Les Palestiniens n’ont plus peur de mourir

Les gens ont franchi un point de non-retour

Rezeq Faraj est un Québécois d’origine palestinienne établi au Québec depuis les années 1960. Jeune étudiant, il a organisé la rencontre de Michel Chartrand avec Yasser Arafat. Par la suite, Rezeq a participé à la création du Comité Québec-Palestine. Il est aujourd’hui co-fondateur de PAJU. Nous l’avons rencontré à son retour d’un voyage de huit mois en Palestine ou il a assisté aux funérailles de Yasser Arafat.

« Plus de 150 000 personnes se sont rendues à la Mouquata, même si les Israéliens avaient tout fait pour en limiter l’accès », raconte-t-il. « De plus, dans chaque village, il y avait une maison de condoléances où les gens venaient lui rendre hommage. À Bethléem, toute la journée, j’ai vu défiler des délégations des villages avoisinants. Arafat, c’était le père de la nation. »

Que va-t-il se passer maintenant ? Rezeq croit que les États-Unis et Israël vont tenter de faire jouer à Mahmoud Abbas le rôle de policier. « On cherche à provoquer une guerre civile entre Palestiniens », lance-t-il. « Mais depuis longtemps, toutes les organisations ont passé un accord : pas de luttes fratricides. Et c’est respecté. » Rezeq fait confiance à Abbas, qu’il appelle toujours de son nom de guerre Abou Mazen. « Ils ne réussiront pas à en faire un policier, tout comme ils ont échoué avec Arafat. »

Rezeq ne manque pas de souligner la vigueur de la démocratie palestinienne. « Plus de 70 % de la population a participé aux élections. Les 800 observateurs internationaux ont déclaré que les élections ont été justes, honnêtes et transparentes… du côté palestinien. »

Car les Israéliens ont multiplié les embûches. « À Jérusalem, relate-t-il, à peine 6 000 personnes sur 135 000 ont pu y exercer leur droit de vote, les bureaux de scrutin ayant été fermés par les forces israéliennes. Les gens ont dû franchir de multiples check-points pour aller voter en Cisjordanie ».

Rezeq croit que l’euphorie occidentale suite aux élections va rapidement se dissiper. « Abou Mazen n’a pas les moyens de faire la paix. Pour y arriver, il faudrait mettre fin à l’occupation, démanteler les colonies, permettre le retour des réfugiés et faire de Jérusalem Est la capitale du nouvel État palestinien. » Ces conditions minimales ont été fixées par Arafat et, dans son premier discours, Mahmoud Abbas a déclaré qu’il les faisait siennes.

Va-t-on démoniser Abbas comme on l’a fait avec Arafat ? Rezeq revient sur l’histoire récente de la Palestine, avec la réoccupation des territoires en 2002 et le confinement de Arafat à la Mouquata. « J’ai rencontré Arafat à quelques reprises à la Mouquata. Il n’y avait pas de fenêtre, Arafat y a vécu trois ans sans voir le soleil. C’était une prison. »

Les médias ont beaucoup parlé de la rencontre entre Arafat, Barak et Clinton en 2000 comme d’une occasion ratée de paix attribuable à l’intransigeance d’Arafat. Rezeq rappelle que ce sommet suivait les pourparlers d’Oslo, une négociation entre Palestiniens et Israéliens, provoqué par l’Intifada, qui s’était conclu en 1990 par la reconnaissance réciproque de l’État d’Israël par les Palestiniens et d’un État palestinien par Israël, sur un territoire représentant 22 % du territoire original de la Palestine.

« Mais, précise Rezeq, la situation a changé entre 1990 et 2000. Le nombre de colonies et de colons a doublé. Israël a poursuivi la construction d’autoroutes de contournement qui divisent la Palestine en bantoustans et ont soustrait ainsi 5 % des 22 % du territoire palestinien. Arafat ne pouvait que refuser. »

Le mandat de Mahmoud Abbas ne débute pas sous de meilleurs auspices. « On continue à détruire des maisons, déraciner des oliviers, exproprier des terres pour construire le mur et ajouter des check-points, raconte Rezeq. Le mur gruge la moitié du territoire palestinien et élimine toute possibilité de création d’un État palestinien. »

Rezeq attire notre attention sur les efforts déployés par Israël pour étouffer toute vie économique en Palestine. « La Palestine est une terre riche où poussent facilement et en abondance fruits et légumes. Une terre qui n’a jamais connu de famine. Mais, aujourd’hui, près de 50% des enfants sont anémiques. Des gens ont faim. J’en ai vu à Gaza et dans les camps de réfugiés près de Jérusalem. »

Cela n’est pas étonnant lorsqu’on constate que le revenu moyen a chuté, au cours des dernières années, de 72 $ par jour à 2 $ par jour. « L’économie locale a été détruite et les produits israéliens font leur apparition sur le marché local », précise-t-il.

Les conséquences sont prévisibles : les gens quittent leur village. « Dans un village de 60 000 habitants, six mille personnes sont parties depuis la construction du mur pour aller s’établir à Ramallah ou en Jordanie. »

À cela s’ajoute la répression. « Pendant les huit mois où j’ai séjourné là-bas, chaque jour, il y avait 5 ou 6 Palestiniens qui se faisaient tuer. D’autres sont emprisonnés sans chef d’accusation et sans jamais être traduits devant les tribunaux. Puis, Israël fait la manchette dans la presse internationale en en libérant une centaine. Mais, le lendemain, on en emprisonne autant, si bien qu’il y a toujours près de 9 000 Palestiniens en prison. »

Pour Rezeq, le constat est clair : « Israël ne veut pas la paix. Sa politique n’a pas changé depuis sa création. Israël veut les territoires sans la population palestinienne. Aujourd’hui, elle ne peut pas nous éliminer par des massacres à grande échelle. Alors, elle cherche à nous éliminer à petit feu. »

Mais la population palestinienne n’arrête pas de vivre pour autant. « Les gens se visitent, dansent, fêtent, se marient. Je n’ai jamais vu autant de mariages, autant de naissances. Les gens ne sont pas abattus. Ils ont franchi un point de non retour : ils n’ont plus peur de mourir. »