Suspendu au-dessus de la chute et à la décision du gouvernement

 


À Trois-Pistoles



Mikael en a plein l’dos et décide d’occuper le site en se suspendant, au moyen de cordes d’escalade, à 60 pieds au-dessus de la rivière. « La démocratie n’existe plus ici », dit-il. « Le député Mario Dumont reste muet. Des audiences publiques n’ont pas été tenues. Le conseil municipal n’a pas consulté les citoyens avant de signer le bail. Le ministère de l’Environnement agit avec un mépris inqualifiable, tout comme Hydro-Québec qui a signé un contrat secret. Le promoteur a débuté des travaux illégalement. Le dossier est devant le Tribunal administratif, les autorisations n’ont pas toutes été obtenues. Bref, il y a assez de raisons pour dire 0 assez, c’est assez ! »

D’autres citoyens manifestent sur la route 132, empêchent le constructeur de commencer les travaux, replantent des arbres détruits par le promoteur. 2 000 personnes signent une pétition contre la construction du barrage, alors que dans la municipalité immédiate vivent 1 300 citoyens et citoyennes.

Comment en arrive-t-on à ce genre de situation?

Un coup fourré

C’est sous le voile du silence que le maire-préfet, juge et partie, signe un bail et un protocole d’entente d’une durée de 50 ans, sans appel d’offres et sans étude de rentabilité. À ce jour, il refuse de dévoiler les termes de ce contrat et de tenir des auditions publiques sur la pertinence du projet de construction de ce barrage hydroélectrique qui inondera minimalement 48 500 m2 de terrains publics.

Pour le comité de citoyens Les Ami(e)s de la rivière des Trois-Pistoles0 « Ce projet détruirait trois des quatre chutes de la rivière et altérerait à jamais la beauté du magnifique territoire municipal de 168 acres appartenant aux citoyens, à la collectivité ».

Pourtant le site est identifié au schéma d’aménagement, il représente un des éléments esthétiques, historiques, écologiques et uniques des paysages de la région des Basques. Le potentiel extraordinaire de ce territoire rassembleur, à deux pas d’un circuit touristique attenant à l’Île aux Basques et au Parc Marin, est mis en péril.

Connivence ?

C’est en constatant toutes les irrégularités civiques que les citoyens et citoyennes se sont indignés du processus choisi par la mairie. Même la Commission de protection du territoire agricole a approuvé le projet sans quorum, nous disent les Ami(e)s de la rivière. « Le conseil d’administration de la CPTAQ doit réunir trois commissaires pour avoir quorum. En audience, ils n’étaient que deux et ils n’ont pas tenu compte du fait que, lors de la signature du protocole d’entente entre la municipalité et le promoteur en 1997, l’annexe A, qui localise le terrain, ne s’y trouvait pas. »

« J’ai écrit des lettres, laissé des messages, envoyé des courriels et je n’ai jamais eu de réponse en retour du ministère de l’Environnement, pas même un accusé de réception. Ils ont autorisé la construction sans nous prévenir », s’indigne André Ouellet. Le projet du promoteur stipule que le réservoir ne dépassera pas 50 000 mètres carrés. Au-delà, il devrait le soumettre à des audiences publiques. « Sur le plan, il y a des zones quadrillées de chaque côté des rives. Ce sont des terrains acquis par le promoteur pour les servitudes d’inondation et d’érosion. S’il les a achetés, j’imagine que l’eau se rendra jusque-là et ça dépassera les 100 000 mètres carrés »

Les profits pour qui ?

« Entre des intérêts privés, des politiciens en mal de visibilité et des élus municipaux en manque de budgets, un joli mensonge est en train de se tisser »

Paul Piché se questionne « Est-ce que c’est payant ? Pour un promoteur privé, oui, comme à chaque fois qu’on permet à des individus d’accaparer les richesses collectives avec l’appui financier de l’État. C’est d’ailleurs la seule façon de rentabiliser ces petits désastres.

« De son côté, poursuit Piché, Hydro-Québec a abandonné de tels projets depuis longtemps et la rumeur veut que plusieurs à la société d’État soient mal à l’aise avec le fait que celle-ci soit forcée d’acheter l’électricité à un prix plus élevé qu’à son propre prix de revient. Avec des garanties d’achat sur de trop longues périodes, on se demande d’ailleurs où est le risque si valorisé de l’entrepreneur privé ? La philosophie économique qui justifie souvent les privatisations relève de la présomption que le privé puisse soulager le public. Il est clair, ici, que c’est le public qui soulage le privé.

