À droite toute ! Pourquoi ?

À l’ombre de la tour de l’Université de Montréal, le 11 mars au soir dernier, se tenait le débat « À droite : quelle droite ? » à la librairie-bistro Olivieri. L’intention était de brosser un portrait reliant les causes et les conséquences relatives à l’émergence de l’ADQ. Au titre, aurait aussi pu s’ajouter quelle gauche ?, car en voulant éviter de faire le simple procès de l’ADQ, les intervenants, parfois divergents, ont cherché les causes de l’absence d’une gauche forte au Québec.

Gil Courtemanche, chroniqueur au Devoir, Lorraine Guay, du collectif D’abord solidaires et Jean-Marc Piotte, professeur de philosophie politique à l’Uqam étaient les acteurs de la joute d’idées. L’événement, animé par André Champagne de Radio-Canada, faisait suite à la sortie du livre À droite toute ! Le programme de l’ADQ expliqué, publié aux Éditions HMH sous la direction de Jean-Marc Piotte.

La maladroite !

Le débat, sans économie de nuances, a à quelques reprises sorti du sérieux intellectuel. À la question de savoir si le parti Mario a réellement l’intention de mettre en branle ses idées une fois élu, Courtemanche répond : « Les adéquistes sont à mon sens des épais qui croient à leurs idées, même si elles ont donné lieu à des échecs lamentables partout où elles ont été appliquées dans le monde. Mais Piotte met en garde : L’ADQ, c’est un peu not’ bébé à tous, car la gauche n’a pas su présenter une alternative de changement aussi concrète ».

Au départ, les orateurs se proposaient d’expliquer comment on est passé du 6 % d’intention de vote en 1994 au 40 % de l’été 2002. Courtemanche a passé en revue le contexte politique des dix dernières années afin d’en dégager les ressorts qui ont favorisé une montée de la droite, ici comme ailleurs. Il n’y a pas, selon lui, d’adhésion philosophique de la part de la population aux idées de droite de l’ADQ. Il s’agit plutôt, et tous étaient d’accord, d’un besoin fondé de changement.

Courtemanche voit dans la décennie passée un cul-de-sac pour les démocraties occidentales, coincées entre la motivation que suscitaient les promesses néolibérales et l’absence des résultats escomptés. Plus près de nous, Piotte voit dans la lutte pour le déficit zéro de Bouchard, qui a entraîné une crise des services sociaux, une source de frustrations pour les contribuables. Aussi, les fusions municipales forcées ont laissé aux citoyens l’impression d’un gouvernement central trop fort.

Dans un tel contexte, la droite capitalise sur le mécontentement général en proposant – tout en excluant une analyse rigoureuse de la situation – d’enlever les obstacles à l’enrichissement individuel. Ces obstacles peuvent être perçus dans les immigrants, dans la solidarité sociale ou dans les impôts et les services publics.

Le modèle québécois, un modèle pour qui ?

Le rôle du gouvernement et sa place devient le cheval de bataille des adéquistes et de ses opposants. Combien de fois n’a-t-on pas entendu qu’il faut revoir le modèle québécois ? « Mais quel modèle, s’est exclamé Piotte, un modèle est un exemple que d’autres suivent, alors le modèle québécois est un modèle pour qui ?! D’ailleurs, sa définition varie toujours selon les valeurs des sociologues ou politologues qui en parlent ! Les modèles sont néolibéraux, social-démocrates, conservateurs, etc, mais québécois, pas sûr ! »

Lorraine Guay craint de son côté qu’il y ait au Québec un terreau fertile pour les idées de droite. Les gens trouvent généralement l’État trop gros et ne semblent pas entretenir une mémoire collective de ce qu’était le Québec droitiste d’avant l’avènement de l’État-providence. Courtemanche enchaîne en rappelant que, depuis quarante ans, la politique gestionnaire du Québec se tient au centre et que la population n’a pas connu un changement radical, comme celui que propose l’ADQ. N’ayant pas goûté aux conséquences d’un tel revirement, elle ne le craint pas.

Si les sociétés européennes connaissent bien les polarisations politiques, le Québec de son bord, est habitué au couple souverainisme/fédéralisme. Les intellectuels présents étaient d’accord : cette dualité a polarisé les partis et les débats politiques au Québec et relayé au second plan les questions socio-politiques. Même que les questionnements essentiels sont devenus une affaire intérieure aux partis plutôt qu’un élément de positionnement électoral. Chaque parti traditionnel a son aile droite et son aile gauche.

Piotte a avancé l’idée que si l’ADQ a des membres souverainistes et fédéralistes qui partagent les idées de droite, il pourrait aussi y avoir un parti de gauche avec une telle divergence en son sein. « Mais ce n’est pas le cas », a-t-il déploré.

L’avenir autrement, pensez-y bien

Le débat dans son ensemble a rappelé l’importance, même si l’équipe Dumont perd constamment de sa popularité, d’une prise de conscience des propositions des thinktank néolibéraux, que l’ADQ véhicule. Dumont est leur fidèle représentant, tout comme il se prétend être « le haut-parleur de la majorité silencieuse », ironisait Piotte. Il a conclu en disant que « pour Dumont, la solution au marasme politique, c’est l’individu-consommateur-entrepreneur. Sa vision du Québec de l’avenir : Un immense Wal-Mart ! »

Le programme de l’ADQ expliqué

Voilà un livre phare de la présente campagne électorale. Sous la direction de Jean-Marc Piotte aux éditions HMH, il offre une analyse toute en rigueur du programme adéquiste. L’ouvrage décortique point par point les positions du parti de Dumont, en ayant recours à divers spécialistes pour chaque sujet, allant de la santé à la position constitutionnelle. En tout, onze volets du programme sont mis en lumière, révélant de la sorte de nombreuses taches d’ombre et de criantes contradictions.

Moins vulgarisateur que ADQ, voie sans issue, de St-Onge et Mouterde, le présent ouvrage offre aussi de nombreuses réflexions générales. Par exemple, Richard Langlois, se penchant sur le volet économique, écrit : Plus qu’aucun autre parti politique québécois l’ayant précédé, l’ADQ entretient cette béatification aveugle de l’entreprise privée, qui maximiserait l’efficacité de la production. Que cette même concurrence entraîne du gaspillage faramineux en publicité et dépenses de toutes sortes, qu’elle mène très souvent à une concentration excessive de l’activité économique et que les PDG ne cherchent qu’à plaire aux actionnaires ne semble pas préoccuper les gens de l’ADQ. C’est bien leur chef qui l’a dit : l’important c’est de croire et non pas de savoir…

D’ailleurs, pour avoir étudié toutes les propositions économiques et les miracles qu’elles promettent, Langlois ajoute : On se croirait ici en plein Disneyland économique…