Un projet de loi sur la procréation assistée qu’on attend depuis trente ans

 

Il a eu une longue gestation – presque 10 ans depuis le rapport de la Commission royale sur les nouvelles technologies de reproduction. Mais il y a finalement un projet de loi déposé sur la procréation assistée, qui d’ores et déjà peut devenir loi. Y a-t-il lieu de s’en réjouir? Est-ce que le projet de loi répond aux préoccupations que les groupes de femmes et les groupes de pression du domaine de la santé n’ont cessé de soulever ? Est-ce qu’il empêchera les pratiques qui nous inquiètent le plus, soit l’utilisation permissive des cellules embryonnaires et les expérimentations de clonage reproductif derrière des portes closes ? Est-ce qu’il interdira l’instrumentalisation du corps des femmes à travers la pratique des mères porteuses et la marchandisation progressive du vivant ? Et, surtout, est-ce qu’il imposera une totale transparence quant à la composition et au fonctionnement de la future agence de réglementation?

Les technologies de la reproduction humaine fournissent à certaines femmes des voies pour pallier les causes biologiques de l’infertilité. Pour y arriver, ces technologies enlèvent du corps où ils ont été produits les spermatozoïdes, les ovules et les embryons, et les transfèrent dans des laboratoires où ils peuvent être manipulés, transformés, implantés ou rejetés de toutes les manières possibles, sous le contrôle des médecins et des chercheurs.

Mais ce contrôle ne peut être absolu ; il ne peut non plus être simplement réglementé par une agence gouvernementale octroyant les permis, par des agences fédérales ou provinciales de subvention à la recherche ou par des comités éthiques de révision de la recherche. Nous avons besoin de mécanismes pour répondre aux questions soulevées par ces technologies – leur utilisation et leur développement – qui garantissent une consultation publique transparente et qui tiennent compte de la sécurité et de la justice dans ses évaluations.

La commercialisation du corps

Mais plus encore peut-être, nous avons besoin de procédés qui vont aller « à contre-courant » de l’infertilité 0 qui pourraient la prévenir en éliminant particulièrement ses causes connues – sociales ou environnementales. Parler et légiférer sur la procréation assistée hors contexte ne fait que détourner l’attention de ce dont les femmes ont besoin pour leur santé sexuelle et reproductive, soient des endroits sécuritaires pour grandir, vivre, travailler et jouer.

En y regardant d’assez près, la loi, qui semble pourtant comporter d’assez bons points, se révèle décevante. Contrairement à ce que prétend le gouvernement, cette loi pourra être très permissive quand il s’agira de pratiques (cliniques et de recherche) qui mènent à la commercialisation du corps humain et de ses composantes. Et il n’y a rien, tel quel, qui nous assure qu’il y aura vraiment un contrôle exercé sur quoi que ce soit.

Les embryons « surnuméraires »

À titre d’exemple, prenons la recherche sur les cellules souches embryonnaires, un point qui a retenu beaucoup l’attention depuis que le projet de loi a été rendu public. Fondamentalement, le projet de loi C-56 permettrait que des embryons créés pour provoquer une grossesse soient utilisés à d’autres fins. Il s’agit des prétendus embryons « surnuméraires ».

Bien sûr, les personnes qui feront un don d’ovules, de sperme ou d’embryons devront donner leur consentement écrit et les chercheurs devront prouver qu’il n’y a aucune autre approche possible du problème et que cette recherche est « nécessaire ».

Peut-être ai-je travaillé trop longtemps avec des chercheurs dans le domaine biomédical, mais je n’ai encore jamais vu un chercheur qui ne décrive pas sa recherche comme « nécessaire » ou qui ne trouve pas d’arguments pour justifier l’utilisation d’embryons supplémentaires.

Et au cas où nous voudrions mettre en doute leurs exigences, je parie que, pour faire taire nos critiques, ils seraient prêts à nous montrer des photos ou à nous raconter l’histoire d’enfants malades en quête de traitement ou de femmes « désespérées » désirant des bébés.

