Les causes cachées de la débâcle

 

« Rentrez dans l’espérance, vous les petits, les sans-grade, les exclus […] Vous les mineurs, les métallos, les ouvrières et les ouvriers de toutes ces industries ruinées par l’euromondialisme de Maëstricht. Vous, les agriculteurs aux retraites de misères et acculés à la ruine et à la disparition. » Tel est l’évangile de Le Pen qui présente son parti comme le premier parti des ouvriers de France parce qu’ils constituent 30% de son électorat auquel il faut ajouter 25% de chômeurs. L’un de ses plus grands succès est d’ailleurs d’être devenu, avec 19,03 % des voix, le premier parti dans le pays minier Nord–Pas-de-Calais, ancien fief du Parti communiste décimé.

À l’autre bout du spectre, il a réussi à ramener au Front national, une partie du patronat et des petits commerces qui en ont contre le fiscalisme et les charges qui les étouffent, le capitalisme sauvage, la mondialisation qui inonde le marché de produits étrangers et les 35 heures, cauchemar des PME. Le racisme et la xénophobie ont aussi prise sur les travailleurs autonomes. Un jardinier d’allure très modérée me dit qu’il en assez d’en arracher et de payer des impôts pour entretenir des réfugiéEs et un chauffeur de taxi de Marseille votera Le Pen pour la déportation des immigréEs. «Quand on a un appartement pour 4 personnes, on ne peut en inviter 150 ! », conclut-il.

Conséquences de la mondialisation

La défense des valeurs républicaines a mis en arrière plan les véritables causes du désastre soit la politique néolibérale supportée tant par la gauche plurielle (PS,PCF, Verts, PRG) que par la droite chiraquienne. Partout où la mondialisation a appliqué ses mesures néolibérales, les partis d’extrême-droite ont fait une remontée fulgurante, particulièrement en Autriche, en Italie, en France et dans les Pays-Bas. Le lit du FN a d’ailleurs été fait sous le gouvernement Mitterrand. Par pur calcul électoral, celui-ci a reculé devant la possibilité de donner le droit de vote aux immigréEs, ce qui aurait pu contrecarrer le racisme et le xénophobie et a manipulé carrément le scrutin proportionnel afin de permettre au FN de diviser le vote de la droite.

Au premier tour, 35,05 % des votes (46,4 % ouvriers et 24,4 % des cadres) se sont prononcés pour des candidatEs rejetant explicitement la mondialisation 0 les trois trotskistes et le socialiste Chevènement, plus les candidats d’extrême-droite Le Pen et Mégret. Une partie de la classe ouvrière est consciente de payer un coût disproportionné pour des réformes dont elle ne bénéficie pas. Les pertes d’emplois et les diminutions de salaires ne sont pas compensées par les baisses de prix qui devraient accompagner l’augmentation de la productivité. Une situation qui donne une légitimité au discours anti-européen de LePen et influence celles et ceux qui subissent les effets les plus négatifs de la mondialisation sans espoir de jamais en bénéficier. « On nous explique que les marchés se globalisent. Pourquoi pas la justice sociale et le droit des salariéEs ? », demande Emilio Gabaglio, secrétaire de la Confédération européenne des syndicats.

Quelle leçon en tirer pour le Québec ?

Certainement pas celle qu’en tire Bernard Landry qui appelle la gauche à voter PQ au risque de favoriser l’élection du Parti libéral comme dans Mercier. Une tout autre conclusion s’impose si l’on considère que voter pour l’un des trois partis institutionnels (PQ,ADQ, PLQ), tous trois à la remorque des lois du marché, ne fera qu’entériner le néolibéralisme et ses conséquences désastreuses…

Il est certain que le même effet de lassitude, de méfiance et d’indifférence envers le politique jouera ici comme en France et profitera surtout à Mario Dumont dont le programme des plus conservateurs nous enfoncera encore davantage dans le marasme. Peut-être même s’inspirera-t-il du discours de Le Pen dans ce que le chef adéquiste appelle la troisième voie, ni souverainiste ni fédéraliste, mais nationaliste sans projet de référendum. Il faut souhaiter que le désespoir n’entraîne pas les QuébécoisEs dans cette nouvelle illusion.

Seule l’union de toutes les forces progressistes pour la justice sociale, l’indépendance nationale une politique féministe et écologiste, avec la possibilité de faire adopter le scrutin proportionnel, permettrait enfin une réelle mobilisation citoyenne et à toutes les voix de se faire entendre sur le terrain politique. Plutôt que de convier la gauche à voter pour le PQ contre le PLQ et l’ADQ, en attendant le changement du mode de scrutin, le gouvernement Landry devrait donner des garanties de sa bonne foi et céder des comtés sûrs à des candidatEs indépendantistes de gauche en invitant ses membres à les appuyer, comme le suggérait Pierre Dubuc dans son éditorial de février dernier.