Remember Quebec !

En 1775, lors de l’invasion américaine, Montgomery et Arnold ont lancé une opération catastrophique contre Québec, au beau milieu d’une tempête de neige, la veille du jour de l’An. La décision des deux généraux insurgés n’avait aucune justification stratégique ou tactique, même pas celle de déclencher une attaque au moment où on s’y attendait le moins.

La raison de cet engagement malheureux était administrative : le lendemain, les généraux américains n’avaient plus de soldats à commander. Le contrat d’engagement de leurs miliciens venait à échéance le premier de l’an et il n’était pas question pour eux de se faire tuer en temps supplémentaire. Depuis, il semble que l’état-major américain en a gardé une double appréhension : la crainte de s’engager passé date dans un conflit et la peur panique de s’enliser dans une tempête de neige ou de sable.

On reconnaît l’influence que le fameux Remember Alamo ! texan exerce sur l’état d’esprit guerrier du président américain, mais on ignore généralement le poids du Remember Quebec ! dans les évaluations de son état-major. Ainsi, nous risquons fort que la Maison Blanche nous apprenne d’ici peu, par simple conférence de presse, que l’invasion de l’Irak est en cours. Sera-ce le fait d’une nouvelle urgence stratégique ? tactique ? ou électorale ? Si c’était le cas, on serait tout aussi inquiet mais à tout le moins rassuré. Non ! la décision sera bêtement administrative. On trouvera sûrement quelque chose – des bombes sol-sol, des missiles air-air, des sous-pieds bioniques, du lait en poudre, des permissions accumulées ou le soutien de l’Angleterre – qui seraient passés date si l’administration Bush avait attendu 24 heures de plus avant d’ouvrir les hostilités.

N’ajustez pas vos oreilles !

Imaginez une représentation théâtrale où tous les comédiens seraient constamment en train de s’interrompre pour reprendre un mot mal prononcé ou une réplique mal articulée ou corriger l’accent de leurs partenaires en se donnant du je-ne-ne à qui mieux mieux. Inutile de faire l’exercice ! Ces jours-ci vous n’avez qu’à syntoniser Radio-Canada et écouter une émission de radio de la première chaîne. Ce qui pourrait être à la scène une fatrasie loufoque dans le style absurde de Tardieu ou de Ionesco devient sur les ondes radiophoniques une insupportable logorrhée de muscadins, de mirliflores, d’incroyables et précieuses ridicules qui s’époussettent le vocabulaire comme les chimpanzés se cherchent des poux. Pour les singes comme pour leurs émules de la propreté du corps linguistique, le premier plaisir de l’exercice est évidemment de faire part de leurs trouvailles à la compagnie.

L’avare de Brossard. Du Temps où ils cultivaient leurs terres noires, j’ai connu les Brossards de Brossardville. Un jour, l’un d’eux vendit la sienne pour une somme qui leur était apparue faramineuse. Trente mille dollars ! Du matin au soir, il se frottait le menton qu’il avait long d’avoir fourré un gars de la ville Il n’arrivait pas à réprimer son sourire matois. Le même plissement des lèvres et des yeux qu’il avait lorsqu’il livrait une poche de patates avec des roches dans le fond pour faire le poids.

Puis, un jour, il se mit à dépérir. Fini le sourire ! La mine abattue et l’air hagard, l’avare n’était pas beau à voir. Le promoteur qui avait acheté sa terre s’était empressé de la lotir et il vendait maintenant chacun des terrains sept ou huit mille dollars. L’habitant avait fait le calcul mental de ce que l’ensemble des lots rapporterait. Trois cent mille dollars qu’on m’a volés ! Parce que dans son esprit, il avait été dépossédé d’un profit légitime. Ce n’était pas Ma cassette ! qu’il lançait à la cantonade mais Ma terre ! On m’a volé ma terre ! On vient fou à moins. Lui, il s’était mis à ajouter des épis de blé d’Inde aux roches pour faire le poids de ses poches de patates.

Les séraphins de Trois-Pistoles.

Il y a peu le maire de Notre-Dame-des-Neiges et ses conseillers se votaient des motions de félicitations pour avoir obtenu d’un promoteur la fabuleuse somme de 25 000 $ par année pendant cinquante ans pour l’exploitation d’une centrale hydroélectrique sur la rivière Trois-Pistoles qui traverse le territoire de leur municipalité. Des pinottes Lalumière, mais des pinottes tout de même ! Et voilà-tu pas que le ministre de l’Environnement leur coupe subitement le courant en annulant la construction de la dite centrale.

Stupeur et clameur ! D’un seul cerveau, le conseil municipal multiplie mentalement la somme escomptée par les années contractées et prenant soudainement conscience du profit dont le gouvernement les dépossède, s’écrie d’une seule voix : Un million et quart ! On nous a volé un million et quart ! L’éclat fut suivi d’un silence qu’on pourrait décrire comme équivalent à l’ampleur de la perte. Il fut long, profond et électrifiant. Franchement personne n’avait imaginé jusque là que la municipalité avait fait une aussi bonne affaire. En l’additionnant, le petit change annuel s’était métamorphosé en une fortune dont la décision ministérielle les spoliait. Ce n’était plus Ma terre ! On m’a volé ma terre ! de l’avare de Brossard mais Notre barrage ! On nous a volé notre barrage ! Et sur-le-champ le conseil municipal adopta une résolution à l’effet de poursuivre Québec pour un demi-million payable dans les plus brefs délais! Depuis, on a noté qu’aux réunions du conseil, le maire et ses comparses ont pris l’habitude de se frotter les mains et de se caresser le menton pour l’allonger.

Un entre-deux-guerres.

La paix ne se résume pas à être contre la guerre. C’est autre chose ! Sinon la paix ne serait qu’une absence de guerre. Comme si la guerre était l’état naturel des choses et la paix l’exception qui confirme la règle. On aime croire que la guerre engendre la violence et la paix son contraire, la non-violence, comme si la Sainte paix était le parfait équivalent de la Guerre sainte. Or rien n’est moins vrai et rien moins violent que le combat de la paix contre l’ignorance, la bêtise, l’injustice, l’inégalité et la pauvreté. La première vertu de la paix n’est pas la foi et la sérénité de la certitude, mais le doute, la curiosité et l’insatiable soif d’apprendre. Si la paix est tranquille, si elle n’est pas agitée et si son amour n’est pas violent, alors, dites-vous, qu’au mieux c’est une trêve et au pire une reddition. Donc, dans tous les cas, un entre-deux-guerres.