Le secret de la victoire d’Hugo Chavez

900 000 Vénézuéliens dans les unités de bataille électorales2062

Le 15 août dernier, 59,2 % de la population vénézuélienne répondait Non à la question suivante: « Êtes-vous d’accord pour rendre sans effet le mandat populaire de président de la République bolivarienne du Venezuela accordé par le biais d’élections démocratiques légitimes au citoyen Hugo Rafael Chavez Frias pour le terme actuel ? »

Hugo Chavez a gagné, malgré l’hostilité totale de la part des soi-disant toutes-puissantes forces de l’argent, pour trois raisons principales: 1. une politique réellement populaire menée depuis 1998 et dont ont bénéficié les 80 % les plus pauvres de la population; 2. une véritable mobilisation de la population pendant la campagne référendaire; 3. quelques chaînes de radio et de télévision pour faire passer son message.

Selon le journaliste mexicain, Tariq Ali (la Jornada, 20 août), depuis l’arrivée au pouvoir de Chavez, près d’un million d’enfants des banlieues et des campagnes les plus pauvres bénéficient maintenant d’une éducation gratuite, 1,2 million d’analphabètes apprennent à lire et à écrire et trois nouveaux campus universitaires gratuits ont été ouverts. Six autres sont prévus d’ici 2006.

Les 10 000 médecins cubains prêtés en échange de pétrole (qui remplacent des médecins vénézuéliens intéressés seulement à soigner la partie rentable de la population) ont transformé la situation des districts pauvres où 11 000 cliniques de quartier ont été créées grâce à un budget qui a triplé.

Ajoutons à cela l’appui financier aux petites entreprises, la vente à bas prix des aliments de base, la construction de logements pour les plus pauvres, la protection de la pêche artisanale et une loi de réforme agraire qui, fin 2003, avait réparti 2 262 467 hectares de terre entre 116 899 familles.

Pas étonnant que ceux qui ont bénéficié des « missions » sociales gouvernementales se soient mobilisés lorsque Chavez a fait appel à eux. Et quelle mobilisation!

On estime que 900 000 Vénézuéliens « ordinaires » se sont enrôlés dans les unités de bataille électorales (UBE) ou dans les patrouilles électorales créées par le gouvernement pour remporter « la bataille de Santa Inés » (nom donné à sa campagne référendaire par le président lui-même en référence à une bataille remportée par Ezequiel Zamora contre l’oligarchie de Caracas, en 1859).

Les UBE étaient les organisations de base des forces bolivariennes chargées d’appliquer aux quatre coins du pays la stratégie référendaire « chaviste ». Au nombre de 8 000, elles étaient localisées autour des centres de votation et composées de partisans du président issus des organisations communautaires, étudiantes et juvéniles de même que des mouvements sociaux, partis politiques et « missions » gouvernementales.

Les UBE dont les responsables étaient élus démocratiquement s’occupaient de tous les aspects entourant une campagne référendaire: logistique, opérations de mobilisation, propagande et événements, technologie, sécurité.

Elles devaient aussi recenser la population de leur territoire et s’assurer que chaque électeur apparaisse sur les listes de votation et soit muni des documents requis pour voter.

Pour cela, les UBE ont créé les patrouilles électorales, d’un maximum de dix personnes, recrutées dans la population d’un village, d’un quartier, voire d’une institution (université, grand immeuble à logement, foyer de retraités, etc.).

On a dénombré 118 000 de ces patrouilles qui visitaient tous les électeurs de leur secteur avec l’idée première de gagner le vote des indécis. Chacun des membres d’une patrouille devait convaincre et « suivre » dix de ces indécis.

