Oui ! à la grève générale et à l'action politique

Au cours des prochaines semaines, le Québec sera le théâtre d'une extraordinaire expérience de démocratie de « proximité »

Ports et routes bloqués, arrêts de travail et perturbations dans les usines, les bureaux et les institutions scolaires, partout à travers le Québec, le mouvement syndical a fait une remarquable entrée en scène, le 11 décembre dernier, après des années de douce somnolence.

Avec plus d'un million de membres à bord, le mouvement syndical, tel un immense navire, vient d'amorcer un long virage qui va prendre encore plusieurs mois avant d'être en mode opérationnel avec l'équipage aux postes de combat.

On ne balaie pas facilement du revers de la main vingt ans de collaboration avec le patronat et le gouvernement. Mais le mouvement syndical ne pourra se défiler. Le gouvernement Charest lui a déclaré la guerre. La concertation a vécu, bienvenue à la contestation !

Au cours des dernières décennies, le mouvement syndical s'est fait si discret sur le terrain social que les intellectuels progressistes n'avaient d'yeux que pour les groupes de femmes, écologistes, altermondialistes et autres coalitions citoyennes qui ont occupé tout l'espace social et politique de l'opposition au néolibéralisme.

Cependant, force est de reconnaître que des événements majeurs comme la Marche des femmes, le Sommet des peuples à Québec n'auraient pu connaître une telle ampleur sans l'apport financier, logistique et humain du mouvement syndical. Nous pouvons faire le même constat pour l'aut'journal.

Le mouvement syndical est de loin la principale source indépendante de financement des activités contestataires et des groupes qui les organisent. Autrement, les groupes alternatifs doivent mendier auprès du patronat ou des gouvernements, avec l'obligation en retour, par exemple, de publier des reportages élogieux sur le vice-roi du Canada ou la constitution islamique de l'Afghanistan, pour citer deux exemples récents. Pas besoin d'être malin, pour imaginer d'autres distorsions aux politiques de ces organismes, résultant de cette dépendance.

Ces dernières années, la gauche québécoise et occidentale a valorisé toutes sortes d'expériences démocratiques locales, – ou encore dites de « proximité » – s'inspirant du budget démocratique de Porto Alegre au Brésil, dont on a même affirmé qu'il marquait le début d'une « nouvelle révolution démocratique ». Plusieurs ont, semble-t-il, « oublié » que cette expérience n'aurait pas été possible sans le développement phénoménal du Parti des travailleurs de Lula, issu lui-même des grandes luttes du mouvement syndical brésilien.

Au cours des prochaines semaines, le Québec sera le théâtre d'une extraordinaire expérience de démocratie de « proximité ». Dans des centaines d'assemblées générales, qui auront été précédées de centaines de réunions d'exécutifs et d'assemblées de personnes déléguées, des milliers d'hommes et de femmes débattront et voteront sur la pertinence de tenir une journée de grève générale illégale contre les politiques du gouvernement Charest.

Si le Québec syndiqué, autour duquel se seront rassemblés, à son invitation, les groupes communautaires, féministes et altermondialistes, réussit ce geste d'éclat, nous aurons franchi un pas considérable dans la défense de nos acquis sociaux.

Cependant, l'expérience ontarienne a démontré que cela n'était pas suffisant. Bien qu'il ait réussi à fermer des villes entières avec des grèves générales, le mouvement syndical ontarien n'a pas pu empêcher la réélection du gouvernement de Mike Harris et sa « révolution du bon sens ». La leçon est claire : le mouvement syndical doit investir le champ politique.

Déjà, lors des événements de la mi-décembre, il était déplorable de constater qu'aucun député de l'Assemblé nationale ne pouvait se réclamer légitimement du mouvement syndical. Bien qu'il regroupe 40 % de la main-d'œuvre – un taux de syndicalisation parmi les plus élevés au monde – le mouvement syndical québécois est toujours orphelin politiquement.

Cela ne signifie pas que ses membres et plusieurs de ses organisations soient totalement absents de la scène politique. Au contraire, le mouvement syndical constitue la principale base organisationnelle informelle du Parti québécois. À preuve, de l'aveu même de ses dirigeants, l'absence du mouvement syndical dans la Beauce explique la faiblesse du Parti québécois dans cette région.

Au cours des deux dernières élections, la grande majorité des syndicalistes et des progressistes ont boudé l'alternative que leur offraient les tiers partis se réclamant de la lutte contre le néolibéralisme. Les particularités de notre mode de scrutin l'expliquent en partie. En l'absence d'un mode de scrutin proportionnel aux prochaines élections, il y a fort à parier que leur réaction sera la même, d'autant plus qu'ils invoqueront l'urgence de se débarrasser du gouvernement Charest.

S'ajoute à cela la question nationale. Le corset fiscal dans lequel se débat le gouvernement Charest démontre une fois de plus que, si les besoins sont à Québec, l'argent est à Ottawa, et que la seule façon de s'en sortir est l'indépendance du Québec.

Alors que bon nombre de leaders de la gauche féministe et altermondialiste n'ont toujours pas de position arrêtée sur la question – après 40 ans de débats et deux référendums ! – le monde syndical a tranché depuis longtemps en faveur du Québec libre.

Que faire, alors ? À défaut de la proportionnelle lors du prochain scrutin, il faut revendiquer en quelque sorte la proportionnelle à l'intérieur du Parti québécois. Des exemples de cohabitation entre différentes tendances existent dans d'autres partis politiques. Par exemple, les statuts du Parti socialiste français reconnaissent l'existence de plusieurs courants politiques. De plus, ils prévoient la représentation proportionnelle aux différentes instances du parti de ces tendances en fonction du nombre de votes qu'elles obtiennent sur leur énoncé politique lors des congrès du parti.

Pour sortir de la marginalité, la gauche syndicale et progressiste doit donc constituer une tendance organisée et reconnue à l'intérieur du Parti québécois avec la perspective d'y défendre ses idées et de faire élire un certain nombre de ses porte-parole lors d'éventuelles élections partielles et, bien entendu, lors du prochain scrutin général.

Un tel scénario paraît actuellement possible. Bernard Landry – qui affirme que le Parti québécois doit redevenir la grande coalition, rassemblant l'ensemble du spectre politique, qu'il était dans les années 1970 – s'y est montré favorable dans son entrevue à l'aut'journal (no. 225).

Le corollaire à la création de cette tendance est la mise sur pied d'un club politique regroupant, à l'extérieur du Parti québécois, les membres du courant syndicaliste et progressiste.

La formation de cette tendance organisée au sein du Parti québécois et la création d'un club politique regroupant syndicalistes et progressistes favorisera la convergence des revendications démocratiques sociales et nationales en un seul et même projet politique.

Seule la perspective d'une société basée sur les idéaux les plus élevés de liberté et de justice sociale peut mobiliser la population autour du projet souverainiste et seule la réalisation de l'indépendance permettra l'émergence d'une telle société.