Alerte brune

Comme ça, il paraît qu’on est en alerte orange. J’avais oublié l’existence de cette échelle de Rumsfeld instaurée peu après les attentats du 11 septembre. Quelle trouvaille médiatique incroyable! Cette échelle d’alertes, qui fonctionne par couleurs, permet de faire la météo de la terreur. Jaune, c’est relax mais il faut rester vigilant. Orange, on s’inquiète. Il pourrait se passer quelque chose. Il devrait se passer quelque chose. Et alerte rouge, alors là, go, on capote, il va se passer quelque chose...

En général, dans les médias, quand on nous sert des avertissements, c’est qu’on peut réagir et se préparer à ce dont on nous avertit. Avertissement de froid intense: on met ses combines et sa grosse tuque. Avertissement de pollen: les allergiques se planifient une journée de jeux vidéos. Avertissement de risque d’inondations, on prépare la chaloupe et on monte le divan de la cave à l’étage.

Mais à la suite d’un avertissement d’attaque terroriste, on fait quoi? On s’enferme à la maison? On évite de prendre l’avion ou de participer à un événement public ? On se fait un scaphandre en « duct tape » ? On ne sait pas. Et si les autorités américaines en savent plus, elles ne veulent pas nous le dire parce que personne n’est sûr de rien et que ça pourrait créer une psychose.... ben voyons !

C’est vrai que si on déclare que Cleveland serait visée par les terroristes, la ville de Cleveland va se vider. Et s’il ne se passe rien, vous aurez tous les commerçants de Cleveland sur le dos pour perte de revenus. Il faut éviter ça à tout prix. Et comme, par définition, le terrorisme attaque de façon sournoise n’importe quelle cible au moment où, justement, on ne peut pas s’y attendre, on ne peut rien faire. On peut juste capoter de façon générale. On peut juste en vouloir à ces maudits terroristes qui répandent un tel sentiment d’incertitude et de peur.

En fait, cette échelle est un instrument d’injection de ressentiment public. Alerte jaune, on trouve la situation très complexe et embêtante mais c’est la vie. Alerte orange, on commence à en avoir plein son casque de vivre sous la menace. Alerte rouge, ça va faire, on ne peut pas continuer comme ça à se faire écoeurer, vas-y, mon Doublevé, lâche les chiens... Il était donc incontournable, dans la construction de l’escalier de peur qui doit servir d’alibi à l’invasion de l’Irak par Bush, que le niveau d’alerte allait foncer d’un cran.

Car c’est le genre de concept qui passe très bien dans les petites bandes qui défilent au bas des écrans des chaînes spécialisées d’information. C’est tellement concis et imagé que ça peut facilement passer pour un fait. Joseph Facal prend sa retraite, le Dow Jones chute de 2 points, nous sommes en état d’alerte orange, il fait 15 degrés Celsius...

Mais wow, là, qui a dit qu’on était en alerte orange ? Les seuls météorologues accrédités sont au service du régime en place à Washington. Après tous les canulars ayant servi aux Américains à déclencher des guerres au cours de l’histoire récente, et le fait qu’on ait intégralement recopié un vieux travail d’université dans le dossier des preuves contre l’Irak, en plus de quelques insolences d’un cellulaire mal enregistrées et autres futilités grossies à la loupe, on voudrait que je prête foi à ce jeu de réglettes de la paranoïa ?

C’est tout le fumeux concept de guerre préventive qui pave la voie à ce genre de gadget de manipulation. Or, il serait temps de le dire, la guerre préventive est une supercherie. Arrêtez de me faire peur avec vos histoires de menaces: les méchants doivent prouver qu’ils sont les méchants en frappant les premiers. C’est triste, ça donne l’occasion aux méchants de faire des morts, mais c’est mieux que d’en faire soi-même d’abord. Après on peut riposter par les armes. Et parfois même, contrairement aux pacifistes les plus radicaux, je crois qu’on DOIT le faire. Mais la crainte ne devrait jamais être une raison. Parce qu’il est infiniment plus aisé d’inventer une crainte que de commettre soi-même un attentat pour justifier ses vues (même si ça non plus n’est pas impossible).

Tous les enfants le savent. Si on se bat, on peut toujours s’en tirer en disant que c’est l’autre qui a commencé. Mais dire que l’autre ALLAIT commencer, c’est une excuse digne qu’on se retrouve dans sa chambre et privé de dessert.

Alors à quand un indicateur pour nous avertir qu’on est en train de se faire manipuler? Je propose que les médias diffusent, parallèlement à tout ce qui émane de sources dont on peut douter de la bonne foi, une autre échelle de couleur:

Gris : on est en train de nous embrouiller volontairement. Taupe : on nous cache les vraies affaires. Et enfin, brun... Je vous laisse deviner, pour le brun... Et inutile de vous préciser que présentement, nous vivons en permanence sous une alerte brune...

Chronique lue à l’émission Samedi et rien d’autre de Joël Le Bigot.