Le refus du présent

L’impossible rêve

Rêver n’est plus synonyme de songer l’invraisemblable. Lorsqu’on parle, par exemple, de « rêve américain », à savoir que toute personne aux États-Unis peut rêver de devenir milliardaire, le « réalisme » du rêve est fondé sur la croyance que la société américaine serait une société ouverte à l’esprit d’entreprise et d’aventure individuelle et que, par conséquent, elle serait mieux équipée que d’autres sociétés pour permettre à quiconque, même au plus pauvre d’entre les Américains, de « se battre », de casser les inégalités et de « gagner ». « Be a winner », (sois un gagnant) est aujourd’hui l’objectif en vue duquel on « forme » les citoyens des États-Unis et du Canada dès leur jeune âge.

Certes, il y a encore beaucoup de personnes (surtout dans les structures de pouvoir) qui affirment qu’« il ne faut pas rêver » pour inviter au réalisme et au pragmatisme celles et ceux qui souhaiteraient changer l’état des faits. Normalement, ces personnes continuent à les rejeter par un « tu rêves ! » dédaignant les idées nouvelles ou les propositions qui mettent en cause la situation existante et donc menacent leur pouvoir.

Cependant, le rêve est de plus en plus vu et accepté comme le refus de subir le présent. Tel fut le cas du fameux « I have a dream » (j’ai un rêve) du pasteur noir américain Martin Luther King, qui fut assassiné pour cela. Tel fut également le sens de la revendication criée lors des événements de Mai 68 : « L’imagination au pouvoir. Soyons réalistes : demandons l’impossible ». Tel reste, après l’élimination de l’apartheid, le rêve sud-africain de l’égalité des races.

Aujourd’hui, l’expression du rêve en tant que refus de subir le présent est concrétisée par le credo du mouvement altermondialiste, « un autre monde est possible ». Chez les altermondialistes, le rêve traduit la révolte contre un présent et un « à venir » qui est donné par les dominants comme inévitable.

Rêver, ce n’est pas fuir la réalité. « C’est larguer les évidences, quitter délibérément les sentiers de l’obéissance, se projeter dans une réalité qu’on ose penser différente ».

Désir d’humanité : le droit de rêver, Riccardo Petrella, Éditions Écosociété, 2004