« UBE et patrouilles, dit Daniel Ramirez, coordonnateur de l’UBE Santiago Marino dans la province d’Aragua, ont deux raisons d’être. Premièrement, faire en sorte que le poids de la décision référendaire provienne directement des communautés indépendamment de leurs dirigeants régionaux ou municipaux et, deuxièmement, réaliser un contact direct avec l’électeur pour contrer la campagne médiatique féroce de l’opposition. »

« Par exemple, poursuit Ramirez, tous les sondages prédisaient notre victoire, mais les médias privés n’en publiaient pas les résultats pour faire croire aux indécis que la lutte était serrée et qu’il y aurait une guerre civile si Chavez restait au pouvoir. Nous, nous allions voir les électeurs et nous leur montrions les résultats des sondages ! »

Cette population mobilisée fera maintenant pression sur le gouvernement pour davantage de réformes et l’épuration des éléments qui, dans l’appareil d’État, freinent encore l’application des politiques bolivariennes. Ces éléments sont nombreux, par exemple, dans le système judiciaire.

La population pourrait aussi révoquer les neuf gouverneurs et 150 maires à la solde de l’opposition lors des élections provinciales et municipales du 26 septembre prochain.

Hugo Chavez, lui, a clairement souhaité, lors de son discours de victoire, que « ces volontaires tournent maintenant leur énergie vers la bataille sociale ».

Même si les UBE et les patrouilles ont permis de contourner l’hostilité des médias privés (neuf des dix quotidiens et six des sept grandes chaînes de télévision), il n’en demeure pas moins que le gouvernement et la population avaient aussi besoin de leurs propres médias.

Ainsi, Canal 8 (la télévision nationale vénézuélienne) a permis aux partisans de Chavez de riposter à la propagande d’opposition. En plus de l’émission hebdomadaire régulière « Alo Presidente ! », Hugo Chavez lançait, le 16 juin, une émission référendaire intitulée « Patrullando con Chavez » (Patrouiller avec Chavez).

Alo Presidente est un véritable phénomène qui en est à sa 204e semaine et pulvérise toutes les cotes d’écoute du pays. L’émission du dimanche matin dure entre cinq et six heures et est animée en direct par le président assis derrière un bureau.

Elle a lieu chaque fois dans un endroit différent du pays. Chavez y explique les politiques de son gouvernement, discute avec des invités, répond à des appels téléphoniques du public, montre des vidéo-reportages et entonne même des chansons !

« Chavez s’ouvre au téléspectateur d’une façon réelle, commente Renaud Lambert de l’Observatoire français des médias, car nul, aussi bon communicateur soit-il, ne saurait jouer un rôle pendant cinq heures. Ainsi, à suivre le cours de sa pensée, à développer son raisonnement devant les caméras et à faire des rapprochements improvisés entre deux idées, Chavez fait ce qu’aucun autre chef d’état occidental n’accepterait de faire ».

En plus des chaînes nationales de radio et de télévision, le gouvernement comptait sur l’appui de médias communautaires dont il avait lui-même favorisé la création.

C’est le cas de ViveTV, une chaîne de télévision communautaire publique lancée en novembre 2003 par le gouvernement Chavez après la fermeture de la chaîne de quartier CatiaTV ordonnée par le maire de Caracas, partisan de l’opposition.

ViveTV cherche à donner une voix aux 70 % de la population qui n’existent tout simplement pas dans les médias traditionnels privés. Renaud Lambert commente cette initiative en ces termes : « permettre à une communauté de construire des médias qui lui ressemblent revient à lui permettre de réfléchir à son identité ».

Pour la présidente de la chaîne, Blanca Eekhout, l’objectif n’est rien de moins que de « créer un espace de communication lié à la construction d’un nouveau pays ». Pendant la campagne référendaire, ViveTV émettait déjà 16 heures par jour et était capable de salarier 150 personnes.

Hugo Chavez considère la nouvelle chaîne comme une première étape dans la création d’une véritable télévision latino-américaine à l’échelle continentale dont l’influence pourrait se comparer à celle d’Al-Jazira dans le monde arabe.

Il s’agirait d’une chaîne de nouvelles, composée dans un premier temps de Canal 7 (Argentine), d’un grand nombre de télévisions communautaires brésiliennes, de la télévision cubaine et, bien sûr, de Canal 8 et ViveTV au Venezuela.