Un plan B épuré du volet « social » des commandites

Il y a bientôt dix ans, dans un contexte d'hystérie anti-déficit créé par les médias – le Wall Street Journal avait écrit que le Canada « était un membre honoraire du tiers monde »

Le ministre des Finances Paul Martin déposait alors un budget qui allait constituer, selon ses dires, « une réforme fondamentale des activités de l'État ». Le gouvernement central pelletait son déficit dans la cour des provinces, des municipalités et des citoyens.

Aujourd'hui, dans un contexte préélectoral et de surplus budgétaires, certains s'attendaient à ce que Paul Martin, devenu premier ministre, s'affiche enfin comme le « progressiste » que les difficultés financières passées du gouvernement l'auraient empêché d'être.

Mais les provinces – dont la campagne publicitaire a rappelé que la part du fédéral dans le financement des soins de santé était passé de 50 % à 16 % en dix ans – se seraient retrouvées Gros Jean comme devant si Jean Chrétien ne leur avait pas légué deux milliards $ au chapitre de la santé.

Les maires des municipalités, qui s'étaient laissé enivrer par le discours grandiloquent de Paul Martin sur le développement des municipalités présenté comme le défi du XXIe siècle, ont dessaoulé bien vite en voyant les chiffres du timide programme de « soutien aux collectivités »… à part peut-être le maire Gérald Tremblay.

Quant aux sans-emploi, aux personnes âgées, aux fonctionnaires fédéraux et aux simples citoyens, ils sont les grands oubliés du budget fédéral, malgré l'abondance des surplus budgétaires.

Ceux qui en douteraient encore doivent prendre note que le changement de cap du Parti libéral intervenu au milieu des années 1990, dans le cadre de la lutte contre le déficit, n'était pas ponctuel.

Dans son excellent volume, Paul Martin, un PDG à la barre (Écosociété), Murray Dobin décrit bien le virage fondamental opéré alors par le Parti libéral et qui s'était tramé lors d'un colloque à Aylmer en 1991. À cette occasion, après des présentations de chantres de la globalisation comme l'américain Lester Thurow, Jean Chrétien avait déclaré : « Le protectionnisme n'est ni à gauche, ni à droite, il est simplement dépassé. La globalisation n'est ni à gauche, ni à droite. Elle fait tout simplement partie de la vie. »

Le Parti libéral tournait alors le dos au programme politique qu'il avait adopté exactement trente ans plus tôt, soit en 1961, lors d'une autre célèbre conférence, à Kingston cette fois. À cette occasion, le PLQ avait viré vers la gauche en adoptant le programme interventionniste qui allait être celui des Pearson et Trudeau pendant les vingt années suivantes.

À l'époque de Kingston, le Parti libéral se sentait menacé sur sa gauche, alors que le CCF était sur le point de se joindre au mouvement syndical canadien pour former le NPD.

Trente ans plus tard, tout l'échiquier politique s'est déplacé vers la droite et l'objectif des libéraux de Chrétien, puis de Martin, est maintenant de contrer la droite représentée par le Parti conservateur.

La veille du dépôt du budget, Paul Martin était dans l'Ouest pour octroyer un milliard $ aux fermiers comme compensation pour la catastrophe de la vache folle, mais le budget fédéral est dans la plus pure tradition des budgets albertains avec des diminutions d'impôts pour les individus – bien sûr, trop modestes au goût de Stephen Harper - et des avantages fiscaux pour les entreprises – pas assez généreux selon le National Post.

À l'égard du Québec, c'est le maintien de la ligne dure, même avec un parti frère libéral au pouvoir. Rien pour la santé, rien pour le logement social, en dépit des promesses de Paul Martin lors de sa visite aux bureaux du Frappru. Mais peut-être trouvera-t-on ici et là des grenailles pour l'économie sociale, question de remercier Jean-Marc Fontan, Marguerite Mendell et Nancy Neamtam pour leur éloge de la « sensibilité du gouvernement Martin à l'égard de l'économie sociale » paru dans Le Devoir du 22 mars.

Ce budget préélectoral rappelle le budget de 1995, à la veille du référendum, alors que Paul Martin n'avait pas craint de déposer un budget de compressions budgétaires, qui avait réjoui Jacques Parizeau, comme le budget Goodale enchante aujourd'hui Gilles Duceppe du Bloc québécois.

Le message est le même. Finie l'époque des concessions financières pour garder le Québec dans la fédération canadienne. Le plan « A » a définitivement été écarté au profit du plan « B ». Un plan « B » qu'on épure cependant de son volet « social » : le programme des commandites !

Sans qu'il y ait eu débat sur la question, M. Goodale nous informe de son objectif d'abaisser, au cours des dix prochaines années, le taux d'endettement du Canada de 42 % à 25 % du PIB, alors qu'il est déjà le plus bas de tous les pays avancés !

Le gouvernement constitue aussi des « réserves » en prévision d'éventuels coups durs. Une « réserve » avec les deux milliards que va lui rapporter la vente de ses actions dans Pétro-Canada. Une autre « réserve » à partir des économies de trois milliards découlant des nouvelles compressions budgétaires dans les programmes fédéraux. Qui s'ajoutent aux « réserves » découlant des surplus budgétaires annuels de plusieurs milliards.

Le gouvernement justifie son comportement d'écureuil en invoquant le SRAS, la maladie de la vache folle et la méga-panne d'électricité qui a frappé l'Ontario l'été dernier. Mais des items du budget laissent deviner d'autres objectifs.

Le budget alloue 250 millions supplémentaires pour soutenir l'effort de guerre en Afghanistan, où sont stationnés 2 000 soldats canadiens. Un autre 50 millions est prévu pour la présence militaire en Haïti. Les soldats impliqués dans des opérations à risque élevé auront droit à 30 millions $ en exonérations d'impôts.

Une « réserve » pour la sécurité de 650 millions $ sera constituée sur une période de cinq ans. Cette somme servira, entre autres, aux activités de renseignement, à la protection des frontières et à la sécurité des zones maritimes.

Des « réserves » qui pourraient réduire la dette, mais également prendre le chemin de l'Afghanistan si la situation s'y envenime. Des « réserves » que le ministère de la Défense – dont la politique est présentement en révision – pourrait réclamer.

Un des objectifs déclarés de Paul Martin est le rapprochement avec les Etats-Unis qui exercent de fortes pressions sur le Canada pour une plus grande présence militaire canadienne à l'étranger et pour augmenter la sécurité intérieure, y compris la participation au bouclier spatial américain.

Mais, à la veille de mener campagne auprès d'un électorat particulièrement pacifiste, il vaut mieux parler de réduction de la dette et de la constitution de « réserves » pour des catastrophes naturelles plutôt que de « catastrophes » nécessitant des engagements… militaires !