Le FMI et les États-Unis ne lâchent pas leur proie

 


Encore des concessions pour l'Argentine



Le 22 mars dernier, le Fonds monétaire international (FMI) se disait d'accord pour entamer des négociations formelles en vue d'octroyer à l'Argentine un nouveau prêt (possiblement de 20 milliards de dollars) mais… pas avant quelques semaines encore ! Tout ce jeu du chat et de la souris cache des « négociations » qui sont en réalité tout à l'avantage des plus forts, les concessions allant toutes du même bord. Pendant ce temps-là, la colère populaire ne dérougit pas.

C'était la première fois depuis la crise économique de décembre 2001 et la chute du gouvernement de Fernando de la Rua que le FMI se montrait si disposé envers son ex-meilleur élève. Quelques jours auparavant, l'administration Bush s'opposait encore fermement à tout nouveau prêt pour l'Argentine.

Le revirement apparent dans la politique américaine serait survenu le 21 mars après une rencontre entre le secrétaire américain au Trésor, Paul O'Neill, et le ministre de l'Économie argentin, Jorge Remes Lenicov, lors de la Conférence des Nations Unies sur l'aide au développement, tenue à Monterrey, au Mexique.

Le lendemain, un nouvel entretien de deux heures avait lieu, cette fois entre le président Horst Koehler du FMI et le président intérimaire argentin, Eduardo Duhalde.

Plusieurs quotidiens sud-américains rapportaient que, depuis la crise de décembre dernier, les États-Unis avaient demandé de nombreuses concessions à l'Argentine pour ne pas tout simplement laisser couler le pays et que cette nouvelle attitude favorable signifiait probablement que la partie argentine des négociations commence à céder aux pressions.

Aider l'armée colombienne

Deux des conditions américaines consisteraient en un appui à la politique militaire américaine dans la guerre que livre le gouvernement colombien à ses guérillas de gauche et en un engagement à voter contre Cuba aux Nations Unies.

Selon le quotidien mexicain La Jornada (21 mars), le gouvernement Duhalde aurait déjà proposé de vendre des avions à l'armée colombienne et d'en entraîner les pilotes.

Le FMI et Washington exigeraient aussi l'abolition ou la réécriture de trois lois argentines qui irritent particulièrement banques et investisseurs étrangers.

L'une d'elles serait la loi sur les banqueroutes dont plusieurs dispositions déplaisent aux banques, notamment celles concernant le recouvrement des dettes contractées par les innombrables entreprises argentines qui font faillite.

La seconde serait la « Loi sur la subversion économique » dont les juges argentins se servent beaucoup ces temps-ci pour investiguer les manœuvres illégales des banquiers au cours de la dernière année.

Soulager les banquiers

Déjà, le 19 mars, le président Duhalde avait soulagé les plus importants présidents des banques argentines en leur promettant l'abolition de la Loi sur la subversion économique tandis que, trois jours plus tard, un porte-parole présidentiel avait confirmé le sérieux du président en annonçant le dépôt au Congrès d'un projet de loi visant à éliminer les deux lois déjà mentionnées.

Le FMI demanderait également au gouvernement argentin de réécrire la « Loi de co-participation » grâce à laquelle le gouvernement fédéral et les 24 provinces se partagent les revenus fiscaux. Le Fonds prétend que les provinces dépensent trop d'argent et ont besoin de « rigoureuses contraintes budgétaires » (Financial Time, 1er avril).

Mais cela est contredit par une étude du Centre de recherche économique et politique américain (Center for Economic and Policy Research) qui montre comment le service de la dette est davantage responsable des problèmes de l'Argentine que les dépenses de ses provinces.

Selon cette étude, citée dans le Miami Herald (24 mars), les dépenses fédérales et provinciales en salaires, programmes et opérations n'auraient pratiquement pas augmenté entre 1993 et 2000 tandis que, pour la même période, les paiements en intérêts sur la dette du gouvernement, eux, auraient triplé.

« Les seules augmentations de dépenses de l'État l'ont été en paiements d'intérêts sur la dette », affirme l'économiste Mark Weisbrot, co-auteur de l'étude du CEPR.

Profits indus

Pendant qu'on discutait la mise à mort de la Loi sur la subversion économique, le juge Jorge Ballestero ordonnait à l'ex-ministre de l'économie Domingo Cavallo et au banquier américain David Mulford de témoigner relativement à un « méga-bond » suspect de la dette publique du pays qui serait passée de 132 milliards de dollars à 141 milliards $ en l'espace de deux mois, entre juin et septembre 2001.

