Les juges décideront !

Exportation d'eau

Depuis quelques décennies, les pressions se font de plus en plus importantes pour la marchandisation de l'eau, comme telle, et des services publiques de provision d'eau potable et d'évacuation des eaux usées. Justement, en ce moment même, pendant que le ministre Boisclair jure les grands dieux que jamais il ne privatisera l'eau, le ministre Pettigrew discute de l'inclusion des services publics (eau inclus) dans les ententes commerciales internationales.

Depuis déjà longtemps, l'eau est vendue sous plusieurs formes. Plusieurs formats d'eau embouteillée, maintenant avec saveur ajoutée, l'eau des glaciers, l'eau complètement ou partiellement distillée et l'eau embouteillée par des firmes prestigieuses dans des bouteilles au design sophistiqué. L'eau est en train de devenir un bien de luxe..

Aux Etats-Unis, la quantité d'eau embouteillée vendue, en 25 ans, est passée de 1.5 à 17.5 milliards de litres. Dans les pays en voie de développement, on remarque un mouvement similaire. En Afrique, de 1996 à 2006, on prévoit passer de 500 à 800 millions de litres et en Amérique du Sud, de 1700 à 4000 millions et ce ne sont pas les marchés où la croissance est la plus spectaculaire. Les pays de la côte du Pacifique vont passer de 4000 à 37000 millions de litres, durant la même période, pour une croissance de 18%.

L'eau, un produit de luxe

Il faut retenir de ce mouvement que l'eau se vend de plus en plus à des prix élevés et que, pour la transformer en produit de luxe on la soustrait aux besoins des communautés. Une partie de plus en plus importante de cette eau est destinée à être puisée chez nous. Par exemple, 51% de l'eau embouteillée vendue aux Etats-Unis vient du Canada, alors que pendant ce temps, eux aussi nous en vendent, mais prise directement du robinet.

Le commerce de toute cette eau embouteillée entre complètement dans les ententes commerciales internationales. La question concerne maintenant le transfert d'eau en grandes quantités. Dans plusieurs pays, une proportion importante des populations dépend de l'eau achetée soit en bouteille soit en réservoirs de grands formats (camions citernes). Une part importante de la population de l'Angola, de l'Équateur, de l'Érythrée, de la Jordanie, de la Lybie et de la Syrie, par exemple, dépend de l'eau vendue en camion citerne.

Des textes obscurs

L'Entente sur l'Harmonisation des Tarifs contient déjà un article qui inclut toutes les formes possibles d'eau, excluant l'eau de mer : 2201.90.000 : Les autres eaux, incluant l'eau minérale naturelle ou artificielle et les eaux gazeuses, qui ne contiennent pas de sucre ou d'autres édulcorants ou saveur; la glace et la neige.

Certains interprètent l'existence de cette clause comme une ouverture à commercialiser l'eau en vrac entre les pays faisant partie de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Si l'eau commençait à être vendue de cette façon, le GATT entrerait alors en jeu et empêcherait tout gouvernement d'interdire un tel commerce, comme c'est présentement le cas au Québec. L'article XI du GATT stipule que :

Aucune interdiction ou restriction autre que des droits, taxes ou autres charges pouvant prendre la forme de quotas, de licences d'importation ou d'exportation ou d'autres mesures, ne peuvent être instituées ou maintenues par aucun pays participant à l'accord quant à l'importation de tout produit provenant de n'importe quel autre pays participant ou sur l'exportation ou la vente à l'exportation de tout produit destiné à n'importe quel pays participant.

Même si le langage n'en est pas spécialement clair, certains prétendent que cet article permet l'exportation de l'eau en vrac. Les possibilités qui existent dans l'accord pour bloquer les exportation touchent la conservation des ressources non renouvelables. Or, plusieurs rétorquent que l'eau est une ressource renouvelable et, de ce fait, qu'elle échappe à cette restriction. Cependant, on pourrait l'appliquer à la partie des ressources en eau qui ne se renouvellent pas et a été déposée il y a très longtemps, par la fonte des glaciers, par exemple. Les Grands Lacs, dont seulement 1% serait renouvelable, entrerait alors dans cette catégorie. La Commission Bilatérale pour la gestion des Grands Lacs a déjà fait un rapport concluant que ces eaux n'étaient pas renouvelables.

Les trois signataires de l'ALENA ont fait une déclaration conjointe excluant l'eau de l'entente. Cependant, cette déclaration ne fait pas partie de l'entente et plusieurs juristes prétendent que ces déclaration n'ont aucune valeur juridique.

Aux juges de décider ?

Autrement dit, encore une fois, on ne sait pas vraiment ce qui est couvert par les ententes qui ont été signées par nos représentants. Nous le saurons quand des tribunaux, nommés sans aucune référence démocratique, décideront du vrai sens de ce qui est déjà signé, Bref, nos gouvernements signent et sont liés, mais sauront vraiment la portée de ce qu'ils ont signés des années plus tard. Que dire alors de nous simples citoyens, à qui on passe des sapins de cette taille. Le réveil risque d'être brutal et, dans ce cas-ci, sec.