La méthode favorisait les emplois masculins

Une équité salariale de pacotille

La décision de la Cour supérieure d'invalider le chapitre 9 de la Loi sur l'équité salariale en a réjoui plus d'un. La clause échappatoire permettait aux programmes d'équité maison adoptés avant 1996 d'escamoter les obligations de la Loi. Le rapport de la juge Julien est très révélateur des manigances du Conseil du trésor dans sa réalisation d'une équité salariale « à rabais ». Jouant à la fois la carte de l'employeur et du législateur, c'est en toute connaissance de cause que le gouvernement a inséré une clause pouvant dissimuler une équité salariale de pacotille.

Patron de plus de 338 000 travailleurs des secteurs de la Santé et des Services sociaux qui sont majoritairement des femmes, le Conseil du trésor est le plus imposant des 120 employeurs concernés par le jugement. En 1990, son programme d'équité est déjà appliqué. Résultat, le gouvernement hausse les salaires en moyenne de 5,6 % pour un gros total de 371 000$ annuellement réparti à plus de 300 000 salariés ! À titre d'exemple, en haut de l'échelle, l'infirmière auxiliaire reçoit un gros 3,7 % supplémentaire. Selon le rapport, il est clair que le système de pointage utilisé n'a pas favorisé une hausse significative des salaires des femmes…

L'évaluation des emplois à prédominance féminine a été réalisée dans les années 1980. Trois comités assistés de firmes privées ont refait les catégories d'emplois. Parmi ces comités, 2 femmes sur 17 seulement y ont siégé. Le jugement rapporte aussi qu'en plus d'utiliser une méthode de classification favorisant les emplois masculins, les membres du comité n'ont eu aucune formation sur les préjugés sexistes systémiques.

Pour réaliser l'équité, les emplois à prédominance féminine ont été comparés à des emplois masculins dits équivalents. Le rapport de la Cour supérieure révèle que 49 000 infirmières ont été mises sur un pied d'égalité avec 35 inspecteurs en produits agricoles de la fonction publique du Québec ! Sur 42 comparateurs masculins, 25 représentent des emplois peu significatifs de 2 à 100 salariés. Le rapport ajoute : « ceci nous amène à conclure que le choix était probablement dicté, d'abord et avant tout, par des préoccupations d'ordre financier ».

Le jugement affiche clairement les méthodes douteuses du classement des emplois. Les comités ont isolé environ 40 % des emplois masculins considérés comme surclassés. C'est donc dire que les emplois les mieux rémunérés ont été mis de côté pour éviter de les comparer aux emplois féminins. La juge souligne que « des différences salariales seront maintenues de façon indéfinie ».

Le rapport est très clair : lorsque le gouvernement adopte la clause échappatoire de la Loi en 1996, il sait que son programme fait l'objet d'une enquête par la Commission des droits de la personne (CDP) pour discrimination salariale fondée sur le sexe. La juge Julien souligne la « position avantageuse » du Conseil du trésor à titre d'employeur. On peut lire : « Il faut retenir le fait historique de ces enquêtes […] quant à l'état de connaissance du gouvernement lorsqu'il adopte le chapitre IX de la Loi ». Elle ajoute au passage que même les enquêtes de la CDP « se heurtent à des embûches diverses […] à la difficulté d'obtenir les fonds requis de la part du gouvernement ». On comprend mieux pourquoi la juge Julien conclut « qu'un effort d'honnêteté serait nécessaire ».