Le 11 septembre des poètes du Québec
Le 11 septembre dernier a eu lieu à la Bibliothèque nationale le lancement du recueil collectif Le 11 septembre des poètes du Québec*. L’initiative de ce livre, rassemblant cent vingt-deux poètes, revient à Louis Royer, qui a assuré la mise en scène de la soirée (récital, guitare, harmonium, images...), à laquelle il a contribué en chantant deux de ses poèmes avec une sensibilité et une présence inoubliables.
Une quarantaine de poètes représentant toutes les générations, notamment Cécile Cloutier, Yves Préfontaine, André Brochu, Claire Varin, Isabelle Miron et Marie-Geneviève Cadieux, ont lu leurs poèmes de façon très émouvante. La communauté afghane était représentée par les poèmes de Safia Siddiqui et de Mohammad Asif Safi qui ont enthousiasmé l’auditoire.
Tant la lecture du livre que cette lecture publique m’ont permis de constater l’extrême vigueur de la poésie québécoise, son ouverture au monde et la présence d’une relève de grand talent. On y compte beaucoup de femmes qui expriment leur propre vision de cet événement déchirant, avec des références et des images ancrées dans l’expérience d’être femmes dans ce monde d’inégalités. Parmi beaucoup d’autres, le poème suivant, de Denise Joyal, illustre ce propos 0
Poursuites
Dans le désarroi d’un jour
qui a mortifié le monde
une femme comme toi comme moi
comme nous
déploie les ailes d’un poème
pour s’élever au-dessus de la rage
de la rancœur du désespoir.
Elle abandonne du haut d’une tour
ses lamentations dans le regard des sauveteurs
impuissants devant la folie d’un Dieu fabriqué
par l’instinct de justice l’instinct de vengeance
l’instinct de mort.
Cette femme du haut de cette tour éclatée
se lance dans le vide
à la poursuite d’une métaphore
filée par l’éclat du soleil imprégnant sa main
par une pléiade de rêves encerclés
d’amour de rire et d’apaisement venue du large.
Elle sait qu’elle va mourir
en laissant derrière elle ses étoiles errantes
qui uniront tous les arcs-en-ciel
colorés par ses enfants.
Je laisse le dernier mot à Louis Royer qui déclarait à propos du lancement qu’« une grande place serait accordée aux femmes, puisque ce ne sont pas elles qui font la guerre ». Espérons que leurs voix seront de plus en plus entendues et, surtout, écoutées.
Point de rupture
Depuis trop longtemps le fusil des injustes visait l’envol
Au fond des gorges au front du rêve au vif du chant
L’amour en vrac l’amour vandale vidé de sens
Se faisait du mauvais sang du sang de mort en série
Les grandes finalités éthiques roulaient dans les bouliers
Le courage se fourvoyait dans des bolides suicides
Mardi onze septembre 2001 neuf heures dix-huit le temps s’arrête
La haine sans visage troue les tours de l’indifférence et du mépris
Calcine le cœur sec de l’avidité qu’aucune mort n’a jamais ému
La haine chauffée à blanc la haine sans pitié jette la vie par les fenêtres
Depuis trop longtemps la terre perd ses eaux le ventre des mères
N’accouche plus que d’adultes sans enfance ridés de ressentiment
Ah vivre vivre enfin libre une trêve en eau douce
Le vent du lac comme un souffle de grand large
Plus de mépris plus d’orthodoxie plus de dépôts
Pour d’obscures rentabilités au creux des yeux
Dis-moi pourquoi mourir toujours et vivre si peu
Je vois des femmes indomptables pourvoir à la bonté
Leur anonymat serein troquer la veine de l’envie
Contre de chaudes cartographies voyageuses
Je vois des femmes audacieuses le cœur en proue
S’adonner pour rien à de multiples splendeurs
Je me lève de mon livre avec l’ivresse des mots
J’entre sans sommation dans l’oasis de l’amour
Élaine Audet
Paru dans Le 11 septembre des poètes du Québec
* Sous la direction de Louis Royer. Le 11 septembre des poètes du Québec. Montréal, Trait d’union, 2002.