Un roi pour l’Irak ?

 

Dans les mois à venir le régime de Saddam Hussein pourrait bien tomber sous la main américaine. Mais pour remplacer le « dictateur de Bagdad » G.W. Bush misera-t-il sur la « restauration » monarchique ?

Après Saddam Hussein, qui dirigera l’Irak ? Pour Chérif Ali Ben Hussein, un Londonien de 48 ans, la question est déjà tranchée. « Le peuple (irakien) choisira de restaurer la monarchie et je serai son roi », lançait en juillet dernier ce prince d’origine irakienne à une journaliste du Sunday Telegraph.

Simple lubie d’un aristocrate en exil et en mal de puissance ? Difficile à dire.

Considéré comme un proche cousin de Fayçal II, le dernier roi d’Irak, qui fut renversé en juillet 1958 par le coup d’État du général Kassem Abdelkrim et assassiné avec d’autres membres de la famille royale lors cet évènement, Al-Cherif Ali est aussi un cousin du roi Abdellah II de Jordanie. Jusqu’en 1958 et l’instauration de la République irakienne, la même lignée dynastique, celle des Hachémites, régnait en effet sur les deux royaumes voisins. Les premiers roi d’Irak et de Jordanie, Fayçal Ier et Abdallah Ier étant frères.

Fort de sa filiation, Chérif Ali, qui a dû fuir l’Irak avec sa mère à l’âge de 2 ans, attend donc avec impatience qu’une action militaire américaine vienne déloger Saddam Hussein et permettre ainsi son accession au trône. Pour ce riche homme d’affaires installé à Londres, il n’est cependant pas question de remplacer une dictature par une autre 0 le nouveau régime sera une « monarchie constitutionnelle » et, assure-t-il, une démocratie, dans laquelle les droits et libertés de chacun seront respectés.

En gage de sa bonne volonté, il promet d’ailleurs de consulter par référendum le peuple irakien sur la question de la restauration monarchique, sitôt le Président Saddam Hussein renversé (lequel vient tout juste d’être reconduit dans ses fonctions avec 100 % des suffrages !) Afin d’éviter de nouvelles souffrances aux Irakiens, inévitables en cas d’attaque anglo-américaine, Chérif Ali invitait même récemment, par la voix des médias, l’actuel leader irakien à « s’exiler en Arabie Saoudite ou en Égypte ».

Mais en quoi un émir irakien pourrait-il intéresser les futurs nouveaux maîtres de Bagdad, autrement dit les États-Unis ?

Le renversement de Saddam Hussein risque d’éveiller certaines soifs indépendantistes de la part notamment des musulmans chiites et des Kurdes si leurs aspirations politiques n’étaient pas prises en compte dans la formation du nouveau pouvoir. L’administration américaine se doit donc de trouver une personnalité nationale capable d’unifier les différents acteurs politiques. Et nul doute que depuis 1998 et l’adoption par le Congrès américain du « Iraq Liberation Act » qui pose clairement que le but des Etats-Unis est de renverser Saddam Hussein, Chérif Ali occupe une position privilégiée dans les plans US.

100 millions US $ pour l’opposition irakienne

Tout en dirigeant son propre parti, le Mouvement monarchique constitutionnel, Chérif Ali est aussi le porte-parole du Congrès national irakien (CNI), une coalition regroupant plusieurs partis d’opposition en exil et reconnue par les USA comme l’opposition irakienne officielle. Le poids du prince a largement pesé en faveur de cette reconnaissance ainsi que dans l’obtention des quelques 100 millions de dollars d’aide américaine visant à financer les activités de la coalition.

Mais si le but des États-Unis était de faire de Chérif Ali le leader de l’opposition irakienne, celui-ci ne semble pas avoir été à la hauteur de la tâche demandée. Même au sein du « Congrès national irakien », (CNI) il demeure le représentant d’un parti isolé. Pas question par exemple, pour les deux partis kurdes membres du CNI, le Parti démocratique kurde et l’Union patriotique du Kurdistan, d’accepter sa vision centralisatrice de l’Irak, eux qui prônent un État fédéral dans lequel la région du Nord bénéficierait d’une très large autonomie.

La prétention de Chérif Ali à devenir roi a par ailleurs fait fuir plusieurs groupes d’opposants susceptibles de s’allier stratégiquement au Congrès national irakien. Sans compter ceux qui sont hostiles à toute immixtion américaine dans les affaires irakiennes, comme le principal parti d’opposition chiite, le Conseil suprême de la Révolution islamique, basé en Iran et dirigé par l’Ayatollah Sayed Mohammad Baqir Al-Hakim, qui de concert avec les Kurdes exige aussi que le nouvel Irak soit une République démocratique décentralisée.

Depuis 1992, date à laquelle il créé le Mouvement monarchique constitutionnel, Chérif Ali affiche en fait des prétentions surréalistes. Tout en affirmant que le retour de la monarchie se justifie par l’échec de plus de 40 années de République en Irak, il omet de dire que la monarchie hachémite n’a pour sa part que très peu régné sur ce pays, à peine 37 années, de 1921 à 1958.

