Derrière les bons d’étude, les écoles privées

L’arbre qui permet de voir la forêt

Quand une nouvelle distributrice de Coke ou de Pepsi fait son apparition au cégep ou à l’université ou que l’ADQ propose un système de bons d’étude, les manifestants anti-mondialisation sont prêts à prendre la rue. De Montréal jusqu’à Porto Alegre, ils scandent « Non à la marchandisation de l’éducation », « Non à la privatisation », « Non à l’école à deux vitesses ». C’est fort bien ! Mais, réalise-t-on que notre système d’éducation fonctionne déjà à deux, voire à trois vitesses, que près de 20 % du niveau secondaire est déjà privatisé et financé à plus de 65 % par des deniers publics ? Le système actuel est tellement avantageux pour les tenants de l’école privée que le Fraser Institute et la Fédération des établissements d’enseignement privés le préfèrent aux bons d’étude de Mario Dumont.

Le libre choix par les parents de l’école de leurs enfants et la libre concurrence entre les institutions publiques et privées sont les deux principaux arguments dans le programme de l’ADQ en faveur des bons d’étude. Mais les deux existent déjà dans le système actuel. Le libre choix de l’école est prévu à l’article 4 de la Loi de l’Instruction publique. La concurrence entre les deux systèmes, public et privé, bat son plein, au profit du privé, surtout avec la publication, depuis quelques années par la revue L’Actualité, du palmarès des écoles secondaires concocté par l’Institution économique de Montréal et le Fraser Institute.

Au Québec, le secteur privé accueille déjà 9,38 % de la clientèle scolaire, mais 18,9 % des élèves inscrits au secondaire. Dans les grandes agglomérations, comme la région de Montréal, le pourcentage dépasse facilement les 20 %. Le tableau ci-contre de la situation au Canada démontre que le Québec compte le tiers (32,9 %) de tous les élèves inscrits au secteur privé au Canada, alors qu’il ne représente que 23,8 % de la population canadienne. (cf. Tableau I)

La ségrégation sociale, ethnique et religieuse existe déjà

Plusieurs arguments sont invoqués à l’encontre des bons d’étude. Les parents, dit-on, choisiront l’école de leurs enfants en fonction de leurs revenus, de leur origine ethnique ou religieuse. Mais quelle est déjà la situation actuelle ?

Une recherche effectuée à partir des données du palmarès de L’Actualité démontre que le revenu des parents, pour les 50 premières écoles du classement, est supérieur à la moyenne dans tous les cas, sauf deux (cf tableau II). Par contre, les écoles dont les revenus des parents sont les moins élevés se retrouvent en queue de peloton.

Le premier ministre Landry s’est prononcé contre les bons d’étude en disant craindre que cela ait pour conséquence une répartition ethnique ou religieuse de la clientèle scolaire. Nous n’avons malheureusement pas de statistiques sur la composition ethnique actuelle des différentes écoles. Mais comment expliquer l’absence quasi complète de francophones de souche dans certaines écoles publiques de Montréal ? Est-ce à dire qu’aucune famille francophone n’habite le quartier environnant ? Ou ne serait-il pas plus juste d’émettre l’hypothèse que plusieurs d’entre elles envoient leurs enfants à l’école privée?

Dernièrement, le journal Le Devoir titrait que les francophones de souche réussissent moins bien en français que les élèves d’origine russe et asiatique? Cette conclusion était tirée d’une étude de la Commission scolaire de Montréal. Mais peut-on encore affirmer que la clientèle de la CSDM est représentative de la population lorsqu’on sait que plus de 20 % des élèves du secondaire fréquentent l’école privée?

Que dire de la menace d’une division de la clientèle scolaire sur des bases religieuses ? Aux États-Unis, les bons d’étude ont été inventés en bonne partie pour contourner les dispositions de la Constitution américaine qui interdisent le financement public des écoles religieuses. Mais tel n’est pas le cas au Canada. Déjà, le gouvernement québécois subventionne généreusement des écoles religieuses juives et autres. Bon nombre d’établissements privés mettent d’ailleurs en évidence les valeurs religieuses à la base de leur projet éducatif.

Les bons d’étude de l’Institut économique de Montréal : Une subvention de 315 millions à l’école privée

Dans une étude réalisée par Sylvain Bernier, Le choix de l’école pour tous, un projet de bons d’étude adapté au Québec, l’Institut économique de Montréal revient à la charge pour favoriser le développement de l’école privée. On se souviendra que l’Institut produit chaque année, pour le magazine L’Actualité, le palmarès des écoles secondaires.

Sylvain Bernier reconnaît que « le financement partiel accordé aux élèves inscrits dans des écoles privées est une forme de bons d’étude puisque ce montant est versé à chaque élève quelle que soit l’institution choisie par ses parents ». Mais Bernier trouve que la formule actuelle limite l’accès à l’école privée à ceux qui ont de l’argent. Avec les bons d’étude, il veut l’offrir à tous. Le chercheur associé à l’IEM propose donc de lever les restrictions actuelles à la création de nouvelles écoles privées et de réduire au minimum le contrôle du ministère de l’Éducation sur l’enseignement.

L’école publique, égalitaire et gratuite disparaîtrait ! Le système d’éducation serait à la merci des marchands. Bernier prévoit d’ailleurs l’introduction de frais supplémentaires selon le principe de l’utilisateur-payeur. « Les écoles, explique-t-il, seraient libres de demander aux parents une contribution supplémentaire en échange de services éducatifs supplémentaires ».

315 millions de plus aux écoles privées

Bernier sait que la mise en place de bons d’étude accélérerait l’exode en cours de l’école publique vers l’école privée. Pour atténuer ce qu’il appelle « l’effet initial de la concurrence », il propose que la valeur des bons d’étude aux écoles privées soit de 50 % inférieure, la première année, à celle des écoles publiques. Leur valeur serait augmentée de 10 % par année pendant 5 ans pour rejoindre progressivement celle du secteur public.

Autrement dit, après cinq ans, les élèves du secteur privé seraient financés à 100 % à même les fonds publics. L’auteur ne cache que sa proposition de bons d’étude entraînerait des coûts budgétaires supplémentaires de 315 millions pour le ministère de l’Éducation au terme de la période de cinq ans. Cette somme équivaut aux frais scolaires défrayés actuellement par les parents des écoles privées.

Les défenseurs du système d’éducation publique réclament l’arrêt du financement public du réseau privé; l’Institut économique de Montréal demande, avec les bons d’étude, son financement complet et total !