Le ton

 

On a beaucoup entendu parler ces dernières semaines du bouillant député de Chambly, Ghislain Lebel. « Le bouillant député de Chambly », avouez que c’est joli comme formule, non ? J’aime bien ce genre de sous-titres que donnent les médias aux acteurs de l’actualité, comme Guy Chevrette (j’aimerais-tu ça qu’y revienne, lui, d’après vous ?) qui restera toujours « le coloré député de Joliette ».

Des fois, les noms sont difficiles à retenir et ça aide à suivre. C’est comme dans le sport. Je me souviens d’un gardien de but russe qu’on surnommait « le blond de l’Oural », mais je ne me souviens même plus de son nom.

En politique, au delà des surnoms personnalisés, il y a aussi quelques appellations contrôlées qui sont des castings immuables. Il y a des « souverainistes de la première heure » et des « ardents fédéralistes », des « hommes de terrain», des « grands mandarins», des « passionnarias » et des « députés de comté ».

Et c’est toute une promotion que de sortir de ces définitions génériques pour accéder à son propre surnom, comme dans le cas du bouillant député de Chambly. C’est comme devenir le ministre de soi-même.

Le bouillant député de Champly

Dans ce cas-ci, pas étonnant que le député Lebel bouille, ça fait quelques semaines qu’il est dans l’eau chaude. Le rond allumé sous cette ébullition, c’est le projet d’entente proposée aux Innus de la Côte-Nord et du Saguenay–Lac-Saint-Jean par le gouvernement du Québec, tel que mené par le négociateur chevronné Louis Bernard.

Dans le coin droit Ghislain « le bouillant député de Chambly » Lebel, et, dans le coin gauche, Louis « le négociateur chevronné » Bernard…

En gros, le bouillant estime que la « paix des Braves » si chère à Bernard Landry n’est ni plus ni moins que « la grande braderie des cachottiers », et il s’en est ouvert de bouillante façon. Personne n’a remis en cause son droit à de telles déclarations. Mais il y a le ton.

Duceppe s’indigne

Dans toute cette histoire où la famille éclatée des souverainistes s’entre-déchire entre ceux qui se laissent aller aux pulsions de l’écœurement et ceux qui tiennent le cap de l’abnégation optimiste, les faits sont si techniques et spécialisés qu’il est difficile de s’ostiner sur les termes de l’entente. C’est donc, depuis le début, une affaire de ton.

Gilles Duceppe a d’abord dit que Ghislain Lebel avait tout à fait le droit d’exprimer ses inquiétudes et de soulever des questions sur le traité avec les Innus mais que c’était le ton de sa déclaration qui était inacceptable. Un ton frustré, alarmiste, voire haineux.

Et ça, on sait que ça ne pogne pas beaucoup politiquement au Québec et qu’il vaut mieux garder ce ton pour d’exutoires conversations de tavernes.

Refusant de s’excuser pour son ton, Ghislain Lebel a décidé de quitter le jeu de Bloc Québécois, qui s’en trouve fragilisé. Nul doute que, pour un « indépendantiste de la première heure », ça doit faire un beau buzz de siéger enfin comme indépendant.

Parizeau s’indigne mais approuve

Mais avant de quitter, il a tenté de rallier à sa cause « le pape de la souveraineté », Jacques Parizeau (dixit Ghislain Lebel…), qui, après réflexion, a refusé d’embarquer.

S’expliquant là-dessus, Parizeau a lui aussi dénoncé le ton de Ghislain Lebel. Puis, s’exprimant à son tour sur l’entente, Parizeau en a rajouté. Il fallait le voir.

Chaque fois qu’il disait « Les aspirations des autochtones sont tout à fait légitimes », on entendait « Je m’en fous mais il faut bien leur en donner un peu sinon j’aurai l’air trop l’air méchant. »

Chaque fois qu’il réitérait son appui à la démarche, le ton était désinvolte, et il prenait bien soin de rappeler, dans chaque cas, le peu de personnes que cela touchait.

Chaque fois qu’il évoquait son respect des autochtones, ça fleurait le mépris.

À Stéphan Bureau, c’est comme si Parizeau avait dit « Ce que le député Lebel a dit est inacceptable mais je suis tout à fait d’accord avec lui. »

À un moment, il a même avoué avoir été touché par le témoignage vu à la télé d’un fermier (blanc) qui rappelait qu’il avait défriché cette terre et qu’il considérait que c’était son droit d’y rester.

Parizeau aurait trouvé « gênant » qu’on l’en déloge, ou même qu’il se retrouve un jour chapeauté par une autorité innue. Ça ne vous rappelle pas un peu les colonies juives en Palestine ?

Et cette inquiétude de voir un jour des populations blanches passer sous une juridiction innue, ça ne vous rappelle pas un peu les partitionnistes ? Ça en avait le ton, en tous cas…

Ne pas sous-estimer le ton

Louis Bernard a répliqué cette semaine et, lui aussi, tout en clarifiant le plus possible plusieurs points de cette démarche complexe, il a surtout dénoncé le ton de ces critiques et leur effet sur les négociations.

Il ne faut pas sous-estimer le ton. Ce n’est pas qu’une affaire d’image superficielle. Puisque les mots sont devenus tabous, le ton est le seul langage toujours honnête des politiciens. D’ailleurs les électeurs s’y trompent rarement.

Et ça me cause un bizarre de malaise de voir des souverainistes traiter des droits des autochtones avec le même ton que les fédéralistes traitent des aspirations indépendantistes du Québec.

Je ne sais pas si le libellé actuel du traité est dangereux pour le Québec ou s’il sacrifie les droits de populations blanches sur l’autel de la bonne image internationale.

Ce que je sens, c’est que ceux qui critiquent ce projet d’entente aimeraient autant qu’il n’y en ait pas du tout, alors que quand Bernard Landry parle de l’importance de définir un rapport harmonieux entre les peuples autochtones, et le peuple québécois, son ton me dit qu’il y tient vraiment.

Et si on cherche l’harmonie, le moins qu’on puisse faire est d’abord de suivre le bon ton.