La vaste majorité des maladies ne sont pas génétiques

Dans l’immédiat, il n’y a aucun impératif moral motivant les recherches sur les cellules souches embryonnaires puisque la vaste majorité des maladies et des handicaps ne sont pas génétiques. Les promesses trop nombreuses qu’on nous fait à propos des recherches sur les cellules souches embryonnaires sont vraisemblablement plutôt d’ordre promotionnel, pour ce qui pourrait être une activité extrêmement lucrative impliquant le brevetage du matériau biologique humain et l’utilisation d’embryons humains.

Pourquoi le projet de loi ne peut-il pas être clair et bannir totalement toute recherche sur les cellules souches embryonnaires ? Mettre une limite au nombre d’ovules qui peuvent être fertilisés durant le traitement pour l’infertilité afin de s’assurer qu’il n’y aura plus d’embryons surnuméraires ? Et, en créant une telle interdiction, s’assurer que le clonage humain n’est pas en train d’être réalisé derrière des portes closes.

Je pense que je me sentirais plus en sécurité si, au lieu de laisser les décisions sur la « nécessité » de cette recherche à une agence, on avait immédiatement légiféré au moins sur un moratoire complet de trois à cinq ans pour cette activité. Pendant ce temps, il pourrait y avoir un fond spécial pour la recherche sur les cellules souches adultes.

Nous savons très peu de choses sur le potentiel des cellules souches tirées de tissus adultes. Subventionnons la recherche pour découvrir ce que ces cellules peuvent devenir. Et subventionnons aussi les groupes de citoyenNEs afin qu’ils disposent des ressources nécessaires pour prendre part aux discussions concernant les problèmes soulevés par le travail sur les cellules souches embryonnaires, y compris leur potentiel commercial.

L’agence ou le moratoire ?

Qu’en est-il du clonage ? Ici, le projet de loi semble dire « non » sans restriction. Mais j’hésite. En autorisant (quoique aux conditions notées précédemment) l’utilisation réglementée d’embryons in vitro pour la recherche, est-ce qu’on empêchera vraiment le clonage ? Est-ce que nous ne sommes pas déjà « amadouéEs » pour laisser une telle éventualité se produire avec des chercheurs faisant une différence entre le clonage «reproductif » et « thérapeutique » ?

Plus précisément, les chercheurs préconisent même l’utilisation du terme « transfert du noyau de cellules somatiques humaines » pour ce dernier. Mais ce serait utiliser les mots comme un boniment publicitaire plutôt que de donner une description exacte. Le processus (le « moyen ») pour créer un clone est le même, quel que soit le but.

C’est de la poudre aux yeux que de distinguer les types de clonage par leurs prétendues fins. Si nous voulions être précis, nous appellerions au moins une de ces fins «clonage expérimental », parce que c’est ce dont il s’agit.

Les embryons humains ne doivent jamais être clonés, ni les cellules somatiques transplantées dans des ovules vidés spécialement pour devenir une « ressource » pour les expériences médicales ou pour faire un bébé. Voulons-nous que la vie humaine, ses différentes parties et processus soient de simples outils de recherche ? des biens de consommation, des produits manufacturés ?

La porteuse est rénumérée mais la grossesse est bénévole

Un autre exemple de la permissivité du nouveau projet de loi concerne les « mères porteuses ». Oui, le projet de loi interdit de rétribuer ou d’offrir de rétribuer une personne pour qu’elle agisse à titre de mère porteuse. Mais un peu plus loin, il définit les conditions permettant aux mères porteuses d’avoir leurs dépenses payées.

N’y a-t-il pas là une contradiction ? Comment peut-on avoir ses dépenses remboursées pour une activité interdite ? Pourquoi le projet de loi ne met pas en vigueur ce que les groupes de femmes demandent depuis longtemps, soit de bannir totalement tout incitatif financier, y compris le remboursement des dépenses, pour les contrats de grossesse ?

Né de spermatozoide et d’ovule inconnus

Suis-je alarmiste ? N’y aura-t-il pas une agence de contrôle de la procréation assistée qui s’assurera qu’il n’y a que de « bonnes choses » faites avec les ovules, le sperme et les embryons ? Que le corps des femmes et leur santé vont être protégées ? Bon, il y aura une agence, mais qui sera responsable de déclencher la sonnette d’alarme ?

