La peur des petits cochons remplace celle du méchant loup…

 


Les mégaporcheries de La Matapédia



L'industrie porcine, telle un loup dans la bergerie, fait naître les plus grandes inquiétudes au sein de la population de la vallée de La Matapédia. L'arrivée prochaine de mégaporcheries sur ce territoire, dont deux projets, un à Sayebec (2500 porcs) et un autre à Saint-Léon-le-Grand (1300 truies), a incité la municipalité d'Amqui à organiser une soirée d'information et de débat sur le sujet. Près de 400 personnes ont assisté à cette soirée.

L'inquiétude s'est d'abord manifestée à Saint-Léon-le-Grand lorsque des citoyens ont pris connaissance qu'un projet de maternité porcine avait été adopté par leur conseil municipal. Lors de l'assemblée publique, ce projet était à l'étude par le bureau régional du ministère de l'Environnement. Les citoyens ont par la suite formé le comité PENSE (Population ENgagée pour la Sauvegarde de l'Environnement) afin de faire contrepoids au pouvoir des intégrateurs.

Un agression environnementale

Selon Michel McNicoll, président du comité et membre du panel lors de la soirée d'information, « pour les citoyens de Saint-Léon-le-Grand, ç'a été une agression environnementale, cette histoire-là. Il n'y a pas de guerre contre les agriculteurs, ajoute-t-il, sauf contre ceux qui veulent nous enlever notre qualité de vie ». Si des intégrateurs comme PURDEL (voir encadré) ou BRETON veulent s'établir dans la vallée de La Matapédia, McNicoll soutient que la population s'y opposera. Pour l'instant, il demande un moratoire sur le développement des porcheries sur le territoire matapédien.

La crainte, source de l'opposition

L'information diffusée par le comité a suscité les craintes du conseil municipal d'Amqui, notamment du maire Gaétan Ruest, qui a pris l'initiative d'organiser cette assemblée publique. Afin d'introduire le sujet et de provoquer le débat, les organisateurs avaient invité quelques personnes ressources. Les promoteurs du projet de Saint-Léon-le-Grand, PURDEL et la Coop de La Matapédia, étaient malheureusement absents lors de l'assemblée. Cependant, le président de l'Union paysanne, Roméo Bouchard, a donné le ton à l'assemblée en s'opposant haut et fort au développement de l'industrie porcine.

Le cochon, la truie et le purin

Selon Roméo Bouchard, le seul rempart contre le ravage des mégaporcheries consiste à faire pression sur les élus municipaux afin de changer la situation créée par la Loi sur la protection du territoire agricole qui institue le «droit de produire » des agriculteurs. De plus, ce droit est renforcé par la loi 184. Celle-ci permet à un promoteur de s'établir en toute légalité sur un territoire et d'y faire de l'élevage intensif, et ce, en limitant les contraintes environnementales et légales. Bouchard rappelle toutefois que certaines MRC ont été obligées d'établir un moratoire à la suite de la mobilisation de leurs citoyens. « Le contrepoids des citoyens au lobby de l'industrie, c'est notre seule prise. On peut faire changer les choses ! », ajoute-t-il.

Roméo Bouchard craint la venue du loup dans la bergerie. «Cette industrie, dit-il, si on la laisse aller, selon le mode de production qu'elle privilégie, va détruire complètement l'agriculture au Québec. » Il soutient que si la population de la vallée de La Matapédia permet l'entrée de cette industrie sur son territoire, celle-ci prendra en peu de temps toute la place. « L'industrie porcine, explique Bouchard, a besoin d'espace pour étendre son purin et elle a les moyens d'acheter tout le monde. »

L’agriculture propre, ça coûte cher

Les seules voies acceptables dans le domaine porcin, rappelle Roméo Bouchard, sont l'élevage sur litière et l'établissement d'une norme simple et efficace 0 une unité animale par hectare. Les autres avenues sont de la poudre aux yeux. « Les Plans agro-environnementaux de fertilisation (PAEF) peuvent être des outils agronomiques intéressants pour les agriculteurs, mais ce ne sont pas des outils de protection de l'environnement », affirme Bouchard. Ce point de vue s'oppose clairement à celui de Marcel Michaud, agronome et expert en confection des PAEF.

