Les femmes sont toujours moins « réfugiées » que les hommes

 

Le numéro de mars-avril de Manière de voir, publié par le Monde diplomatique, est consacré à l’immigration et inclut des textes sur les réfugiés ainsi que sur les migrations internes. Des 23 articles, 21 ne font aucune distinction entre l’expérience des femmes et celle des hommes. Mais très peu d’informations sont dévoilées à propos des femmes, migrantes ou réfugiées dans l’ensemble des documents.

Dans son article « Les migrations ne surgissent pas du néant », Saskia Sassen fait le point sur les facteurs poussant à l’émigration, liés aux politiques néolibérales, tel l’action des multinationales, les opérations militaires abusives ou les mesures d’austérités mises en place par le Fonds monétaire international(FMI). Ces facteurs engendrent ainsi d’importants mouvements de population des pays du Sud vers ceux du Nord, un phénomène de migration volontaire qui affecte tout particulièrement la gente féminine.

Selon les statistiques des Nations Unies, elles seraient 57000 000 à vivre hors de leur pays de naissance, soit 48 % de l’ensemble des migrants. Une tendance également toujours à la hausse en raison de la mondialisation, projet néolibéral entraînant non seulement chômage et hausse du coût des services publics, mais aussi l’appauvrissement des familles rurales désormais obligées de compter sur le salaire de leurs filles.

Seules les plus audacieuses émigrent vers un pays plus riche

Aux Philippines, 80 % des personnes qui quittent le pays appartiennent ainsi à la population féminine, alors qu’en Asie du Sud-Est, des milliers de jeunes femmes participent aux migrations internes des campagnes vers les villes, car la promotion de la culture de denrées d’exportation, promulguée par la Banque mondiale, – comme le coton au Burkina Fasso, le cacao en Afrique de l’Ouest, ou le café en Amérique centrale – appauvrissent les petits agriculteurs.

D’autre part, les corporations établissent des usines de produits de consommation comme des chaussures sports, des jouets ou du matériel électronique qui attirent une main-d’œuvre largement féminine, issue des campagnes et réputée pour sa docilité, l’émigration vers un pays plus riche étant une solution qu’adoptent seulement les plus audacieuses.

De nombreuses femmes, originaires des Philipinnes ou d’Indonésie, s’exilent ainsi de plus en plus couramment vers le Japon et la Corée, où elles sont employées comme « bonnes à tout faire », afin d’assurer la survie de leur famille, demeurée en terre natale. Selon le Comité contre l’esclavage moderne, l’employeur profite toutefois souvent de leur situation d’illégalité pour séquestrer les malheureuses et les confiner à la tâche de quinze à dix-huit heures par jour, sept jours par semaine, sans congé ni salaire.

Autre visage de la migration, le trafic sexuel affecte des milliers de femmes engagées dans un itinéraire du Sud vers le Nord ou vers l’Asie du Sud-Est. Elles voyagent ainsi dans des réseaux de prostitution organisés et sont soumises à leurs passeurs ou aux intermédiaires envers lesquels elles sont endettées. Et si plusieurs femmes choisissent délibérément ce genre de travail pour quelques années dans l’espoir de trouver un jour un emploi plus valorisant, d’autres sont attirées par la promesses d’un travail bien rémunéré dans les Pays-Bas ou en Allemagne, par exemple, et, ayant fait confiance à des recruteurs malveillants, elles se retrouvent captives malgré elles.

Minoritaires parmi les réfugiés

Parallèlement à ces femmes qui cherchent ailleurs un moyen de survie pour elle et leurs familles, d’autres deviennent réfugiées, un statut différent de celui d’immigrantes. Ces dernières, victimes de guerres ou de persécutions mettant leur vie en danger, ont dû quitter leur pays pour des camps de réfugiés ou pour se présenter à la frontière d’un pays d’accueil. Mais puisque fuir une terre hostile exige des moyens matériels auxquels elles n’ont souvent pas accès, les femmes demeurent minoritaires parmi les aspirants au statut de réfugié.

Fait intéressant, toutefois, le Canada est devenu le premier pays à se pourvoir, en 1993, de directives régissant les revendicatrices du statut de réfugié fuyant la persécution en raison de leur sexe. On pense ainsi aux mutilations génitales, à l’orientation sexuelle, aux mariages forcés et à la violence conjugale. Depuis, la reconnaissance de la violence fondée sur le sexe est de plus en plus acceptée dans le système canadien de détermination du statut de réfugié.

Les conditions d’immigration, cependant, demeurent toujours difficilement accessibles aux femmes, certaines ne pouvant réunir la somme de 975 $ exigée pour devenir résidente permanente, un tarif exorbitant pour qui n’a pas accès à une éducation suffisante ou à un salaire décent. Arrivées en terre d’asile dans des conditions souvent ainsi différentes de celles des hommes, elles obtiennent donc des emplois moins bien rémunérés et vivent plus difficilement leur immigration, ainsi que le reconnaissent plusieurs organismes, tel le Collectif des femmes immigrantes à Montréal.