Et les médias n’ont rien à dire sur l’événement

100 000 PERSONNES DANS LA RUE

Avec 100 000 personnes dans la rue, c’était la plus importante manifestation de toute l’histoire du mouvement syndical québécois, mais les grands médias l’ont à toutes fins utiles ignorée. À part les reportages obligés des bulletins de nouvelles et de la presse du lendemain, les médias n’ont pas commenté, analysé, dans les jours qui ont suivi, la signification de cette manifestation historique. Ils ont tout simplement fait comme si elle n’avait jamais eu lieu.

Pourtant, les journaux ne manquent pas d’analystes patentés. Au journal La Presse, pour ne prendre qu’un exemple, on retrouve en plus de l’équipe des éditorialistes – André Pratte, Mario Roy, Katia Gagnon, Michèle Ouimet – les chroniqueurs Vincent Marissal, Yves Boisvert, Lysiane Gagnon, sans oublier le super-éditorialiste Alain Dubuc. À tous les jours, ils commentent les événements les plus insignifiants. Mais ils n’avaient rien à dire sur cet événement historique. Ils ont fait comme s’il ne s’était rien passé ce Premier Mai 2004.

Pourtant, des quatre coins du Québec, de l’Abitibi, du Saguenay, de la Gaspésie et même des Iles-de-la-Madeleine, des centaines d’autobus ont acheminé vers Montréal des dizaines de milliers de manifestantes et de manifestants. Regroupés en rangs très serrés autour de la bannière identifiant leur syndicat, portant pancartes et banderoles, criant des slogans, souvent étouffés par le bruit assourdissant de centaines de sifflets, ils ont défilé, sous un soleil de plomb, pendant tout l’après-midi sur la rue Villeray.

Beaucoup de syndiqués du secteur public, mais énormément, aussi, du secteur privé. Les slogans, les pancartes exprimaient très clairement que plusieurs sentent que, désormais, pend au-dessus de leur tête une épée de Damoclès, avec les modifications apportées à l’article 45 du code du travail. Demain matin, leur patron peut confier leurs tâches à la sous-traitance avec, comme conséquence, qu’ils se retrouveraient avec des conditions salariales et de travail diminuées et le risque de perdre toute protection syndicale.

Le gros des manifestants faisait toujours du surplace au parc près de l’aréna Jean-Rougeau que la tête de la manifestation était déjà rendue au parc Jarry. Quand, plusieurs heures plus tard, les derniers contingents arrivèrent, le tableau d’ensemble était saisissant. Les lieux de dispersement permettent de bien jauger l’importance d’une manifestation. Souvent, des manifs qu’on croyait jusque-là imposantes apparaissent plus modestes. Dans ce cas-ci, au contraire, se confirma l’impression du départ. L’immense parc Jarry était traversé par d’innombrables groupes de syndiqués, drapeaux et bannières au vent. La scène ressemblait aux champs de bataille des films à grands déploiements sur les guerres napoléoniennes ou encore la guerre civile américaine où l’on voit des mouvements incessants de bataillons.

À cause de la puissance nettement insuffisante du système de son, les paroles des orateurs se perdaient dans le vent pour la grande majorité des participants. Ici et là, on entendait des mots qui faisaient écho au thème de la manifestation : « solidaires et en colère », mais sans revendication plus précise qu’une demande de changement de ton, d’attitude de la part du gouvernement Charest.

Déjà, au mois de décembre, lors de l’adoption des lois anti-syndicales, le mouvement ouvrier avait exprimé grogne et colère. Dans les rangs des manifestantes et manifestants, ce Premier Mai, circulait l’idée de s’organiser pour défaire le gouvernement Charest lors des prochaines élections et de revendiquer le rappel des lois anti-syndicales. Une revendication qui pourrait devenir le cri de ralliement de la grève générale de 24 heures en préparation.