoit au premier chef aux journalistes et aux juristes, lesquels doivent questionner la constitutionalité des lois qui régissent les manifestations ainsi que le travail des policiers pour les encadrer. Aussi, tous doivent s'élever contre le durcissement des lois et le pouvoir accru des forces de l'ordre, notamment en vertu de la nouvelle loi C-36.

Il convient également de substituer à la condamnation primaire des actes de violence isolés commis lors des manifestations, et à la déshumanisation de ceux que l'on a bien hâtivement baptisé « casseurs », une réflexion autrement plus féconde sur les causes de la violence, de l'exclusion et de la marginalité. Il en va de la sauvegarde du principe démocratique sensé animer notre société; un principe qui, on l'oublie trop souvent, ne saurait se réduire à l'exercice passif du vote...