La théorie du Québec, district bilingue

RDI ne traduit jamais nos Anglos... ou si peu2095

Quand Pierre Elliott Trudeau était premier ministre du plusse meilleur pays du monde, il aimait si peu Radio-Canada, nid de séparatistes, qu’il brandissait la menace de « mettre la clé dans la boîte » ou d’y faire un grand balayage pour que la chaîne française « ne montre plus que des vases chinois ». Mais plutôt que d’y aller aussi radicalement, Trudeau et ses successeurs libéraux jouèrent plutôt la carte de la ruse. On créa Téléfilm Canada et l’argent qu’il fallut y mettre, on l’enleva à la chaîne française, ce qui amena de draconiennes coupures budgétaires dont les effets néfastes ne tardèrent pas à se multiplier.

Jusqu’alors, la chaîne française de Radio-Canada avait contribué à cimenter l’appartenance québécoise par l’émergence d’une culture nationale dont rendait compte la popularité des téléromans, des téléthéâtres et des téléfilms qu’on y diffusait, pour la plupart représentatifs de l’évolution de notre être identitaire. C’était cela même que Trudeau ne pouvait pas accepter, à cause de l’acte politique de libération nationale que regarder la télévision pouvait en ce temps-là signifier.

Par le simple jeu des compressions dites budgétaires, on ne pouvait pas désâmer tout à fait Radio-Canada et ce n’est donc pas par hasard si en janvier 1995, RDI, le réseau de l’information, était lancé avec pompes et fanfares. Ce réseau-là, dit d’affaires publiques, serait plus aisément contrôlable puisqu’il suffisait, en le créant, d’y établir un organigramme donnant au gouvernement fédéral droit de vie et de mort sur le personnel de direction qu’on y embaucherait.

Furent donc nommés aux postes de commande d’intransigeants fédéralistes qui ne tardèrent pas à nous faire comprendre que l’unité nationale et canadienne était la raison d’être de la nouvelle créature. D’où l’importance qu’on accorda aux bulletins de nouvelles couvrant toutes les provinces canadiennes, de l’Île-du-Prince-Édouard à la Colombie-Britannique. En même temps, on mettait la hache dans les structures régionales de la radio et de la télévision publiques à travers tout le Québec, toujours au nom d’une efficacité administrative dont encore personne n’a évidemment constaté les bienfaits.

Dans les commencements de RDI, on voulait donner bonne bouche aux Québécois, de sorte qu’on ne lésinait pas sur la traduction : un ministre de l’Alberta, un policier de la Nouvelle-Écosse ou un écologiste de la Colombie-Britannique, s’exprimaient-ils en anglais qu’on nous en présentait simultanément la version française. Mais ça ne prit pas plusieurs années avant qu’on ne mit de côté les traducteurs, confiant au reporter-journaliste le soin de nous résumer les propos du ministre, du policier ou de l’écologiste après que ceux-ci se soient exprimés, évidemment en anglais. Aujourd’hui, certains bulletins nationaux de nouvelles diffusés par RDI accordent pas moins de quarante-pour-cent de leur temps d’antenne à des intervenants qui ne parlent que la langue anglaise et qu’on ne prend même plus la peine de traduire, comme si tous les Québécois étaient bilingues ou devraient le devenir.

En soi, la chose serait déjà très questionnable, mais elle ne représente qu’une partie de l’iceberg. Pour qui regarde le moindrement RDI, la réalité est encore bien pire puisque ce qu’on y fait dans les autres émissions d’information suit la tendance des bulletins nationaux : de plus en plus, les anglophones du Québec à qui on donne la parole le font dans leur langue, et là toujours, Radio-Canada n’assure plus la traduction simultanée. Quand le reporter-journaliste est un brin paresseux, les propos sont ramenés à une simple et courte phrase pas nécessairement représentative de l’ensemble des propos tenus.

Durant la campagne électorale américaine, le sommet de l’absurde fut atteint dans l’émission La part des choses qu’anime Bernard Drainville. On y présentait des extraits plutôt longs des discours de Georges Bush et de John Kerry dans leur version originale, que des professionnels de la politique devaient commenter par la suite. Pour l’unilingue québécois, aucun moyen de se faire vraiment une idée, ni l’animateur ni les commentateurs ne faisant connaître pour la peine ce que Bush et Kerry avaient dit.

Il me semble qu’il s’agit là d’une arrogance et d’un mépris fort condamnables venant d’une société qu’on considère avant tout comme un service public. Que personne ne semble s’en rendre compte, et surtout pas les journalistes de RDI, dit bien jusqu’à quel point nous sommes devenus lâches collectivement. Car, qu’on l’accepte ou pas, cette façon de faire de Radio-Canada nous ramène tout droit à la théorie du Québec district bilingue, que les fédéralistes essaient de nous imposer depuis déjà des lustres. Ils y sont arrivés avec les grandes entreprises, car plusieurs institutions carrément québécoises nous offrent maintenant, telle l’université du Québec à Rimouski, de nous servir dans la langue de notre choix . . . comme si le français n’avait plus rien d’officiel, même pour un organisme dont la clientèle est à 99 % québécoise !

Cette bilinguisation du Québec est sournoise et je ne comprends pas que les organismes voués à la sauvegarde de notre langue y accordent si peu d’attention. Je ne comprends pas non plus le silence du Bloc québécois là-dessus et pas davantage celui du Parti québécois. Il est vrai toutefois que durant les années qu’il occupa le pouvoir, le Parti québécois ne s’opposa ni à la fermeture des bureaux régionaux de Radio-Canada ni au démantèlement de Télé-Québec, envisageant même sa fermeture plutôt que d’en faire une institution véritablement nationale. Quand on vit dans une telle inconscience, c’est qu’on ne sait pas lire les signes. Ceux-ci sont pourtant clairs dès qu’on regarde un tant soit peu RDI et dès que nous saute aux yeux sa politique du bilinguisme de fait, car il faudrait encore une fois être bien naïf pour croire qu’elle n’a aucun rapport avec l’idéal de l’unité canadienne que promeuvent les fédéralistes. Fuck you ! comme disait l’autre, qu’on ne traduit pas non plus à RDI.