Le pire critique de Séguin est Séguin lui-même

Opportunisme, carriérisme ou dédoublement de personnalité ?

Oui, je l'admets, je suis un tata impénitent. Oui, j'ai félicité le ministre libéral des Finances, Yves Séguin, sur la place publique pour sa franchise et son courage. Je l'ai même louangé en personne lors de ma présentation aux consultations prébudgétaires tenues au mois de février 2004. Admettez qu'il y avait matière à être allumé par ses déclarations fracassantes et ses promesses époustouflantes de rétablir un tant soit peu l'équité fiscale en taxant enfin ceux qui s'en tirent trop facilement en ne payant pas leur juste part d'impôt par l'utilisation abusive d'abris fiscaux et par la fraude, comme lui-même l'a répété à maintes occasions.

Premièrement, dans le journal Les Affaires du 1er novembre 2003, monsieur Séguin a dit : « Je m'adresse à la communauté d'affaires : est-ce normal que le gouvernement verse annuellement 5 milliards $ en crédits d'impôt pour des entreprises dont la majorité sont prospères ? » En passant, ces crédits d'impôts sont dans les faits des subventions gouvernementales versées en argent sonnant aux entreprises même si celles-ci ne versent ou n'ont jamais payé une maudite cenne noire en impôts.

Deuxièmement, dans un article de Robert Dutrisac du Devoir du 29 janvier 2004 intitulé : « Séguin veut faire payer les riches » et en sous-titre : « Québec se tournera (sic) vers les entreprises prospères pour financer ses baisses d'impôt », le dit ministre a affirmé le plus sérieusement du monde que : « Le gouvernement du Québec est encore trop généreux (sic) envers les entreprises. Il est temps (sic) que les gouvernements disent : il y a une contribution sociale à aller chercher dans les poches des contribuables qui sont bien nantis et des entreprises qui sont prospères. Ça ne les mettra pas à terre ».

Dans les faits, le ministre s'est tourné généreusement vers les entreprises prospères pour leur donner encore plus d'argent de l'État en réduisant davantage leur taxe sur le capital, une mesure fiscale qui coûtera au moins chaque année 74 millions $ au trésor québécois.

Mais, pour l'inégalable Michèle Boisvert, éditorialiste à La Presse, ce 74 millions $ annuel de cadeaux fiscaux consentis aux entreprises prospères déjà gavées par notre État ne représente que des « broutilles » (5 avril 2004).

Pour financer cette « vétille » d’aide gouvernementale, le ministre s'est « résigné » à couper sur les services publics « monumentaux » en réduisant de 16 % le budget du ministère de l'Emploi, de la Solidarité sociale et de la Famille, qui se soldera par l'abolition de 740 postes, en diminuant de 11 % le budget du ministère aux Ressources naturelles et de 8 % celui de l'Environnement.

Verser 5 milliards $ par année en aide gouvernementale à des entreprises prospères est tout à fait logique et nécessaire, mais verser 60 millions $ annuellement à Télé-Québec, notre télévision publique, c'est totalement déraisonnable pour un peuple d'environ 7,5 millions de Québécois entouré de 300 millions d'anglophones.

Troisièmement, dans un article de Stéphane Paquet de La Presse du 27 mars 2004, – soit trois jours avant le dépôt de son budget – intitulé : « Budget Séguin : les entreprises vont écoper », M. Séguin avait réitéré sa ferme intention de taxer la richesse afin de soulager pour de vrai la classe moyenne.

Mais ce sont encore les citoyens ordinaires et les commis de l'État qui vont plutôt écoper des suites du budget Séguin car le gouvernement a annoncé la vente pour environ 900 millions $ de biens publics dont plusieurs immeubles afin d'adapter et de réingénier le Québec. On deviendra encore plus locataire dans notre pays car, à l'avenir, on devra payer de gros loyers à des firmes privées comme SNC-Lavalin ou Bombardier à qui on aura cédé nos instruments collectifs.

Tous les ministres du gouvernement libéral du Québec nous répètent à satiété que ce n'est pas le rôle de l'État de « gérer » des immeubles, des autoroutes, des hôpitaux, des aqueducs, des autobus, une télévision, etc. Par contre, une firme privée, subventionnée toutefois par le public, comme SNC Lavalin, qui gère seule des hôpitaux, des autoroutes, des centrales électriques, des camps militaires, des autobus et des métros, des aqueducs, des immeubles, c'est parfaitement correct ! Quelqu'un peut-il m'expliquer la logique ? Pourquoi, collectivement, ne pouvons-nous rien gérer alors que des petits intérêts privés sont capables de tout gérer en même temps au sein de la même entreprise ?

Quatrièmement, dans un article de François Normand du journal Les Affaires du 1er novembre 2003 intitulé : « Offensive majeure en vue contre l'évasion fiscale sophistiquée » et dans un autre de Michel Hébert du Journal de Montréal du 8 février 2004 titré : « Québec et Ottawa aux trousses des fraudeurs à col blanc », Yves Séguin a bel et bien dit qu'il s'attaquerait « vigoureusement » à ceux qui pratiquent régulièrement la fraude fiscale généralisée dans les paradis fiscaux et qui coûte, selon ses propres dires, « un manque à gagner annuel de un milliard de dollars au trésor québécois ».

Même que, en novembre 1995, du temps qu'il était chroniqueur à la revue Affaires Plus, il avait intitulé son texte « Les tricheurs » et s'en était alors pris avec hargne, et en utilisant des qualificatifs que je n'oserais pas utiliser, pour condamner ceux qui volent des fonds publics par le biais des paradis fiscaux. Vous conviendrez avec moi mes amis que si piquer c'est voler, tricher l'est aussi.

Il avait terminé son article ainsi : « Pauvres contribuables que nous sommes, condamnés à payer à la place de ceux-là qui, occupés aux jeux interdits d'un paradis fiscal, trouvent quelque fois le temps de nous dire comment gérer les sous qui nous restent… ». En fait, c'est pas seulement « quelquefois » que ces aigrefins nous disent comment gérer l'État mais tout le temps. Yves Séguin n'a jamais si bien dit, si la classe moyenne paie trop d'impôts, c'est à cause des riches et des entreprises prospères qui n'en paient pas ou pas assez grâce à l'utilisation abondante de subterfuges fiscaux et de subventions mis en place, tolérés et encouragés par « leurs » politiciens.

Maintenant qu'il est ministre des Finances et qu'il a tout le pouvoir voulu pour mettre fin à ces abus et à ces fraudes pratiquées par les nantis, qu'il décriait tant il y a de ça quelques années, pourquoi ne le fait-il pas ? Parce que c'est un opportuniste, un carriériste et un vire-capot de première classe et de luxe en plus de ça. Ça veut dire que monsieur Séguin et son gouvernement, selon ses propres dires, distribuent l'argent de la classe moyenne et des pauvres à des riches et à des entreprises prospères. Yves Séguin est un humoriste cynique qui se méconnaît puisque dans un article de Jean-Philippe Décarie du Journal de Montréal du 20 décembre 2003, il avait déclaré : « Je suis là pour surveiller le cash québécois ».