Le géant Noranda s’apprête à construire une aluminerie dans une importante réserve naturelle du sud du Chili. Ce projet destructeur soulève la population locale, les environnementalistes et de nombreux représentants politiques chiliens. Lors d’une tournée d’information au Québec, nous avons rencontré Peter Hartmann, environnementaliste chilien, ainsi qu’Alejandro Navarro, député du Parti socialiste chilien.
On sait que cette multinationale canadienne s’intéresse plus à son taux de profit qu’aux impacts de ses activités sur l’effet de serre. Seulement aux États-Unis et au Canada, la compagnie a déjà accumulé 87 violations de normes environnementales. C’est le cas à Rouyn, où la fonderie émet 2,5 fois plus d’arsenic que ce que prétend la compagnie.
C’était aussi le cas à Danville, où son usine Métallurgie Magnola émettait de « 32 à 58 fois plus de dioxines de furanes que prévu ». Roch Lanthier, du Collectif de lutte aux organochlorés, dénonce : « Avec Magnola, ils ont pollué notre environnement et maintenant ils ferment l’usine en abandonnant leurs travailleurs non syndiqués. »
Un éco-système unique menacé
La région d’Aysen est située en Patagonie centrale, dans le sud du Chili. Avec population de moins de 100 000 habitants et une colonisation datant de moins de 80 ans, « cette réserve de vie représente un écosystème unique, un des plus riches du monde ». L’environnementaliste Peter Hartmann continue : « Ce coin de paradis a été jusqu’ici propice au développement durable : que ce soit l’agriculture organique, l’élevage du bétail traditionnel, la pêche ou encore le tourisme, toutes ces activités s’inscrivent en harmonie avec la région. »
Or le méga-projet Alumysa prévoit y construire une fonderie d’aluminium, trois nouvelles centrales hydroélectriques, cinq nouveaux barrages, en plus de nouvelles routes et lignes électriques. Hartmann s’inquiète : « Ce projet constitue une catastrophe écologique. Sur les 1 100 000 tonnes de matières premières importées tous les ans, le projet créerait 440 000 tonnes de lingots d’aluminium et 660 000 tonnes de déchets. » Aucun plan de traitement de ces déchets n’est prévu.
La réalisation du projet créera 8100 emplois temporaires pour la construction de l’infrastructure, puis ce nombre sera réduit à 1100 postes pour l’étape de mise en fonction. De ces travailleurs, seulement 10 % viendront de la région. Or, comme l’environnementaliste l’explique : « La ville d’Aysen est peu développée et n’a pas l’infrastructure suffisante pour supporter cette explosion démographique. »
Les déchets liquides domestiques et industriels seront mêlés aux pluies et iront polluer toute la région. « En plus, on doit craindre l’augmentation du trafic des gros navires et les risques associés aux accidents, puisqu’il est difficile de naviguer dans ces eaux peu profondes. »
De nombreuses études d’universitaires, d’organismes publics et d’organismes non gouvernementaux assurent qu’un tel projet ne peut être viable. Hartmann craint que le Chili ne devienne un corridor où les pays riches pollueront. En plus, des 700 millions $ annuellement créés sur place, seulement 45 millions resteront dans la région.
Magouilles spéculatives
Alejandro Navarro du Parti socialiste explique qu’il y a 12 ans, le gouvernement a privatisé ces terres pour une bouchée de pain. La compagnie chilienne spécialisée dans la spéculation a fait mousser le potentiel de la région. Noranda a acheté l’idée et le terrain en 1996, en association avec Comalco, une entreprise australienne.
Le député poursuit : « C’est en 2001 que l’empire a présenté le projet au gouvernement. Le lobby était au rendez-vous! Le pays n’est pas habitué à de telles pratiques et le projet a failli être accepté. » Heureusement, il est temporairement rejeté. Noranda doit le représenter l’automne prochain, avec certaines modifications. Entre temps, la population s’est mobilisée et tente d’arrêter la machine.
Un des plus grands dangers, selon le député de l’actuel parti au pouvoir, « c’est que les activités liées au fonctionnement de l’aluminerie contamineront le saumon de la région. » Or le Chili est justement le premier exportateur mondial de saumon. « Le Japon, la Norvège et l’Espagne refuseront assurément notre poisson contaminé. »
Ce secteur représente 8000 emplois dans la région. Tout porte à croire qu’ils seront perdus avec l’arrivée de l’aluminerie, qui ne créera que 1100 emplois stables. Navarro continue : « Ce qu’il ne faut pas oublier, c’est que nous voulons quand même développer des emplois au Chili. C’est pourquoi j’ai proposé que Noranda construise son aluminerie dans nos déserts du nord, où le coût de l’électricité produit avec du gaz naturel est très faible, et où il n’y a rien à détruire. » C’est dans le nord du Chili que Noranda possède ses nombreuses mines.
Chili-Québec, même combat
En attendant l’automne prochain, Hartmann et Navarro mobilisent. C’est la seule façon d’éviter une catastrophe écologique. Alejandro Navarro explique que « nous avons mis sur pied une campagne de mobilisation à tous les niveaux : local, national et international. » Il faut dénoncer la façon d’agir de Noranda, pour qui le respect de l’environnement s’oppose nécessairement à ses profits.