Propriétaire de l'eau, c'est bien… mais encore faut-il l'assumer

 

Au moment où le ministre de l'Environnement et de l'Eau du Québec s'apprête, s'il ne l'a déjà fait au moment de publier ces lignes, à présenter une « Politique de l'eau », la question de la propriété de cette richesse naturelle refait surface comme un bouchon de liège trop longtemps retenu sous l'eau.

Nous étions si peu nombreux sur un si grand territoire, que l'eau nous coulait dessus comme sur le dos d'un canard. Ainsi, l'importation des lois françaises régissant les eaux, conçues pour gérer une réalité européenne, ne soulevaient pas les passions au-dessus des cléons de clôture, car peu de conflits d'usage venaient perturber les reflets d'argent sur nos lacs et rivières.

Les conflits d'usage de l'eau se multiplient

La situation a bien changé. Les agriculteurs disputent l'eau utilisée par les mines et réaménagent des cours d'eau nous laissant ingurgiter leurs pesticides. Les embouteilleurs auscultent le souterrain pour y trouver l'or bleu à exporter sans payer pour la matière première nécessaire à leur commerce. Les entreprises forestières détruisent la rétention d'eau des forêts affectant ainsi la qualité de l'eau en aval. Les villes manquent de sources saines pour les prises d'eau servant à alimenter les citadins. Les piscicultures polluent l'eau et l'eutrophisation des lacs se répand.

Les rives ont de plus en plus un caractère privé et la population exprime son désir d'avoir un meilleur accès à l'eau pour la baignade et parfois pour des activités plus polluantes telles que la pratique de la motomarine. Ajoutons que ces conflits d'utilisation se produisent dans un contexte où les effets des changements climatiques viennent ajouter aux incertitudes quant à la pérennité de l'eau.

Ça tourne autour du puits !

Le malaise que ressent la population s'était déjà manifesté dès 1968 lors de la création de la Commission Legendre. Les suites données aux recommandations de la Commission furent si pitoyables que l'eau a continué de bouillir sur le feu de l'inaction gouvernementale.

En 1977, le ministère des Ressources naturelles ébauche une politique, mais ne va nulle part. En gros, le débat public reprend publiquement en 1996, lorsque la Société québécoise d'assainissement des eaux propose la création d'un organisme national de gestion de l'eau. En 1997, le Parti québécois propose un projet de nationalisation de la commercialisation de l'eau de source. En 1998, Eau Secours! intervient publiquement avec le comité de citoyens de Franklin qui risque de voir vider leur nappe phréatique par Danone. En 1999, le Comité national sur l'environnement du Parti québécois affirme que l'eau est un bien public qui appartient à tous les citoyens du Québec et qu'en conséquence, tous ceux qui utilisent la force de l'eau à des fins commerciales doivent payer des droits ou des redevances à l'État.

En 2000, la Commission Beauchamp a démontré l'importance de dissocier l'eau de la propriété foncière et sur le plan international, Riccardo Petrella, du Contrat mondial de l'eau, exige à ce moment que les populations aient des recours à l'égard de la gestion de l'eau par les gouvernements et, d'autre part, il recommande de mettre en place des mécanismes supranationaux plus contraignants.

Aujourd'hui, Mishell Potvin, président du Conseil régional FTQ Saguenay-Lac-St-Jean s'inquiète du flou juridique entourant la protection de l'eau 0 « Lors du dernier congrès de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec, les déléguéEs votèrent de considérer l'eau comme un bien public et de créer un comité interne pour développer une vision complète sur l'eau pouvant aller jusqu'à la nationalisation de l'eau. » Le vice-président Yvan Tremblay ajoute 0 « S'il n'y a pas une reprise en main rapide de ce patrimoine collectif par l'État québécois, on peut facilement imaginer que la totalité des eaux souterraines et de surface embouteillables sera aux mains du secteur privé dans un avenir rapproché. »

Pour Martine Ouellet, présidente d'Eau Secours ! « nous devons nous assurer de la pérennité de l'eau sur notre territoire. Pour ce faire nous exigeons que l'État, en notre nom, devienne propriétaire de toutes les eaux au Québec. »

Est-ce que d'être propriétaire de l'eau constitue la solution ?

Plusieurs croient que les conflits d'usage, énumérés plus haut, seraient réglés si nous étions propriétaires de l'eau. Pourtant, nous le sommes pour les eaux de surface, entendons par cela les lacs, rivières, etc. Selon Gaétan Breton, l'auteur de Tu me pompes l'eau ! – Halte à la privatisation, «le principe général reconnu par notre droit est que l'eau constitue une chose commune, donc ne peut être appropriée privément. Pour les eaux souterraines il y a exception, dans ce cas c'est le tout privé qui régit l'eau sous les terrains des uns et des autres. Devant ces faits, la législation incomplète et à la pièce pratiquée par nos gouvernements ne suffit plus. »

Donc, il ne nous reste qu'à devenir propriétaire et le tour est joué. Oui, pour les eaux souterraines en autant qu'une réglementation solide défende les intérêts de la collectivité québécoise. Il ne faut pas croire que cela réglerait le fait que les entreprises polluantes tergiversent pour payer les coûts de la dépollution des sédiments qu'elles ont contaminés. Ni le fait que les armateurs veuillent que l'on drague le fleuve à nos frais. Cela ne changera pas le fait que les ministres aient implanté une culture du laxisme chez les fonctionnaires chargés d'appliquer les lois.

Commençons par devenir propriétaire, ensuite il faudra demander à nos politiciens de cesser de se liquéfier devant le lobby des « prometteurs de job », de se sortir de la mentalité de « locataires, porteurs d'eau et scieurs de bois » pour assumer quotidiennement le rôle d'un propriétaire éclairé mettant en valeur un territoire engorgé d'eau.

Note au lecteur 0 Afin de faciliter la lecture, chacune des références précises n'apparaît pas dans le texte. Elles proviennent du Bape, de la Commission Beauchamp, de la CMI, du ministère de l'Environnement et de l'Eau et du site de référence d'Eau Secours ! - La Coalition québécoise pour une gestion responsable de l'eau à 0 www.eausecours.org