Ballestero enquête sur des accusations à l'effet que certaines banques, dont la Crédit Suisse First Boston de David Mulford, auraient profité de la dette pour faire des « profits indus ».

Mulford a été sous-secrétaire américain au Trésor et assistant secrétaire aux Affaires internationales de 1984 à 1992 durant les administrations Reagan et Bush père. Sa banque est aussi sous enquête relativement aux transferts massifs de capitaux illégaux survenus à la veille de l'éclatement de la dernière crise argentine.

Cavallo, lui, était envoyé en prison le 3 avril par le juge Julio Speroni. Il est suspecté, entre autres choses, d'avoir trempé dans un scandale de vente d'armes illégales à la Croatie et à l'Équateur alors qu'il était ministre de l'Économie (1991-1996) dans le cabinet de Carlos Menem.

Une star en prison

Le juge a dix jours pour déposer des accusations formelles contre l'homme qui, durant les années 90, avait soi-disant fait de l'Argentine la « star des marchés émergents ». Il est maintenant si impopulaire dans son pays que les émissions radiophoniques du 3avril clamaient joyeusement à leurs auditeurs 0 « C'est fête aujourd'hui ! Cavallo est enfin en prison!»

Peu avant l'arrestation de Cavallo, Carlos Soria, directeur des services secrets du pays, aurait rencontré six juges fédéraux pour leur « suggérer fortement » d'écrouer Cavallo et quelques autres banquiers afin de calmer une colère sociale qui ne dérougit pas depuis Noël. Dernières manifestations de celle-ci 0 attaques de banques, blocages routiers et nouvelle vague de pillages de supermarchés.

Le 18 février, des centaines d'épargnants, dont plusieurs personnes d'âge mûr et plusieurs professionnels à la retraite, proclamaient leur colère contre le maintien des restrictions sur les retraits d'économies en attaquant une douzaine de banques du centre-ville de Buenos Aires.

« Ben Laden, n'oublie pas Citibank »

Les gens ont cassé les fenêtres, barbouillé et sali les murs et brièvement occupé deux des édifices. L'un des slogans peints sur les murs disait 0 « Ben Laden, n'oublie pas Citibank ! » (La banque américaine opère largement en Argentine.)

Les blocages routiers débutaient dans la région de Buenos Aires, les 20 et 21 mars, à l'initiative des Piqueteros (pauvres et chômeurs organisés dans un mouvement national) et se répandaient dans les provinces de Santa Fé, Chaco, Cordoba, Entre Rios, Neuquen, Salta et Tucuman à mesure qu'on apprenait le possible nouveau prêt du FMI à l'Argentine.

Le feu aux poudres était mis par le refus de voter de la Chambre des députés sur une demande de pardon concernant Emilio Ali, un «piquetero » condamné à cinq ans de prison pour avoir demandé (et obtenu !) de la nourriture dans un supermarché.

« Emilio est en prison depuis deux ans déjà pour avoir demandé de la nourriture dans un pays rempli de voleurs et de vire-capots qui ont complètement vidé l'Argentine et qui sont tous en liberté », dénonçait le député de gauche Luis D'Elia, auteur de la proposition de pardon.

Bêtes achevées dans la rue

Une trentaine de saccages de supermarchés, répartie dans tout le pays pendant une semaine, a commencé le 23 mars dans la ville de La Granada, banlieue pauvre de Rosario, quand un camion transportant 22 bêtes destinées à l'abattoir s'est renversé. Dans une scène pathétique, des centaines de personnes sont accourues sur les lieux, ont elles-mêmes achevé les bêtes qui avaient survécu à l'accident et se sont divisé la viande entre elles.

Mais, pour le président Duhalde, les gens n'ont pas vraiment faim dans son pays. Il prétend plutôt que les pillards sont «recrutés » par des forces politiques anonymes en vue de déstabiliser son régime (La Jornada, 29 mars).

Peu importe que le peso argentin ait perdu les trois quarts de sa valeur en deux mois, que 22% de la main-d'œuvre soit officiellement au chômage et que le pays compte 15 millions de pauvres (plus de 40 % de la population !) sur 36 millions de personnes.

Surtout, Duhalde est prêt à continuer avec le FMI même si, le 26 février, le Financial Time révélait que l'État argentin avait encore dépensé (pour le seul mois de février et en pure perte !) l'incroyable somme de 1,2 milliard $, pour soutenir la valeur du peso!!