« On lâchera pas ! »

« Merci d’être venue nous rencontrer », se sont-elles écriées au moment où j’allais partir. Elles étaient quatre. Personne ne leur avait donné la parole depuis les neuf mois que dure le conflit, sauf l’émission Le Point de Radio-Canada le 23 décembre. À l’occasion du 8 mars, journée internationale des femmes, elles livrent un témoignage vibrant, d’une chaleur et d’une sincérité désarmante, teinté d’une profonde tristesse et d’une vive douleur. Sans amertume ni hargne. Qu’une colère saine, justifiée, face à l’intolérable attente d’une issue à la négociation qui se tient à huis clos depuis quatre mois et qui mettrait fin au conflit qui les oppose à Vidéotron depuis neuf mois.

Quatre femmes vives, fortes, conscientes, réalistes. Wilma Watson et Catherine Audette cumulent chacune plus de 20 ans de services. Wilma travaille à la mise en ondes à la chaîne Vox tandis que Catherine est conseillère senior au service à la clientèle. Tanya Munro est à l’emploi de l’entreprise depuis 10 ans. Elle est aussi conseillère au même service que Catherine. Isabelle Leymarie-Fol est au courriel électronique depuis 2 ans et demi, un poste maintenant aboli. Elles sont au début de la quarantaine et dans la jeune trentaine.

« On trouve ça dur ! »

Au début du conflit, elles étaient choquées, mais décidées de faire respecter leurs droits et le travail accompli durant leurs nombreuses années dans l’entreprise. Elles se disaient que le patron n’allait pas les jeter à la rue comme ça. Surtout après l’arrêt de la première négociation, elles ont senti que tous les grévistes étaient gonflés à bloc et pas prêts à lâcher.

Mais la deuxième négociation traîne en longueur : elle se poursuit depuis quatre mois. Le moral commence à baisser, on sent l’essoufflement financier. Près de la moitié des employés sont des femmes. Beaucoup monoparentales. « On trouve ça dur ! » affirment-elles en chœur.

« Moi, c’est clair, ça fait neuf mois que je ne peux pas rembourser mon prêt à la Caisse ; je suis seule, j’ai deux enfants, mon loyer est de 650$, le compte d’Hydro de 100$, je ne peux même pas payer mes frais de garde ni ma carte d’autobus. C’est ma mère qui m’aide », dit Catherine.

La carte de crédit pour payer le Père Noël

La période des Fêtes est venue les drainer encore plus. Comment dire aux enfants que maman n’a pas de sous pour acheter des cadeaux de Noël ? « À la dernière minute, on a toutes fait la même chose : on a utilisé notre carte de crédit déjà surchargée », ajoute Isabelle, mère d’un garçon de 11 ans.

« Moi, c’est l’orthodontie qui va sur la carte de crédit. Ma fille doit poursuivre ses traitements commencés avant le conflit, surenchérit Wilma. L’orthodontiste veut être payé, le conflit ne le regarde pas. » Le cri des mères, conscientes que leurs enfants ne devraient pas souffrir d’un conflit qui n’en finit plus, de négociations qui n’aboutissent pas, est déchirant.

L’attente est difficile à supporter d’autant plus qu’un pacte de confidentialité a été signé par les négociateurs. Quatre mois de mutisme au quotidien. « Nous, on est au bureau, on voit les négociateurs entrer le matin, s’ils affichent un air fatigué, on croit que c’est à cause de la négociation, on se laisse aller à l’interprétation. La plupart du temps, ça n’a rien à voir avec la réalité. » L’insécurité causée par l’issue incertaine persiste.

Après quatre mois, Catherine admet qu’elle est épuisée, tellement stressée que ses mains sont raides, ses poings et ses mâchoires serrés à force de se réveiller 4 ou 5 fois par nuit. « Mais, on n’arrêtera pas pour autant, on va continuer », s’empressent-elles toutes d’ajouter.

La solidarité au quotidien

Les allocations de grève sont assurées par le Syndicat canadien de la fonction publique. De nombreux syndicats leur viennent aussi en aide. Certains syndicats demandent à chacun de leurs membres de donner un montant par paie. D’autres font eux-mêmes une levée de denrées et viennent les porter au local syndical. Il y a même des dons faits par des grévistes qui considèrent que leur lutte est très importante et qu’elle touche tout le monde.

De simples citoyens envoient des chèques à chaque semaine, à chaque mois. Une fois par semaine un donateur anonyme remet 100 $ aux grévistes sur les piquets de grève. « Au tout début de la grève, un homme est venu à nos bureaux et nous a remis 500$, sans vouloir se nommer », se souvient Isabelle. « On a reçu des chèques de 50 $ des clients de Vidéotron qui nous encourageaient à continuer la lutte », poursuit-elle. Des appuis viennent d’aussi loin que l’Australie, l’Angleterre, les États-Unis, la Suisse et aussi de travailleurs français de Quebecor Média et de Quebecor World avec lesquels ils communiquent par courriels.

