Du perma press au valet service

 

Mario Dumont est le jeune des vieux et le vieux des jeunes. Il a déjà prouvé hors de tout doute qu’il peut être tout pour tout le monde, ce qui serait précisément impossible s’il était objectivement jeune. La jeunesse est un âge qui ne veut ressembler à aucun autre et encore moins à tous les autres. Mario est bien pensant comme d’autres sont bossus. Il a d’ailleurs la bosse de la rectitude. C’est un cliché qui rêve d’être une idée reçue. Mieux encore, un lieu commun élu ! Il incarne le changement comme les saisons. À l’été, il fait campagne pour l’automne et répète sur toutes les tribunes que les vieux partis sont pour la répétition de la même saison. Son seul sens politique est d’avoir compris que le temps est venu de porter un complet veston et une cravate comme si c’étaient une chemise à manches courtes et des bermudas et inversément une chemise à manches courtes et des bermudas comme si c’étaient un complet veston. Malgré toute l’importance qu’il accorde à l’insignifiance vestimentaire, ce n’est toujours pas l’habit qui fait un Mario Dumont, c’est le perma press !

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La télévision a cinquante ans. Jadis les gens s’émerveillaient d’être à la télé. Ils n’arrivaient pas à croire que c’étaient bien eux qui étaient devant les caméras. C’était rafraîchissant. Aujourd’hui, ils s’émerveillent à qui mieux mieux d’être ce qu’ils sont. C’est désolant.

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Le pouvoir des synonymes. Il est possible de ne jamais changer les choses pourvu qu’on change les noms. Et le peuple, mobile dans ses passions, qui détestait la gendarmerie, l’applaudit si on la désigne garde nationale et, repoussant la conscription, l’approuve quand elle devient recrutement. On peut gouverner avec des synonymes, écrivait Alphonse Karr dans Les Guêpes (1839–1876), une revue satirique mensuelle dont il fut le directeur, l’éditeur et l’unique rédacteur pendant trente-sept ans. Le pouvoir des synonymes n’a jamais été autant d’actualité. Encore tout récemment on apprenait que les chômeurs qui sont à la recherche d’une djobbe se sont glorieusement métamorphosés en chercheurs d’emploi qui ont repris confiance dans le marché du travail. À quand la prochaine promotion au titre encore plus noble de prospecteur d’emploi ? Je ne suis pas un méchant homme, se plaisait à répéter Alphonse Karr. Je ne demande pas qu’on tue immédiatement tout les avocats ! Et les synonymistes ?

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Le visage à deux faces de la presse. Avant d’être un auteur de romans policiers, Haning Mankel a sûrement fréquenté les salles de rédaction de la presse écrite suédoise. Dans Le guerre solitaire (Seuil, Points, 1999), son héros détective croise un personnage que l’auteur ne peut avoir inventé. C’était un vieux rédacteur qui ne supportait pas les textes bâclés. Je me souviens encore de la colère qu’il a piquée une fois à cause d’un reportage vite fait mal fait 0 il a déchiré les feuillets en mille morceaux et il les a mangés. Il a mâché les morceaux de papier. Puis il a dit 0 Ça ne mérite pas de sortir autrement que comme de la merde ! Il disait aussi qu’il existait deux types de journalistes 0 Il y a le journaliste qui creuse pour trouver la vérité. Il est au fond du trou et il sort des pelletées de terre. Mais au-dessus de lui, il y en a un autre qui rebalance la terre au fond. Il est journaliste lui aussi. Et entre ces deux-là, c’est la guerre permanente. Tu as des journalistes qui veulent dévoiler, dénoncer. Tu en as d’autres qui jouent le jeu du pouvoir et qui travaillent à masquer ce qui se passe vraiment. Aujourd’hui, à l’université, on enseigne aux étudiants en communication qu’ils se doivent de présenter les deux points de vue dans un même article pour en garantir l’objectivité. Devinez alors lequel des deux journalistes lance toujours la dernière pelletée de terre ? Celui qui déterre ou celui qui enterre ?

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Ni goupillon, ni tuque. Pierre Gauvreau peut en témoigner. Jean-Paul Riopelle n’avait pas perdu un poil de sa vigueur anticléricale en vieillissant. Dans ses dernières années, un jeune musicien de son entourage avait manifesté le désir de lui faire entendre sa musique. Comme il était organiste, il invite donc le peintre à venir l’écouter dans une église où il a l’habitude de jouer. À sa grande surprise, Jean-Paul Riopelle refuse catégoriquement d’entendre sa musique à moins qu’il puisse l’écouter du parvis. Pas question pour l’ancien automatiste de mettre les pieds à l’intérieur d’une église. Au diable le goupillon et la tuque ! Il honorait toujours sa signature du Refus global.

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La cote des sciences est au plus bas. Un récent colloque nous révélait que, au niveau collégial, les jeunes boudent les carrières scientifiques et manifestent peu d’intérêt pour les sciences. La mauvaise image que les savants et les chercheurs ont dans l’opinion publique serait l’explication de cette désaffection. Une image négative qu’on attribue principalement à une contre-propagande orchestrée en permanence par les écologistes et les environnementalistes de tout poil et de toute feuille. Quelle a donc été la solution proposée ? Il fallait s’y attendre ! Une nouvelle campagne publicitaire pour revamper l’image des scientifiques auprès des jeunes. Que les prestations publiques des scientifiques puissent être responsable de la détérioration de leur propre image n’a, semble-t-il, jamais effleuré l’esprit des premiers intéressés. Si les scientifiques veulent absolument améliorer la teneur positive de leur image, les chercheurs n’ont qu’à cesser d’être les larbins et les laquais des diverses compagnies qui financent leurs recherches. On n’a pas besoin d’être idéaliste comme on l’est au niveau collégial pour se rendre compte que la science est dévalorisée par tous ces scientifiques, professeurs, savants ou chercheurs, qui ont troqué leur silence pour une commandite. La science ne peut s’en prendre qu’à elle-même si elle est devenue un valet service !