Le Guatemala communiste n'existait que pour la CIA

Dans un article paru sur le site espagnol Rebelion, le journaliste Roberto Garcia, de Massiosare (supplément au quotidien mexicain La Jornada), résume le tout.

Au pouvoir depuis 1951, le gouvernement démocratiquement élu de Jacobo Arbenz met en marche, entre autres mesures populaires, une importante réforme agraire qui affecte les intérêts de la United Fruit. Selon Garcia, dès 1951, une circulaire de la CIA mentionne l'arrivée à Washington d'une personne qui est « l'intermédiaire de Sam Zamurias (président de la United Fruit Company), de Floyd Odlom (président de la Consolidated Vultee Aircraft) et de l'Electric Bond and Share Company ». Ces compagnies veulent « offrir (leurs) installations et personnels pour aider la CIA dans tout projet qui (leur) permettrait de combattre l'avance du communisme au Guatemala ».

D'autres documents révèlent d'abord l'existence d'une opération « PBFORTUNE » visant à assassiner des « pièces importantes » du régime guatémaltèque et, pour cela, « élaborer des listes d'individus », « former des équipes d'exilés » et « organiser des campagnes d'intimidation ». Un groupe « K » est tout spécialement entraîné avec un « manuel de l'assassinat » rédigé par un psychiatre de la CIA.

Mais même s'il est approuvé par l'administration Truman (qui dépêche aussitôt armes et argent au Guatemala), le plan ne voit jamais le jour. En 1952, nous dit Garcia, c'est plutôt le plan « PBSUCCESS » que Allen Dulles (alors directeur des plans de la CIA) fait adopter avec l'objectif « d'écarter secrètement la menace de l'actuel gouvernement du Guatemala » et d'y « installer et renforcer en secret un gouvernement pro-États-Unis. » La CIA choisit de faire croire que « les communistes se sont infiltrés au Guatemala et constituent une menace d'autant plus que l'opposition est dispersée et désunie ».

« PBSUCESS » approuvé, une certaine « Station Lincoln » commence à opérer au Guatemala. Sa mission compte cinq étapes:

Premièrement, conditionnement préliminaire : « semer le désaccord et la désertion dans les rangs de l'objectif »; le discréditer, rendre manifeste son « inhabilité », « nourrir l'impatience dans les rangs des non communistes », exercer des « pressions économiques » et « conclure des accords militaires avec les pays voisins, Nicaragua, Honduras et El Salvador ».

Deuxièmement, concentration : « susciter l'antagonisme contre le régime » autant à l'intérieur qu'à l'extérieur du pays et « initier des actions diplomatiques par le biais de l'Organisation des États américains ».

Troisièmement, rumeurs : « démarrer une campagne intensive de rumeurs qui stimulent la peur ».

Quatrièmement, agressivité : « sabotage agressif d'objectifs clés du gouvernement » et, plus tard, « lancement d'un ultimatum (ordonnant le départ du président) de la part du chef des rebelles pour éviter un bain de sang » et, éventuellement, « entrée des rebelles dans le pays ».

Cinquièmement, consolidation : « formation du nouveau gouvernement », « reconnaissance immédiate par l'OEA » et « offre d'aide par les États-Unis ».

Aidée par la « guerre des nerfs » et une radio clandestine (Radio Liberacion), la CIA prévoit que les forces anti-Arbenz « testent leurs moyens » par des « actes spécifiques de violence » tant internes qu'externes pour faire croire à un « commencement de terreur communiste » et justifier une intervention.

On donne les exemples suivants.

« Séquestrer des anticommunistes (…) par exemple, la femme et les enfants d'un patron nord-américain ; on pourrait trouver les vêtements ensanglantés de la femme au bord d'un lac avec des indices montrant que les tueurs sont communistes »;

« Tirer contre une installation de la United Fruit ou la maison d'un propriétaire terrien guatémaltèque millionnaire, découvrir sur les lieux des douilles ou une bombe incendiaire soviétique ».

« Une bombe d'origine soviétique explose sous la voiture de Juan Manuel Galvez (président du Honduras) une minute après qu'il en est descendu (…). L'assassin virtuel est arrêté et confesse son appartenance au PGT (Parti guatémaltèque du travail, de Jacobo Arbenz) (…) ou, peut-être mieux, l'assassin est un mythique officiel soviétique avec, sur lui, des roubles, un passeport soviétique ou polonais … »;

« Un groupe de guatémaltèques est capturé à la frontière hondurienne, équipé d'armes soviétiques, cartes, etc. L'un de ses membres admet qu'ils se préparaient à pénétrer au Honduras ».

Une fois « PBSUCCESS » achevé (pour effectivement éviter un bain de sang, Arbenz passe le pouvoir à un colonel de l'armée, Carlos Castillo Armas, avec « l'aide » de l'ambassadeur états-unien John Peurifoy), la CIA prévoit passer au plan « PBHISTORY » qui vise à prouver la nature communiste du régime défait.

Mais le projet est vite abandonné quand l'enquêteur Ronald Schneider ne constate, dans les documents secrets guatémaltèques, « aucune trace de contrôle soviétique » et, bien au contraire, « des preuves considérables que les communistes guatémaltèques agissaient seuls, sans appuis extérieurs ». La CIA découvre même que le Guatemala n'avait aucune relation diplomatique avec l'URSS!

Malgré cela, la « désoviétisation » a lieu : annulation de la réforme agraire, dévolution de terres à la United Fruit, signature d'un pacte de défense avec les États-Unis, réduction des droits civils des majorités, persécution des leaders syndicaux et surtout … portes grandes ouvertes à une guerre civile de 36 ans !