La banque alimentaire fonctionne très bien. Au début, les gens étaient mal à l’aise, ils n’avaient pas l’habitude de demander. Il a fallu leur expliquer que ce n’était pas de la charité. Un comité d’entraide a été formé pour demander des dons. Une gamme de produits de toutes sortes est maintenant offerte. « Les plus heureux sont les enfants, disent les mères en riant. Lorsque la boîte de nourriture arrive à la maison, c’est un peu comme une boîte à surprises : c’est le party. Du chocolat, des céréales sucrées, ça leur fait du bien, même si ce sont des choses qu’ils ne mangeraient pas en temps normal. » Cette forme d’aide aux syndiqués en grève va bon train. Vous voulez y participer, exprimer votre solidarité ? Faites parvenir vos dons à l’adresse suivante :

Syndicat des employés de Vidéotron Limitée, Section 2815, 2486, rue Jean-Talon est, bureau 1, Montréal, H2E 1W2. Au téléphone : (514) 527-4637

Le retour à la simplicité... involontaire

Un an en lock-out change le rythme de vie. Quand le salaire auquel on était habitué diminue considérablement, quand on ne reçoit pas de pension alimentaire ou comme Catherine, quand le père qui est aussi gréviste cesse de la payer, il faut continuer à nourrir et à habiller les enfants. Les sacrifices sont énormes. Néanmoins, constatent-elles, au manque d’argent s’est substituée une nouvelle ressource, le temps. Ce qui a fait que les relations familiales se sont fortement améliorées.

Les enfants sont heureux que maman soit présente à l’heure du souper, des devoirs, pour les border à l’heure du lit. Les priorités changent. Au lieu d’acheter des livres à la librairie, elles accompagnent les petits à la bibliothèque, vont les chercher à l’école, remplacent le restaurant par des petits soupers à la chandelle en tête-à-tête. Toutes ces activités entraînent un rapprochement et une communication beaucoup plus ouverte.

Les enfants à la défense de leur mère

Les enfants comprennent la situation. Ils appuient leur mère, sont solidaires. Par exemple, l’aînée de Catherine a su défendre sa mère lorsque son prof de français au secondaire s’est mis à critiquer les employés de Vidéotron, disant que le conflit aurait pu se régler dans un temps record, que c’était du chialage.

Le fils d’Isabelle se promène fièrement avec ses macarons. Il est de toutes les manifestations et crie plus fort que les grévistes. « Maman, tout le monde sait que tu es en grève de chez Vidéotron à l’école et les gens disent de ne pas lâcher », dit-il pour l’encourager.

« Les enfants mûrissent rapidement au contact de cette rude réalité » constate Wilma. Charlotte, sa fille, comprend mieux la valeur des choses et reconnaît qu’avant elle était très gâtée. « Je suis tellement heureuse que tu sois en grève. Maintenant, on a moins d’argent, mais je te vois et on fait plus de choses ensemble », confie-t-elle à sa mère.

On la comprend. Pendant deux ans, Wilma n’a presque pas vu son enfant. Elle travaillait le soir, n’entrant à la maison que vers minuit trente. « Ne devrait-on pas inclure dans les conventions collectives que les femmes qui ont des enfants ne devraient pas travailler le soir ? » se dit Wilma.

Et si les enfants avaient raison ?

Elles en sont venues bien malgré elles à la simplicité … volontaire. Des côtés positifs, nul doute. Une prise de conscience forcée sur la place que fait le marché du travail aux femmes, mères, monoparentales qui doivent assumer plus que leur lot de responsabilités familiales.

Et si les enfants avaient raison ? Si c’était plutôt le marché du travail qui n’était pas adapté aux besoins des familles, des mères, des femmes monoparentales ? Comment expliquer qu’une mère doit être en grève pour avoir du temps pour ses enfants ? Enfants et carrière sont-ils incompatibles ? Le premier ministre Landry propose la semaine de quatre jours pour les parents d’enfants de moins de 12 ans. Pour une femme cheffe de famille, n’est-ce pas une mesure injuste voire dérisoire que de lui offrir d’une main plus de temps et de l’autre lui couper une journée de salaire ?