La légitimité de cette royauté, de par la manière dont elle fut mise en place, est aussi fort contestable. Fayçal Ier après être monté sur le trône de Syrie en 1920 et en avoir été chassé quelques mois plus tard par les Français, se vit en effet attribuer le trône d’Irak par les Anglais en 1921 dans le but de protéger les intérêts pétroliers de ces derniers dans la région. La Grande-Bretagne accorda l’indépendance à l’Irak en 1932 parce que le pouvoir en place satisfaisait amplement ses exigences !

La carte de l’or noir

Que pourrait donc faire un prince franchement débarqué de Londres, qui n’a jamais vécu en Irak – hormis lorsqu’il était bébé – si ce n’est symboliser aux yeux de ce peuple les manigances occidentales visant s’approprier son pétrole ? Chérif Ali ben Hussein use déjà d’ailleurs publiquement de la carte de l’or noir pour pousser les plus réticents au renversement de Saddam Hussein à changer d’avis. À la mi-octobre, il déclarait que le nouveau gouvernement irakien issu du Congrès national irakien réviserait « tous les contrats qui ont été signés par ce régime (de Saddam Hussein) ». « Nous reverrons particulièrement les contrats russes et français mais ce n’est pas automatique.. » ajoutait-il (2)! Les grandes compagnies pétrolières françaises et russes, comme Total-Fina et Lukoil auraient en effet signé avec l’actuel gouvernement irakien des contrats de plusieurs milliards de dollars. Dans son deal, Chérif Ali n’oublie pas les grosses compagnies américaines qui seront, selon lui, prioritaires lors du partage du gâteau.

Pour les Irakiens ce n’est donc pas un roi aussi vendu à la cause américaine qui pourrait apporter l’espoir de jours meilleurs et ce d’autant plus, que comme bon nombre d’opposants en exil parrainés par la CIA, il n’a pas jamais milité pour la levée de l’embargo responsable, selon l’UNICEF, de la mort de plus de 600 000 enfants rien qu’entre 1991 et 1998.

Autre point négatif pour Chérif Ali, il est musulman sunnite alors que la majeure partie de la population irakienne est composée de musulmans chiites (65%). Enfin, et malgré les liens de parenté, il n’est pas très apprécié de la famille royale jordanienne, une alliée incontestable de la diplomatie américaine au Proche-Orient.

Hassan Ben Talal, un autre prince dans le chapeau de G.W Bush ?

Présomptueux ou inconscient, Chérif Ali affiche une confiance plutôt déconcertante. Selon lui, il ne fait aucun doute que les Irakiens opteront pour la monarchie dès son « retour au pays » qu’il prévoit d’ailleurs au plus tard pour février 2003.

Côté américain, cependant, on pourrait miser sur une autre Altesse royale. La surprise s’est en effet produite en juillet dernier lorsque le frère du défunt roi Hussein de Jordanie, le prince El Hassan Ben Talal, fit son apparition à un congrès d’opposants réunissant à Londres quelques 200 personnes dont 70 ex-militaires irakiens ainsi que des représentants du Pentagone et des conseillers du Vice-Président américain, Dick Cheney.

Que pouvait donc faire en ces lieux l’oncle du roi Abdallah II, par ailleurs ancien héritier du trône de Jordanie mais débouté de ses droits quelques jours seulement avant la mort du roi Hussein? Convoiterait-il, lui aussi, le trône d’Irak ? Face aux journalistes, l’intéressé a nié toute immixtion de la Jordanie dans la politique irakienne, mais dans son discours à l’assemblée des opposants, il n’a pas hésité à rappeler les liens historiques qui unissent les deux pays, insisté sur leurs « racines communes », ce qui, compte tenu des circonstances, n’est pas sans rappeler le discours à nation d’août 1995 du défunt roi Hussein de Jordanie.

Tout en décriant pour la première fois publiquement le régime dictatorial de Saddam Hussein, celui-ci y évoqua longuement la disparition tragique de son neveu, le roi Faiçal II, âgé seulement de 19 ans lorsqu’il fût assassiné. Nombreux sont ceux qui y virent alors une mise en avant des prétentions jordaniennes sur la couronne irakienne, et ce d’autant plus que quelques mois plus tard la CIA tentait un coup d’État contre Saddam Hussein, avec, affirment certaines sources, l’appui des Services de renseignements jordaniens. À l’époque, on pensait que Hussein de Jordanie désirait placer sur le trône d’Irak son cousin le prince Raad Ibn Zied, un éminent diplomate.

D’après El-Jazeera, la chaîne de télévision du Qatar se serait constitué depuis quelques mois une « alliance monarchique » dans la-quelle le prince El Hassan Ben Talal jouerait un rôle prédominant et qui ambitionnerait de rallier à elle la majeure partie des opposants à Saddam Hussein. La candidature d’El Hassan Ben Talal serait soutenue non seulement pas les Etats-Unis mais aussi par les pétromonarchies du Golfe, note la chaîne arabe.

Quoi qu’il en soit, Chérif Ali n’en démord pas, il sera roi ! Il balaye d’un revers de main toute possibilité de voir son cousin jordanien prendre sa place et affirme que ce dernier n’arrivera pas en Irak avant lui !

À vos marques...

Prêt…

FEU ??