Une mise en scène pour privatiser Hydro-Québec

Quel à-propos que ce comité stratégique qui demande au gouvernement la tenue d'un Sommet extraordinaire !

Dans son édition du samedi 21 février, La Presse publiait un gros dossier de quatre pleines pages d’un « comité stratégique » sur le développement économique du Québec formé de l’économiste Jean-Yves Duclos, de l’ex-ministre péquiste Joseph Facal, du p. d. g. de Domtar, Raymond Royer, de Robert Lacroix, le recteur de l’Université de Montréal, et de Clément Godbout, l’ancien président de la FTQ.

Le dossier est intitulé « Un Québec au travail ». Avec un tel titre, on s’attend à un plan pour résorber le 10 % de chômage. Il n’en est rien. Au contraire, le dossier propose rien de moins que d’allonger la durée de la semaine de travail et de repousser l’âge de la retraite !

Que le dossier soit farci des sempiternels clichés néolibéraux sur la « réingénierie » de l’État à la faveur d’une plus grande ouverture au marché n’a rien d’étonnant lorsqu’on note que les sources citées proviennent essentiellement de « think tanks » d’extrême droite, soit l’Institut Fraser, sa filiale québécoise l’Institut économique de Montréal et CIRANO, un institut de recherche dont le recteur Robert Lacroix a déjà été le directeur.

Dans la section intitulée « Le retard », on présente un tableau délibérément noirci de la situation économique du Québec. Curieusement, les auteurs n’établissent aucun lien entre la détérioration de l’économie du Québec et sa dépendance accrue aux exportations qui sont passées en dix ans de 18 % à 33 % du PIB. Le libre-échange demeure un dogme, même s’il n’a jamais rempli les promesses de prospérité.

On souligne à grands traits le retard du Québec sur l’Ontario et les États-Unis sans jamais mentionner les causes historiques de notre infériorité économique (la Conquête, le fédéralisme). Au contraire, même le déficit fiscal, pourtant flagrant, est banalisé. « Des transferts fédéraux accrus vers les provinces, tout nécessaires qu’ils soient, n’apporteront pas de solution durable au problème structurel », peut-on lire. Une affirmation qui doit combler d’aise Paul Martin en cette période pré-électorale.

Que le Québec n’attire que 19 % des investissements privés faits au Canada contre 37 % pour l’Ontario ne peut évidemment s’expliquer – credo néolibéral oblige – que par une ponction fiscale trop élevée et le surendettement de l’État québécois.

Que les entreprises établies au Québec soient les moins taxées en Amérique du Nord, que 52 % d’entre elles ne paient pas d’impôts, que les crédits d’impôts (5 milliards $) soient si généreux qu’ils surpassent de deux milliards l’impôt sur le revenu et la taxe sur le capital des entreprises (3 milliards $) n’entrent pas dans les calculs des membres de notre « comité stratégique ». À leurs yeux, il n’y a qu’une conclusion qui s’impose : il y a encore 48 % des entreprises qui paient trop d’impôts !

Plutôt que d’être fiers de la seule véritable réussite économique du Québec, les sociétés d’État, ils concoctent un plan pour liquider la plus prestigieuse d’entre elles : Hydro-Québec.

Notre comité de « sages » propose d’augmenter les tarifs d’électricité au prix du « marché » – c’est-à-dire de l’Ontario et des Etats-Unis – et de verser les dividendes dans un Fonds d’infrastructures dont ils disent qu’il devrait être modelé sur le Heritage Fund de l’Alberta.

Nos « sages » sont de biens piètres maquignons. Le Heritage Fund s’est constitué à partir des redevances que payent les entreprises sur les exportations de pétrole et de gaz naturel, alors que leur Fonds Hydro-Québec sera alimenté par d’extraordinaires augmentations de tarifs aux consommateurs. Ils ont beau dire que ces augmentations s’appliqueront aussi aux entreprises, ils ne mentionnent pas qu’elles seront déductibles d’impôts, alors qu’elles ne le seront pas pour les individus.

