L’agence des PPP sera le maître encanteur

En visite à Boston après la réélection de George W. Bush, le premier ministre Jean Charest déclarait suavement aux financiers américains : « Quebec is open for business ». Cette déclaration soulève vraiment l’inquiétude, car avec la création de l’Agence des partenariats public-privé (PPP), elle porte à penser qu’aux yeux de M. Charest et de la présidente du Conseil du Trésor, Mme Monique Jérôme-Forget, le Québec serait à vendre !

Les projets de partenariats public-privé ne sont pas chose nouvelle au Québec. De telles expériences existent depuis fort longtemps et l’ancien gouvernement péquiste avait en vue de les promouvoir davantage. Mais le projet de loi 61, créant l’Agence des partenariats public-privé (PPP), pièce maîtresse de la réingénierie de l’État promise par le Parti libéral, entraîne une restructuration sans précédent de l’État québécois. Pourquoi alors Mme Forget cherche-t-elle à tout prix à faire adopter ce projet de loi en dépit des graves objections soulevées par de très nombreux acteurs sociaux, du mouvement syndical et des groupes de citoyens ?

Bien qu’en commission parlementaire la ministre ait surtout parlé des infrastructures comme domaine privilégié pour les PPP, un examen attentif du projet de loi permet de constater que tout est sur la table. Le champ d’intervention de l’Agence est illimité car, en plus des ministères, des organismes gouvernementaux et paragouvernementaux, des établissements de la santé et des services sociaux, des organismes municipaux, des commissions scolaires, des agences, il inclut « tout autre organisme désigné par le gouvernement », comme le stipule l’article 7 du Chapitre II. L’Agence des PPP exerce une quasi tutelle qui permet de forcer la privatisation de nombreux secteurs d’activité du gouvernement et du secteur public.

Le Québec serait-il vraiment à vendre aux plus offrant ? Déjà, l’Association des constructeurs de routes et de grands travaux du Québec et l’Association des ingénieurs-conseils du Québec craignent que, étant donné l’ampleur des sommes recherchées, plusieurs promoteurs proviennent nécessairement de l’extérieur du Québec. La multinationale Suez-La Lyonnaise des eaux lorgne déjà sur la gestion des aqueducs et des systèmes de traitement des eaux; la française Sodexho, la britannique Compass Group et l’américaine Aramark se bousculent pour mettre le grappin sur les services alimentaires, d’entretien ménager et de buanderie des hôpitaux et des autres institutions publiques. Et la multinationale Connex vise notre transport public.

Le vérificateur général adjoint du Canada qui a examiné les coûts du financement de 161 millions $ du pont de la Confédération par l’entreprise privée a démontré que ceux-ci auraient pu être inférieurs d’environ 45 millions, si le gouvernement s’était procuré l’argent en ayant recours à son propre programme d’emprunt.

Où sont les économies quand le gouvernement s’engage à rembourser les frais des soumissions des entreprises ? Dans le seul projet de l’ilôt Balmoral, devant abriter l’Orchestre symphonique de Montréal, le gouvernement a autorisé le versement d’une compensation de 800 000 $ aux compagnies éliminées.

Quel avantage y a-t-il pour la collectivité québécoise en bradant notre patrimoine collectif ? Le gouvernement Charest justifie le recours au secteur privé par l’incapacité financière du gouvernement de financer le renouvellement de nos infrastructures, qui ont souffert d’un sous-investissement chronique par suite de la politique du déficit zéro. Mais c’est le gouvernement qui s’est lui-même imposé un carcan financier avec sa promesse de réduction des impôts d’un milliard par année pendant cinq ans. C’est sans doute un habile tour de passe-passe comptable que de faire inscrire les emprunts dans le passif des partenaires privés plutôt que dans celui de l’État. Mais les entreprises feront assumer ces emprunts, d’une manière ou d’une autre, par les contribuables québécois.

Le gouvernement Charest ne peut même pas plaider la nouveauté et la candeur en appui à son projet de PPP. Partout où les PPP ont été appliqués, ils sont en général plus coûteux pour les contribuables, les services de moins bonne qualité et l’accès à ces services réduit par des tarifs accrus. Les conséquences néfastes de ces projets ont été maintes fois décriées dans les médias : que ce soit le drame de Walkerton en Ontario; le scandale de l’autoroute Moncton-Fredericton – projet de 584 millions qui aura finalement coûté près de deux milliards de dollars aux contribuables; le fiasco du PPP dans le traitement des eaux de la ville de Hamilton où la protestation du public a forcé la multinationale AWS – coupable des pires déversements d’eau usées dans le lac Ontario – à renoncer à ses exigences financières farfelues et convaincu la ville de reprendre la régie du traitement de ses eaux.

Pire : les contrats des commandites à Ottawa, autre exemple scandaleux de PPP, illustrent pourquoi le Commissaire au lobbying, le Vérificateur général et la Protectrice du citoyen ont raison de craindre le manque de transparence de l’Agence des PPP de Mme Forget. « Transparence, éthique, déontologie, imputabilité.. tous ces principes fondamentaux sont négligés dans le projet de loi 61 », a déclaré la Protectrice du citoyen en ajoutant que « favoritisme, népotisme, gain personnel direct ou simple espoir d’un retour d’ascenseur risquent de favoriser l’intérêt particulier au détriment de l’intérêt public. »

Les moins bien nantis ne verront pas un sou des réductions d’impôts promises en retour par le gouvernement Charest. À l’inverse, ils seront étranglés par des hausses des tarifs sur le transport en commun, l’électricité et bientôt des tarifs nouveaux sur l’eau et une série d’autres services publics dont nous avions convenu de répartir les coûts sur l’ensemble de la collectivité de la façon la plus équitable qui soit, c’est-à-dire par le biais de l’impôt sur le revenu des particuliers et des sociétés. En prime, maintenant que le gouvernement a modifié l’article 45 du Code du travail pour faciliter la sous-traitance et qu’il remet en question le plancher d’emplois chez les cols bleus et les employés de la fonction publique, les travailleurs seront sans protection contre des baisses de salaires et de conditions de travail

L’enjeu est d’une importance cruciale pour la société québécoise. Le projet de loi 61 est une entreprise sans précédent de démolition de plus de 40 ans d’acquis et aura un impact considérable sur la société québécoise. En ce sens, il est d’une importance aussi grande que les lois adoptées avec le bâillon, il y a un an, et qui avaient entraîné une mobilisation exceptionnelle.

Il faudra sans doute une mobilisation aussi grande pour forcer Monsieur Charest à retirer le projet de loi créant l’Agence des PPP, car le Québec n’est pas à vendre !