PKP : un minable petit patron

Avant l’achat de Vidéotron par Quebecor, elles étaient fières du service qu’elles offraient à la clientèle. Sous la présidence de M. Claude Chagnon, le respect et la confiance étaient à l’honneur. « On travaillait pour le client. On avait le droit de prendre des décisions d’entreprise. Ce n’est plus le cas depuis que Pierre-Karl Péladeau s’est installé à la présidence. Toutes les décisions sont prises par le patron. »

Il a une attitude méprisante envers ses employés. Il sacre après eux, se permet de fumer dans les bureaux, mais devant les médias il les traite de « bande d’incompétents trop payés ». Des propos très blessants pour des employés qui « se fendaient en quatre pour garder les clients, même si le patron coupait les promotions et les services, sans explication »

Une réalité falsifiée dont le fardeau retombe sur les clients. « Si je ne vous ai pas fait un crédit lorsque vous avez appelé au service à la clientèle, c’est que monsieur mon nouveau boss ne voulait rien savoir, ça ne le tentait pas. Aussi, il a refusé que j’envoie un technicien chez vous alors que le problème dure depuis six mois et vous serez obligé d’attendre un mois de plus pour la réparation », rage Catherine, impuissante devant tant de froideur et d’irresponsabilité.

« Il ne voulait pas qu’on installe des lumières de Noël dans nos bureaux. Au même moment, sans informer personne, il a annulé le service d’entretien des plantes. De sorte que, de retour des vacances des Fêtes, toutes les superbes plantes étaient mortes. Plus d’essuie-tout, plus de crayons à mine, on devait apporter nos crayons de chez nous ; plus de papier pour les photocopieuses, il fallait aller en chercher sur les autres étages ; on était surveillées, questionnées sur l’utilisation qu’on en faisait », s’indignent-elles. C’est comme s’il se disait que les employés n’ont pas besoin d’un milieu de travail agréable.

Tous les moyens sont bons pour intimider ses employés, affirmer son pouvoir, voire sa dictature. Au début de la grève, il a tout fait pour les déstabiliser en postant des camions devant les piquets de grève, en organisant des partys dans le stationnement avec les voleurs de jobs (scabs) bien à la vue, en transférant des services à St-Hubert.

Sans compter l’air suffisant qu’il affiche au contact des employés que trop souvent il tutoie, engueule, méprise. « Tu n’as pas d’affaire icitte, tu parles trop ben ! » dit-il à un de ses employés. Fanfaron, il ne se gêne pas non plus pour reluquer une belle fille dans le corridor devant plein d’hommes avant de l’apostropher d’un « t’es donc ben belle ! » Comportement typique à la Péladeau !

La sous-traitance, gangrène du marché du travail

« Quand je suis entrée chez Vidéotron – il y a 2 ans et demi –, une réputation de bien-être y régnait. De plus, il y avait des possibilités d’avancement. On pouvait y faire sa place et se développer, relate Isabelle. C’était à l’époque le même sentiment chez les jeunes engagés. On sentait qu’on était partie prenante dans l’entreprise. Depuis que nous appartenons à Quebecor, nous avons été transformés en machines à répondre à nos clients. Si j’avais voulu cela, je serais allée chez Bell où je serais mieux payée. Moi, j’ai choisi le bien-être. » Même son de cloche pour Wilma qui dit que pour le même emploi – à la mise en ondes – le salaire des employés de Radio-Canada ou de Télé-Métropole est plus élevé.

Catherine a occupé différents postes depuis plus de vingt ans. Elle croit qu’elle a aidé à bâtir l’entreprise. « Je me sentais impliquée, j’étais fière de faire partie de l’équipe, lance-t-elle avec émotion. Peut-être qu’au bout de 20 ans je suis à 24 $ de l’heure, je le mérite, j’ai travaillé fort pour me rendre là. C’est normal ! »

De la chair à sous-traitance

Alors, la sous-traitance, non merci. On en est rendu à mettre à pied des sous-traitants de Bell Entourage pour les envoyer travailler chez Expertech qui est lui-même un sous-traitant. Les sous-traitants deviennent les sous-traitants des sous-traitants et les travailleurs réduits à être de la chair à sous-traitance. C’est scandaleux !

« Nous ne lâcherons pas. C’est une première au Québec, nous n’avons jamais vu autant d’appuis à la fois des syndicats et de la population. Nous aimerions que les gens prennent position non seulement contre ce patron-là, mais aussi contre la Caisse de dépôt, contre le gouvernement, contre la privatisation, contre la sous-traitance, contre tout ce qui est en train de gruger nos conditions de travail au Québec. Ça touche tout le monde, les hommes et les femmes », lancent-elles.

C’est un enjeu majeur pour le Québec. Qui sait si la prochaine compagnie à se retrouver dans la même situation que Vidéotron ne sera pas la vôtre ?

Où sont les organismes de femmes ?

Est-ce que les organismes de femmes leur sont venus en aide ? Non, il semble que personne de ces organismes ne les ont approchées, du moins aucun qu’elles auraient pu identifier. Ni même la Fédération des femmes du Québec qui a consacré de longs débats et une tournée provinciale à la question de la prostitution. Est-ce que les travailleuses du sexe dans la rue sont plus crédibles et plus efficaces que celles jetées à la rue par leur patron, obligées à piqueter pour se faire entendre ?