Les losers

En début d’année, c’est la tradition chroniqueuse soit de faire le bilan de l’année précédente ou d’en analyser l’évènement le plus marquant ou encore d’aborder un grand sujet philosophique, genre, parler de paix, de justice sociale, des belles affaires de même.

Moi, j’ai eu un flash en regardant la télé américaine. Plus que la violence, plus que l’argent, les États-Unis pratiquent le culte de la compétition. En fait, il s’agit moins d’un amour de la compétition que de l’adulation du winner. L’Amérique veut des gagnants, des héros. Dans tout et n’importe quoi. À la pelletée

Les bons manquent de timing

Regardez le cinéma américain. Pour la majorité des films, si vous ne l’avez pas vu, vous pouvez avoir un bon résumé simplement en demandant « Pis, c’est qui qui a gagné ? ». Le bon, bien sûr. Les bons gagnent tout le temps dans les films américains. Oh, il arrive bien que les méchants arrachent quelques victoires mais, en général, ils manquent dramatiquement de timing. Ils ont l’étourderie de gagner leurs batailles bien trop longtemps avant le générique, ce qui laisse le temps au bon de revenir se venger.

Mais, là où le culte du winner vient d’exploser, c’est à la télévision. Il y avait déjà à la télé américaine un nombre incroyable de quizz mais, depuis quelques années, un type d’émission a déferlé sur l’imaginaire américain &/48; les émissions-épreuves.

Cela a commencé, je crois, par « Survivor ». Puis, il y a eu le très phony « Temptation Island ». Et maintenant, il y a « Fear Factor », une série d’épreuves épouvantables, et, dans le style plus peinard « Who Wants to Marry a Millionnaire » et le ridicule «Elimidate», où un gars se retrouve avec quatre compagnes avec lesquelles il sort et, à chaque étape, il doit en éliminer une.

C’est sans compter les concours de «talent» où, en chansons comme en luttes, on vous fabrique sous les yeux une nouvelle vedette qui commence très bien sa carrière puisqu’elle est une winner.

Je crois que tout ça finit par avoir des effets secondaires sur la psyché américaine. On dit que c’est la violence et le nombre de fusils par émission qui causent tant de problèmes aux États-Unis. Je crois que c’est plutôt le culte du winner. En fait, surtout l’occultation du loser.

Le perdant est zappé

Dans les films comme à la télé, le perdant disparaît simplement. Il n’est plus là, il est zappé. Le héros peut donc se retrouver tranquille avec la pitoune. Des fois, on voit la main du méchant gigoter sous les décombres de son repaire détruit et on peut se dire &/48; « Ah, ah, il y aura un «part two ». Mais il finira par mourir pour de bon.

Dans les émissions-concours, le gagnant se retrouve avec la bourse et les séances de photos. Dans « Survivor », on éteint la torche du candidat éliminé puis, il marche dans le soleil couchant, on le voit faire un petit laïus d’adieu et puis that’s it. Roulez le générique.

Or, dans la vie, les losers ne se laissent pas faire comme ça. La fille que vous n’avez pas choisie s’entraîne pour devenir super en forme et revient cruiser votre meilleur ami. Si le loser meurt, il a une famille derrière lui qui jurera de le venger. S’il survit, c’est pire. Parce que, dans la vie, il n’y a pas de générique. Il y a toujours une prolongation. Les losers ne s’en vont pas dans le soleil couchant. Ils font 100 pas, se cachent derrière un buisson et jurent de revenir au bon moment.

La culture américaine est toujours surprise de ne trouver aucune résignation chez les perdants. J’ai déjà entendu un Américain s’étonner du fait qu’on parlait toujours français au Québec. Il disait: « Vous avez perdu la guerre, pourquoi parlez-vous toujours français ? ». Parce qu’il n’y a pas de générique, mon pote. Pas plus que pour vos Indiens, d’ailleurs.

Regardez la politique extérieure américaine. Ils agissent comme s’ils étaient dans une émission de télé ou un jeu vidéo. «Nous allons gagner et le problème sera réglé, les ennemis seront zappés. Roulez le générique.» C’est cette mystique qui cause tous les torts. Car, après le combat, il reste des survivants qui vont mariner dans leur humiliation et jurer de se venger. Si on veut la paix dans le monde, il ne faut pas préparer la guerre. Il faut juste accepter de ne pas être le winner trop souvent, et pas sur tout. C’est mon message à nos dangereux voisins américains en ce début d’année &/48; Attention. Il n’y a pas de générique...