La hargne et l'impuissance

Oraison funèbre

Au moment où une personnalité qui a occupé des fonctions dirigeantes et eut pour métier de réfléchir à haute voix nous quitte, disons vers l'âge de 80 ans, la personne se confondait avec le personnage. J'ai toujours eu l'impression que ces disparitions sont un bienfait pour la société, qui, elle, a encore des étapes à franchir.

Je relis Le paysan de la Garonne et Les malheurs de Sophie, les derniers volumes de deux penseurs qui eurent une profonde influence chez nous à l'époque où l'ex-directeur du Devoir était secrétaire du Comité national d'Action catholique. Et je me rends compte que le philosophe et l'historien de la philosophie, Jacques Maritain et Étienne Gilson, n'avaient plus l'ardeur nécessaire à continuer leur œuvre et que la hargne l'emportait sur leur impuissance : ils n'absorbaient plus. Vient un moment où le passé emprisonne et n'agit plus comme un tremplin.

Que la famille de monsieur Ryan se sente triste est compréhensible. On souhaite à nos proches de partager avec nous l'éternité. Un cadeau que l'on se fait mutuellement. Que la galerie des anciens admirateurs d'une certaine action catholique se sente orpheline, passe encore ! Mais que la famille politique de l'ancien chef de l'opposition libérale ne se sente pas libérée me désole. Le sacristain prend soin des objets du culte, mais ne doit pas monter en chaire. Il ne faut jamais oublier avec Pascal d'analyser les puissances qui nous portent à consentir. Le fondamentalisme nous menace et ce n'est pas dans la sécurité théologique explorée par Fernand Dumont ou exploitée par le vaticanisme de Newman traduit par Claude Ryan que nous avancerons.

Je constate que dans ce concert d'hommages rendus à monsieur Ryan, deux femmes, Lise Bissonnette et Odile Tremblay, sont les seuls penseurs à ne pas nous avoir rabâché des clichés de première classe. Est-ce à dire que chez nous, seules les femmes s'ouvrent sur l'avenir ? Alors que nos hommes s'enferment dans le sécuritaire. Notre prudence, notre quiétude, notre avarice ne regarde pas vers l'avenir sans une sorte de tremblement. Ce mot d'Henri Lavelle vous fait-il penser au péché d'un homme qui nous habite plus qu'on ne le croit, le mauvais ange Séraphin ?