À moins que cette agence ne fonctionne d’une façon moins permissive que sa contrepartie du Royaume-Uni, elle ne fournira pas le type de protection dont nous avons besoin. Nous avons besoin d’une agence qui peut augmenter la liste actuelle des activités interdites ; une agence qui n’énumère pas seulement les conditions d’utilisation, mais garantit aussi que, si une pratique n’est pas documentée à long terme, elle devra être réglementée comme la recherche.

L’agence rassemblera des informations, attendues depuis longtemps et dont on a grandement besoin, concernant le type de procédures actuellement en vigueur au Canada, par qui et sur qui elles sont appliquées, et avec quel taux de réussite ou d’échec. Elle retracera les enfants néEs de ces techniques afin de s’informer de leur état de santé. Elle créera un registre que le public pourra consulter pour savoir ce qui se passe.

Là-dessus, tout le monde est d’accord que c’est essentiel. Il est toutefois très regrettable que la divulgation de l’identité des personnes qui font des dons de sperme et d’ovules ne soit pas rendue obligatoire. C’est sur cela et sur certains autres aspects de la future agence que nous avons besoin d’être plus informéEs et, sur ce point, le projet de loi C-56 ne va pas assez loin.

Il n’y a pas de choix sans risque

Les questions et les problèmes reliés aux technologies de la reproduction et de la génétique humaines sont devenus, au cours des années, de plus en plus complexes et intraitables ; trop souvent les « choix » qui sont offerts aux femmes créent des risques plutôt que de les réduire.

Par conséquent, il est impératif que la législation sur la procréation assistée et la réglementation de la recherche sur les embryons humains et tout autre recherche génétique s’assure qu’on offre aux femmes uniquement des options qui les prennent en considération, elles et leurs enfants.

Des options qui sont développées et approuvées sur la base d’une adhésion rigoureuse aux principes éthiques fondamentaux de la recherche et de la pratique. Des options qui tiennent compte du principe de précaution. Et, finalement, des options qui valorisent la diversité parmi nous et qui évitent scrupuleusement la discrimination envers toute personne handicapée, avant ou après la naissance.

Le projet de loi C-56 pourrait constituer un premier pas vers cet objectif, mais il pourrait aussi nous éloigner de celui-ci. Des changements sont nécessaires maintenant pour nous assurer que la législation va défendre les droits des femmes en termes de santé et de reproduction, bannir complètement toute commercialisation du corps humain et des biomatériaux, et créer une agence de réglementation entièrement transparente et responsable résolue à écouter la voix des citoyenNEs plutôt que celle des lobbyistes du complexe biotechnologique/ universitaire / industriel.

Un Bap sur la procréation assistée

La législation doit faire en sorte que toute personne nommée au conseil d’administration de la future Agence de réglementation sur la procréation assistée y siège comme individu et non comme représentante d’une organisation ou d’un groupe 0 une totale transparence devrait être obligatoire.

De plus, la loi doit s’assurer que personne (universitaire ou membre du public) ne puisse être nomméE à un poste de direction s’il existe quelque conflit d’intérêt que ce soit – c’est-à-dire, avec un revenu personnel reçu pour l’approvisionnement direct ou le développement de toute technologie génétique et reproductive tombant sous la juridiction de l’agence. Si c’est jugé nécessaire, toutefois, ces individus peuvent sûrement être appelés pour des consultations et des conseils.

En ce qui concerne la façon dont l’agence fonctionne dans la poursuite et le renforcement de ses tâches de réglementation, d’octroi de permis, d’enregistrement, de surveillance et d’inspection, un modèle transparent, accessible et fiable devrait être exigé, et des méthodes innovatrices de consultation publique et de prises de décisions encouragées.

Minimalement, toutes les réunions du conseil d’administration devraient être enregistrées et toutes les audiences devraient être ouvertes au public, ce qui inclut l’accès, via Internet ou tout autre moyen, à l’ensemble des documents.

Il est de la plus haute importance que la participation publique aux audiences réglementaires soit obligatoirement permise et encouragée afin que l’ensemble des impacts de ces technologies soit évalué de façon démocratique et participative. Surtout que nous possédons déjà des modèles intéressants de participation publique, avec, par exemple, le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (Bape).