« En revanche, ajoute Piché, sans même tenir compte de l’énorme perte sur le plan patrimonial ou la qualité de vie, les gains pour les municipalités sont risibles. À Notre-Dame-des-Neiges, par exemple, en échange de leur petit coin de paradis sur la Trois-Pistoles, le promoteur donnera 50 000 $ la première année et 25 000 $ par la suite. Par tête d’habitant, ça vous laisse 39 piastres en partant et 19 piastres par année pour les prochains 25 ans. C’est combien déjà une caisse de bière ? »

De son côté, Gaétan Breton, professeur de sciences comptables, trouve malhabile l’attitude des municipalités qui acceptent ce genre d’entente. « À la longue, elles y perdront car le gouvernement provincial, lorsque viendra le temps de la péréquation entre les régions du Québec, déduira des besoins financiers de la région ce financement autonome du budget total. »

Pour André Desjardins 0 « On essaie de faire croire à la population que ce projet est mis de l’avant pour le bien du milieu , mais il est clair que la majeure partie des profits s’en iront ailleurs. Allons-nous sacrifier nos rivières pour allumer un sapin de Noël sur une tour à bureaux quelque part entre New York et Boston ? »

Des porteurs et porteuses d’eau

Le comité de citoyens n’est pas seul. Paul Piché, chansonnier, Catherine Mousseau et Raymond Cloutier, ont annoncé leur appui, et Pauline Martin raconte 0 « Étant née près d’un fleuve à Trois-Pistoles, ayant grandi près de la rivière Saguenay, l’eau m’est essentielle, au corps et à l’âme. Je l’aime et je la respecte. Vitale pour nous tous, elle est hélas menacée par certains qui n’en reconnaissent ni la préciosité ni la précarité. Jamais je n’accepterai que ce bien collectif soit assujetti aux intérêts de quelques-uns. Qu’elle soit puissante dans sa chute, agitée dans sa rivière, calme dans son lac, je me battrai pour qu’elle reste libre. »

D’autres Porteurs et Porteuses d’eau de la Coalition Eau Secours! se sont joints à eux pour sauver les chutes. L’homme de théâtre Jean-Claude Germain a adopté la rivière pour inciter la population à en faire autant, recueillant ainsi des fonds pour mener la lutte. Dans ce cadre, les citoyens informatisés peuvent se rendre au www.eausecours et obtenir le formulaire d’adoption de la rivière, les autres en téléphonant au 514-353-3001 ou 418-648-2104

L’Opération « Adoptez une rivière » mise de l’avant à l’initiative de la Coalition Eau Secours! comprend Aventure Écotourisme Québec, la Fédération québécoise du canot et du kayak, la Société pour la nature et les parcs du Canada et l’Union québécoise pour la conservation de la nature. Cette opération permet aux comités de citoyens de compter sur un soutien indispensable dans ce genre de situation.

Pis après ?

Tous sont en attente d’une importante décision du Tribunal administratif du Québec et surtout de la décision politique de mettre fin au projet, qui tarde à venir. Malheureusement cette lutte à Trois-Pistoles est à l’image de ce qui se passe et se passera si le gouvernement du Québec ne met pas fin à son programme de développement de l’industrie privée hydroélectrique. Plusieurs croyaient que nous avions nationalisé la production de l’électricité en 1963 !

Les rivières arnaquées

Lettre d’opinion

À Manon Blanchet députée provinciale du comté de Crémazie. Nous sommes des jeunes de 9 à 11 ans du club Mond’Ami. Nous sommes inquiets au sujet des rivières du Québec. Nous aussi aimerions faire du canot quand nous serons grands, et nous avons peur qu’il n’y ait plus de rivières sauvages. Nous aimerions admirer des chutes plutôt que de voir des barrages partout. Les petits barrages privés ou autres, ce n’est pas très bon. Nous n’en avons pas besoin 0 ils ne produisent presque pas d’électricité. Ils détruisent les paysages alors que plein de gens y vont. De toute façon, nous gaspillons beaucoup d’énergie 0 il suffirait de moins gaspiller. Nous avons plutôt besoin de faire du sport. C’est la meilleure façon de dépenser de l’énergie.Nous pensions peut-être faire une grève pour les plages. Nous avons plutôt décidé d’adopter la rivière Rouge car elle est tout près, et nous pourrons aller la voir, mais nous voulons que toutes les rivières soient protégées. Votre gouvernement veut les harnacher. Nous avions compris « arnaquer »... et nous avions bien compris !

Louis Gaudette, neuf ans, et al Montréal, le 18 octobre 2002

Note au lecteur 0 Afin de faciliter la lecture, chacune des références précises n’apparaît pas dans le texte. Elles proviennent du BAPE, de la commission Nicolet, de la commission Doyon, des Ami(e)s de la rivière des Trois-Pistoles et du site de référence d’Eau Secours! - La Coalition québécoise pour une gestion responsable de l’eau à 0 www.eausecours