La crise du logement descend dans la rue

 

Malgré la grisaille et le frette, quelque 150 personnes, concernées par la crise actuelle du logement ou sympathisantes, participaient, ce mercredi 15 mai au matin dans le quartier Saint-Henri, à l’action revendicatrice initiée par le Front d’action populaire en réaménagement urbain (Frapru).

Des gens de tous âges étaient sur place à 9 h, bardées de pancartes et chargées à bloc de slogans, pour participer à une marche joyeuse qui s’est déroulée dans un tintamarre bien encadré. Des agents de police accompagnaient la marche, qui scandait sans relâche, au fil des rues fermées pour l’occasion, ses revendications 0 « Le droit d’avoir un logement passe avant l’enrichissement ! ».

La marche s’est conclue par la prise de possession d’un immeuble abandonné, le 4271, rue Saint-Antoine Ouest, avec l’intention d’en faire une occupation citoyenne de trois jours. La gang de squateurs improvisée pour l’événement compte dans ses rangs quelques personnes âgées qui ont dormi dans la bâtisse désaffectée ! Bien que d’allure triste et délabrée, l’ancien garage est vite devenu le décor d’une scène de quartier particulière 0 soupe populaire, chansons comiques par des membres de la chorale de l’Accueil Bonneau et intervention du populaire Yvon Deschamps, originaire de ce quartier du Sud-Ouest de Montréal.

Si l’esprit des manifestants laissait croire à la réussite de l’événement, Jacques Cyr, un responsable au Popir-Comité Logement (Projet d’organisation populaire d’information et de regroupement Sud-Ouest de Montréal) qui organise la logistique de cette occupation, se disait déçu de l’absence des médias télévisés.

L’urgence et la nécessité précipitent dans ces actions des gens de tout acabit avec leur pancarte et leur histoire. Parmi eux, j’ai rencontré Odeh Misleh, qui cherche depuis deux ans un logement de trois pièces où il pourrait accueillir ses trois enfants durant la fin de semaine. Il réside présentement à l’Armée du salut et ne peut se permettre de payer plus de 350 $ par mois pour un loyer.

Manuel Johnson, un jeune père de famille du quartier, avouait pour sa part avoir quitté San Francisco, sa ville natale, à cause d’une crise du logement qui lui fait craindre le pire pour Montréal, sa ville d’adoption. Il m’a lancé la question suivante 0 «Les citoyens veulent-ils que Montréal devienne un parc d’attraction pour nantis, ou bien une ville multi-ethnique où chacun trouve son compte dans un climat social agréable et où il y a une place pour les jeunes familles à revenu modeste ? »

Le Frapru nous rappelle que 99,4 % des logements locatifs sont présentement occupés à Montréal et que 350 ménages sont actuellement sans-logis. On craint le pire pour le 1er juillet. Dans ce contexte de rareté, la discrimination de la part des propriétaires est monnaie courante et les loyers augmentent en flèche. Selon Marie-Josée Latour, porte-parole du Frapru, le retrait du gouvernement fédéral de tout investissement dans ce domaine depuis le 1er janvier 1994 a largement contribué à la détérioration de la situation. Le Frapru considère que les investissements d’un demi-milliard de dollars en cinq ans, consentis récemment par Québec et Ottawa demeurent insuffisants, compte tenu de l’ampleur de la crise.

Du côté du Popir-Comité Logement de Saint-Henri, on précise que la situation dans le Sud-Ouest de la ville devient grave. Le taux d’inoccupation est passé de 3,5 % à 0,7 % en un an. On s’indigne aussi du fait qu’au moins 25% des locataires de cette région consacrent la moitié ou plus de leurs revenus au loyer. La grogne est à son comble quand on pense que Saint-Henri compte 35 bâtiments inoccupés qui pourraient être convertis en 140 logements sociaux. Un espoir tempéré par l’embourgeoisement progressif que connaît le quartier, la mise en valeur du canal Lachine suscitant un vif intérêt chez les promoteurs immobiliers.

Dans un contexte où les enjeux sont multiples et complexes, les différents acteurs sociaux espèrent que les gouvernements des trois paliers feront le nécessaire pour répondre aux besoins criants d’un nombre grandissant de citoyens. En allant vers l’occupation ce matin-là, ça gueulait fort 0 « En attendant que bouge l’État, on s’procure not’habitat ! »

Le lendemain, le propriétaire des lieux a porté plainte à la police, qui a évincé les occupants, dépeignés par une bonne nuit de sommeil revendicateur. On rêvait à la création de 400 logements sociaux pour le Sud-Ouest de Montréal.