Idola Saint-Jean (1900-1945)

 


Une combattante féministe



Militante féministe, politicienne, actrice, enseignante, Idola Saint-Jean a connu une vie extrêmement riche que notre mémoire collective ne peut se permettre d'oublier. Le 8 mars, pour la Journée internationale des femmes, la Commission des lieux et monuments historiques du Canada dévoilait une plaque au Monument National pour commémorer l'importance de cette pionnière du féminisme au Québec. Celle qui est déjà représentée par un beau bronze dans le Salon rouge du Monument National, près de Gratien Gélinas, d'Albani et de quelques autres, mérite qu'on fasse un retour sur sa vie pour comprendre les raisons de tant d'honneurs.

Le lieu ne pouvait être mieux choisi 0 Saint-Jean y avait enseigné la diction sous les auspices de la Société Saint-Jean-Baptiste durant les années vingt. Elle a très tôt été liée au monde du théâtre et montait sur les planches à vingt ans. Elle suit des cours de mise en scène et va poursuivre ses études à Paris auprès des grands comédiens du tournant du siècle, Coquelin et Renée Dumesnil.

C'est surtout sur la scène sociale et politique qu'elle a laissé sa marque. Durant l'épidémie d'influenza de 1918, elle dirige le Comité de secours français pour les victimes de cette grippe meurtrière. Si elle s'adonne au bénévolat, elle doit quand même gagner sa vie. Née dans une famille bourgeoise, elle est orpheline de père à 14 ans et ne partage pas l'insouciance matérielle de sa classe d'origine. Elle est donc professeure de diction chez elle, dans des écoles et à l'Université de Montréal, l'Université McGill et au YMCA. Ses besoins quotidiens ainsi assurés, elle peut donc se consacrer à l'action militante.

Sensible aux injustices dont sont l'objet les femmes au Québec, à l'impossibilité de voter aux élections provinciales et à l'iniquité du Code civil, en 1922, elle entre au Comité provincial du suffrage féminin. Devant l'opposition des évêques, la présidente Marie Gérin-Lajoie remettra sa démission. Le Comité périclite et, en 1927, Saint-Jean met sur pied une nouvelle organisation féministe, l'Alliance canadienne pour le vote des femmes du Québec. L'année suivante, Thérèse Casgrain transformera le Comité provincial du suffrage féminin en Ligue des droits de la femme. Il ne faut pas voir ici une rivalité. Elles conjugueront leurs efforts, mais elles s'adressent à un public différent.

Les Québécoises, dans les villes surtout, n'étaient pas indifférentes à leur statut de citoyennes de deuxième classe. Elles suivaient les débats de l'Assemblée législative quand, treize fois entre 1929 et 1940, un député déposait un projet de loi en faveur du suffrage féminin. Et chaque année, une délégation de femmes des deux grandes organisations, l'Alliance et la Ligue, vont à Québec entendre des hommes décider pourquoi elles ne peuvent voter.

Les députés invoquent le fait qu'elles sont mères, ou devraient l'être, et qu'aller aux urnes contreviendrait à leur rôle « naturel ». Ils disent aussi qu'en allant voter elles seraient exposées à des discours qui choqueraient leurs chastes oreilles. Plusieurs croient qu'elles doivent d'abord faire leur éducation politique. Et dans les journaux, on ne parle que de leurs chapeaux et on les compare aux plantes venues égayer le parlement des hommes. Comme ce brave député, pourtant défenseur du vote des femmes, qui affirme que si un jour elles étaient élues à l'Assemblée, « elles y trouveront une place comme les fleurs qui ornent nos foyers ». Moins poétique, un autre élu du peuple offre ses culottes à Idola Saint-Jean puisqu'elle veut faire comme les hommes ! Malgré les insultes et le ridicule – un député les a traitées de « trotteuses de hustings (plateformes électorales) » – chaque année elles font leur pèlerinage à la galerie de l'Assemblée.

Les femmes doivent obtenir le droit de vote, mais elles doivent aussi cesser d'être reléguées au rang de mineures dès qu'elles se marient. Le Code civil soumet alors les femmes à l'autorité maritale et les enfants à l'autorité paternelle. En clair, ceci veut dire que sans contrat de mariage, les biens matrimoniaux sont administrés par le mari; les femmes mariées n'ont pas droit à leur salaire; elles ne peuvent ouvrir un compte en banque; elles ne peuvent siéger sur un jury; elles ne peuvent prendre de décision au sujet de leurs enfants, par exemple donner leur consentement pour faire enlever des amygdales.

Pour combattre ces inégalités, Saint-Jean écrit dans la revue de l'Alliance, La Sphère féminine, et, en 1929-1930, elle se sert de la page féminine du Montreal Herald, « pour la femme qui travaille et pour la mère de famille » en français et en anglais, pour exposer toutes les conséquences concrètes de ces injustices; on l'entend à la radio où elle anime une émission bilingue hebdomadaire L'Actualité féminine/Feminine actuality; et elle écrit au gouvernement. En 1929, elle plaide devant la Commission Dorion sur les droits civils de la femme. Plus tard, elle présente un mémoire à la Commission MacMillan du Canada sur les banques réclamant la possibilité pour les femmes d'ouvrir un compte en banque. Droit qui leur sera accordé. En 1935, Saint-Jean achemine une pétition de 10 000 signatures en faveur du droit de vote au roi Georges V.

Idola Saint-Jean, comme toutes celles qui luttent pour la justice, n'est pas la femme d'un seul combat. Comme secrétaire du Comité de la cour juvénile, elle a défendu les droits des jeunes contrevenants. Pendant la montée du nazisme au début des années trente, elle milite pour le désarmement et pour la paix, jusqu'à la déclaration de la guerre en 1939, geste qu'elle juge une « nécessité regrettable pour défendre la civilisation ». Elle n'a jamais craint de s'identifier à la classe ouvrière 0 «une classe sociale à laquelle j'ai l'honneur d'appartenir », déclare-t-elle fièrement. Elle défend les intérêts des travailleuses et, en 1925, elle est à la Commission du salaire minimum pour les femmes. Il n'est pas étonnant qu'en 1929, après que les femmes eussent obtenu le droit de siéger au Sénat, des clubs ouvriers recommandent sa nomination comme sénatrice. Cependant, cet appui a peu de poids auprès du gouvernement conservateur.

Sans se décourager, aux élections fédérales de 1940, Saint-Jean se porte candidate libérale indépendante dans le comté de Dorion-Saint-Denis. Elle recueillera 1732 voix. Elle sera là, à 61 ans, quand les femmes obtiendront le droit de voter aux élections provinciales. L'Alliance devient l'Alliance canadienne des électrices du Québec et poursuit son combat pour le droit de vote des femmes mariées aux élections municipales, les pensions de vieillesse et les allocations aux mères.

La prochaine fois que vous irez au Monument National, n'oubliez pas de regarder la plaque.