En effet, l'agronome a fait la démonstration qu'il est possible de faire de l'agriculture porcine propre et respectueuse de l'environnement. « La gestion efficace de la fertilisation, ça se réalise même si Roméo Bouchard n'y croit pas », déclare-t-il. Il ajoute qu' « il existe actuellement des modes de production agricole qui permettent d'éviter la pollution ». Michaud croit qu'il faut développer une agriculture moins agressive pour l'environnement, tout en choisissant adéquatement les sols et les périodes d'épandage. « Évidemment, il y a des excès, nuance-t-il, et c'est à ceux-ci qu'on doit s'attaquer. »

Les modes de production moins agressifs dont parle Marcel Michaud et les technologies de traitement du lisier, telle la séparation et l'épuration du lisier par décanteur et biofiltre, permettent une certaine protection de l'environnement. Cependant, les coûts impliqués sont si importants qu'ils en limitent sérieusement le développement. À tel point que les industriels porcins risquent bien de ne pas s'y engager tant qu'ils n'auront pas droit à des subventions gouvernementales. À cet égard, Jean-Paul Thériault, directeur général de PURDEL, estime que les autorités doivent « agir avec logique et considérer que Biosor [une technologie de traitement du lisier] doit être subventionnée au même titre que les usines de traitement en milieu industriel ou municipal » (cité dans Le Bulletin des agriculteurs d'octobre 2000). Il ajoute que « tout ce qui est entrepris le sera en considération du prix de revient de chaque porc et de la rentabilité des entreprises ».

Les cochons sont à l’image de leurs éleveurs

Il faut donc comprendre que la protection de l'environnement, selon l'industrie porcine, doit être assurée, non pas par ceux qui provoquent des effets néfastes sur cet environnement, mais par l'État. L'industrie produit et empoche les profits, alors que les citoyens sont aux prises avec un dilemme 0 défrayer les coûts de la protection de l'environnement ou vivre dans des milieux pollués…

Lors de l'assemblée publique d'Amqui, les citoyens ne faisaient pas encore face à ce dilemme. On cherchait plutôt les moyens de l'éviter. Les quelques agriculteurs qui sont intervenus ont rappelé l'importance de l'agriculture dans l'économie de la région. Ils ont demandé à la population d'écouter leur point de vue avant de se faire une idée définitive sur le sujet du jour. « On est des cultivateurs, on n'est pas des cochons, déclarait alors Dany Dastous. On est capable de protéger l'environnement. Il faut trouver un point d'entente sans nous déchirer », conclut-il.

Ici dans la vallée de La Matapédia, comme ailleurs au Québec, le débat sur l'expansion des mégaporcheries et, plus largement, de l'agriculture industrielle est loin d'être terminé. À la lumière des assemblées publiques qui se multiplient, le plein contrôle environnemental et économique du territoire par les communautés locales semble constituer l'une des principales voies d'accès à un développement qui respecte la démocratie et la nature.

Pour PURDEL, l’avenir de la Gaspésie est dans le porc

PURDEL est une coopérative établie au Bas-Saint-Laurent totalisant, en 2001, près de 55 M$ de ventes dans divers secteurs d'activités. Et c'est grâce à sa division porcine qu'elle a haussé ses ventes de 9,3 M$ par rapport à 2000. Les porcheries ont généré à elles seules des ventes brutes de 11 M$. La coopérative est donc en expansion. D'ailleurs, depuis environ deux ans, PURDEL tente d'étendre sa production porcine dans l'Est du Québec. Jean-Paul Thériault, directeur général de PURDEL, exprimait cette volonté dans Le Bulletin des agriculteurs d'octobre 2000 0 « La coopérative s'engage en maternité et en pouponnière. Désireux de diversifier leurs activités, disait-il, les agriculteurs choisissent le secteur porcin et investissent dans les installations d'engraissement. » Et ce, avec l'appui du ministère de l'Agriculture qui semble y voir un nouvel outil d'expansion économique en Gaspésie…