Les six grandes s’entendent comme larronnes en foire

Après analyse des rapports annuels des banques

Fortes d’une augmentation de leur bénéfice net de 500 % au cours des douze dernières années, les six grandes banques canadiennes n’ont nullement besoin de se fusionner, comme elles le réclament, pour faire face à la concurrence internationale. C’est ce que révèle une étude approfondie publiée par le professeur Léo-Paul Lauzon et la Chaire d’étude socio-économique de l’UQAM.

Après analyse des rapports annuels des six grandes banques du pays (Banque Royale, Banque de Nouvelle-Écosse, Banque de Montréal, CIBC, Banque TD, Banque Nationale), le professeur Lauzon conclut que le secteur bancaire est déjà contrôlé par un oligopole organisé, où la concurrence est pratiquement inexistante et où le consommateur ne dispose d’aucun rapport de force.

« Adam Smith doit se retourner dans sa tombe. Il n’y a pas de perdants, juste des gagnants ! », affirme Léo-Paul Lauzon. Alors que dans une économie de marché, la concurrence sans merci entre les compétiteurs devrait créer des vainqueurs et des vaincus, toutes les grandes banques nagent dans le profit.

« Les profits des banques ont augmenté de 58 % l’an dernier. Si les cols bleus ou les enseignants demandaient ça comme augmentation sur un an, on verrait les journalistes se promener avec des pancartes pour protester ! », s’indigne le chercheur.

Les grandes banques canadiennes font depuis longtemps pression sur le gouvernement fédéral afin que ce dernier leur permette de se fusionner entre elles. Le gouvernement fédéral devrait normalement préciser avant la fin du mois de juin les règles éventuelles encadrant ces fusions. Il y a déjà longtemps que la Banque TD et la Banque de Montréal sont sont susceptibles d’être achetées par leurs concurrentes.

L’argument avancé pour justifier les fusions est le manque de liquidités nécessaires aux banques pour assurer leur croissance et affronter la concurrence internationale. Mais où sont donc passées les recettes faramineuses des banques, les 81,4 milliards $ de profits nets après impôt qu’elles ont engrangés entre 1992 et 2003 ?

Dans les faits, ce déluge de profits ne sert qu’à enrichir les actionnaires. 57,1% des bénéfices nets réalisés par les banques au cours des douze dernières années ont été versés aux actionnaires sous formes de dividendes et de rachats d’actions.

« Dire que le patronat nous sermonne continuellement que les profits sont nécessaires pour croître, pour investir, pour créer de l’emploi, pour faire face à la concurrence internationale », explique Lauzon. « Si elles étaient vraiment sérieuses, les banques se garderaient bien d’en distribuer autant à leurs actionnaires et à leurs dirigeants afin de réinvestir tout cet argent dilapidé pour fins de croissance. »

Avant de réclamer le droit de se fusionner pour disposer de plus de liquidités, les institutions bancaires pourraient modifier l’usage qu’elles font de leurs ressources. Les six grandes banques canadiennes ont racheté pour 11,7 milliards $ de leurs propres actions au cours des douze dernières années.

Une telle gestion laisse le professeur Lauzon pantois. « Racheter ses propres actions est l’antithèse de la croissance. Cela signifie que l’entreprise se prive volontairement de sommes significatives pour simplement réduire le nombre d’actions en circulation et ainsi doper la valeur au marché du titre. Cela constitue de l’argent qui sort de l’entreprise à des fins stériles, juste pour fins de spéculation et pour pouvoir enrichir encore plus les actionnaires et les dirigeants. »

Les conclusions de la Chaire sont donc que « l’immense richesse créée par les banques au cours des douze dernières années le fut au strict privilège de leurs actionnaires et de leurs dirigeants et au détriment des consommateurs, des employés, des régions, des petites et moyennes entreprises et des gouvernements ».

En effet, il est évident pour tout observateur que la courbe de l’emploi et du nombre de succursales dans le domaine bancaire est loin d’avoir suivi la trajectoire des bénéfices et de l’actif total en douze ans.

Aussi, en plus d’exiger fréquemment des subventions gouvernementales de toutes sortes, les banques laissent l’État prendre en charge tous les prêts qu’elles jugent trop risqués ou peu rentables. Les PME et les régions doivent donc se tourner vers les banques étatiques comme la Banque de développement du Canada, la Société canadienne d’hypothèque et de logement, Investissement Québec, la Société de financement agricole, la Société générale de financement, etc.

Pour éviter le renforcement d’un tel oligopole qui nuit à l’intérêt public, le professeur Léo-Paul Lauzon recommande donc à Ottawa d’interdire les fusions des grandes banques et l’acquisition ou la fusion de ces dernières avec des compagnies d’assurances.