Leur projet est cousu de fil blanc. Ce n’est qu’une mise en scène pour une éventuelle privatisation d’Hydro-Québec. C’est comme si la faillite d’Enron, le scandale d’Hydro One en Ontario, les mégapannes du réseau privé nord-américain n’avaient jamais existé.

Le Comité stratégique identifie le déclin démographique comme un des enjeux majeurs pour l’avenir. Que propose-t-il pour augmenter la natalité, pour faciliter la conciliation travail-famille, si chère à l’ex-ministre Joseph Facal, au point d’avoir motivé sa démission de la politique ?

Rien de moins que d’augmenter le nombre d’heures de travail ! Nos « stratèges » se doutaient bien que le lecteur ne manquerait pas de repérer la contradiction flagrante ! Aussi, ont-ils essayé de s’en sortir avec une entourloupette dont on ne voit pas qui elle pourrait convaincre à part André Pratte, l’éditorialiste en chef de La Presse et le secrétaire de leur comité.

Joseph Facal, qui s’est recyclé en chroniqueur du journal Les Affaires, et ses collègues écrivent donc, le plus sérieusement du monde, que le besoin de la conciliation travail-famille « dans la mesure où il se réalise plus rapidement ici qu’ailleurs, pourrait avoir l’effet contraire à ce qui est recherché, c’est-à-dire mener à une société moins prospère, qui crée moins d’emplois de qualité. »

Il faut donc qu’il se réalise ailleurs avant qu’ici, c’est-à-dire en Ontario et aux Etats-Unis. Évidemment, selon la même logique, il faudrait aussi mettre la hache dans nos réseaux de garderie, notre régime d’assurance-automobile, nos bas frais de scolarité et notre système de santé.

C’est d’ailleurs ce que nos « stratèges » proposent dans les deux derniers cas. Ils ouvrent toutes grandes la porte à la privatisation de la santé – « notre régime d’assurance-maladie devra faire l’objet d’une analyse en profondeur », écrivent-ils – et ils recommandent de s’inspirer du nouveau régime de frais de scolarité britannique, dont l’instauration a failli provoquer la chute du gouvernement Blair tant l’indignation populaire était grande.

Sur la question de la natalité, on aurait pu s’attendre à ce que le syndicaliste Clément Godbout sensibilise les membres du comité au phénomène des emplois atypiques qui touche, selon le Rapport Bernier, 30 % de la main-d’œuvre au Québec, dont une majorité de jeunes en état de procréer.

M. Godbout aurait pu leur expliquer que l’insécurité, qui est le lot des travailleurs et travailleuses autonomes, compromet leurs projets de fonder une famille. Il aurait dû reprendre les arguments en faveur de l’élargissement du droit à la syndicalisation qu’il a défendus avec tant de vigueur lorsqu’il était un chef syndical respecté, la protection syndicale étant le meilleur moyen de garantir la sécurité d’emploi et de pouvoir envisager l’avenir avec espoir. Mais M. Godbout signe le dossier à titre de président d’un Institut qui fait la promotion de l’amiante.

Quand le document affirme que « les Québécois ont opté pour de moins longues heures de travail que leurs concurrents nord-américains », ses auteurs feignent d’ignorer que ce sont là des gains syndicaux. De même, quand il cible les travailleurs et travailleuses du secteur public pour leur « déficit d’heures de travail » au moment où s’amorcent les négociations nationales, on ne peut s’empêcher de remarquer la jupe patronale qui dépasse.

Finalement, quand notre « comité stratégique » demande au gouvernement la tenue au plus tôt d’un Sommet extraordinaire, on ne peut que s’émerveiller devant un tel à-propos alors que le gouvernement Charest vient tout juste de proposer une série de sommets sur des sujets analogues ! Ça, mes amis, c’est de la convergence à la Power Corporation !